RICHARD DESCOINGS, directeur de Sciences-Po


Depuis 1996, il est le directeur de l’Institut d’études
politiques de Paris. Sous sa direction, Sciences-Po a confirmé sa modernisation
et son ouverture vers une société française de plus en plus diversifiée, mais
aussi vers l’international. À la tête d’une fondation réunissant
800 salariés et 8 400 étudiants, Richard Descoings, dont
l’influence dans le monde de l’éducation est considérable, a accepté de nous
parler de son action au sein de l’école mythique qu’il dirige.

 

 

Comment se présente
Sciences-Po aujourd’hui ?

Nous sommes une université sélective tournée vers
l’enseignement et la recherche, très active dans la compétition internationale.
Parmi nos diplômés, 30 % en 2007 travaillent hors de France. Un diplômé
français de Sciences-Po sur cinq travaille à l’étranger.

Depuis huit ans, notre cursus a été aligné sur celui des
autres universités européennes. Il faut noter en outre que tous les élèves
doivent passer leur troisième année hors de France. D’une manière générale, le
corps étudiant, le corps enseignant et les débouchés professionnels se sont
largement internationalisés.

 

L’Institut reste-t-il
accessible aux jeunes venant de milieux défavorisés ?

Plus un étudiant est défavorisé financièrement, plus il a
intérêt à venir à Sciences-Po car nous augmentons de 50 % le montant de
leurs bourses d’État. 20 % des étudiants sont boursiers, 25 % ne
paient aucun droit de scolarité et 50 % bénéficient de droits réduits.
Maintenant, je ne vous dis pas que tout est parfait !

 

L’insertion de jeunes
issus des banlieues que vous avez mise en place et qui a fait beaucoup de bruit
est-elle un succès
 ?

Oui ! Depuis sept ans, nous avons passé des conventions
avec des lycées situés en « zone d’éducation prioritaire ». Il y a
soixante lycées en convention couvrant la France métropolitaine et l’outre-mer.
Parmi les nouveaux élèves français de première année, cent vingt ont été
recrutés par ce biais. Ils réussissent comme les autres. Ce qu’ils gagnent au moment
du diplôme, c’est le droit à l’indifférence.

Concrètement, cent vingt étudiants viennent s’ajouter à ceux
des années antérieures et ils constituent un noyau dont nous sommes fiers. Cela
démontre qu’il n’y a pas de déterminisme social ou ethnique et qu’une action
volontariste menée sur le long terme peut fonctionner. Lorsqu’on veut, on sait
faire, mais je ne suis pas sûr que l’on soit dans une société qui ait envie de
brasser socialement.

 

Si l’on oublie la
qualité de certaines universités ou des grandes écoles, pensez-vous que notre
système éducatif tienne encore la route ?

Vous savez, c’est affreusement compliqué pour tous les pays.
Mais il ne faut pas oublier que 80 % du système primaire et secondaire
marchent bien, et beaucoup mieux qu’aux États-Unis ou en Grande-Bretagne et au
moins aussi bien qu’en Allemagne. Il faut donc travailler sur ce qui ne va pas,
tout en réalisant que l’on demande aux profs de gérer une multitude de choses
parfois bien difficiles.

 

S’il fallait esquisser
un bilan global de votre action, que diriez-vous ?

Nous avons voulu construire un projet éducatif, ce qui est
plus vaste qu’un projet pédagogique. Prenons un exemple simple : pour son
premier cours de droit constitutionnel, Olivier Duhamel a fait écouter la
chanson de Bob Dylan inspirée par l’arrivée du premier Noir dans une université
du Mississippi, lieu symbolique ayant accueilli le premier débat Obama-McCain.

Notre travail consiste à relier les différentes composantes
qui font un individu. Nous avons envie que les jeunes puissent dire qu’ils ont
appris un métier mais pas uniquement. Les équipes de l’Institut font le maximum
pour que nos élèves se sentent heureux. Nous voulons leur dire : « Vous êtes des êtres humains et on vous prend
pour votre humanité. Nous sommes là, non pour résoudre vos problèmes
personnels, mais pour en tenir compte, par exemple avec notre système de
bourses. 
»

 

FaceBook, sur lequel
vous êtes inscrit, a-t-il apporté des changements dans votre vie
professionnelle ?

Certainement, même si j’ai peu de temps à y consacrer. Les
élèves, je les croise souvent mais je ne les vois pas tous les jours. FaceBook
peut contribuer à contourner la barrière du protocole, du rendez-vous qu’il
faut prendre avec mes assistantes qui font barrage pour des raisons d’emploi du
temps. Dans FaceBook, la virtualité de la relation donne un accès doublé d’un
contact direct. C’est comme cela que je peux être amené à répondre au message
d’un étudiant gay qui souhaite me parler de sa situation.

 

 

Votre nom revient
régulièrement quand il s’agit de choisir un ministre de l’Éducation. Cela vous
procure quel sentiment ?

J’en ris intérieurement, et puis j’y trouve l’avantage
d’être un peu protégé. En effet, certains hauts fonctionnaires n’ont pas envie
d’être « trop méchants » avec quelqu’un qui pourrait devenir leur
ministre de tutelle.

Mais c’est une spécificité professionnelle, je pense que
pour être ministre il est préférable d’être élu. Il faut surtout avoir envie de
faire ce métier – tellement ingrat – et ce n’est pas trop mon cas.
D’autre part, mon action à Sciences-Po peut servir l’intérêt général, c’est
aussi de la politique. Je préfère être le premier dans mon village que le
deuxième à Rome. Et mon village est formidable, j’y suis totalement
libre !

 

 

A propos Sensitif

Journaliste, photographe, éditeur du magazine Sensitif : www.sensitif.fr
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