Élie Semoun et Julie de Bona affichent une belle complicité et nous offrent avec « Suite royale » un moment drôle et léger particulièrement réussi sur la scène du Théâtre de la Madeleine.
Judith Elmaleh et Hadrien Raccah ont imaginé cette histoire de couple un peu perturbé après 16 ans de vie commune. Lui, du genre faible, vit au crochets de sa femme en écrivant des livres que personne ne lit. Elle travaille et fait bouillir la marmite. Jusqu’au moment où il l’invite dans le plus beau palace parisien : un événement est venu bouleverser sa vie qui va avoir des répercutions sur celle de son couple. Les deux auteurs ont écrit une comédie pleine de surprises, sans temps mort, énergiquement concentré sur une heure quinze. Les répliques font mouche et l’on assiste à un duel qui ne manque ni de piment ni de sel. Reproches, petits règlement de comptes sur fond de tendresse et de jalousie, annonces surprenantes, l’ensemble est rendu irrésistible par les interprétations précises et brillantes d’Élie Semoun et Julie de Bona. Les deux artistes incarnent leur personnage à la perfection. La comédie ne laissant place à aucun flottement, ils disent leur partition avec brio et emportent l’adhésion du public dès les premiers instants d’autant que cette pièce, d’une précision remarquable, enchaine les effets comiques que la mise en scène sans fioriture et terriblement efficace de Bernard Murat met parfaitement en évidence. Au final, cet instantanée du couple, plus réaliste et profond qu’il n’y parait avec quelques traits parfois un peu cruel, est avant tout prétexte à une pièce jubilatoire nous transportant dans un monde tendre, bercé et rythmé par le rire, autant dire un spectacle incontournable par les temps qui courent !
La nouvelle comédie musicale de Julien et Samuel Safa présentée au 13E Art est une belle réussite portée par une troupe faisant des merveilles sur scène.
Dés les premières secondes, le public est pris par l’énergie qui se dégage de ce surprenant spectacle. L’on entre tout de suite dans le vif du sujet avec les riches chorégraphies de Johan Nus illustrant parfaitement la musique entrainante et tonique de Samuel Safa. Très visuel, grâce aux vidéos ingénieuses d’Harold Simon qui font vivre l’histoire en nous donnant le sentiment d’assister à un film d’aventure, le spectacle se met en place tambour battant. L’intrigue : le vol d’une statuette Aztèque dans un musée londonien génère l’intervention du grand détective secondé du fidèle Watson auquel vient s’ajouter une autre enquêtrice apportant la touche féminine et charmante qui manquait au célèbre duo du 221 B Baker Street
L’enquête va nous faire voyager dans deux pays lointains prétextes à des situations pittoresques et des danses endiablées faisant appel à de très beaux costumes colorés se jouant des folklores indiens et mexicains avec une drôlerie irrésistible. Le texte, lui aussi empreint d’humour et de références, reste vivace et léger et fait que le public participe à l’avancée des recherches avec un grand sourire qui ne le quitte jamais. Un cadre aussi abouti est donc idéal pour l’épanouissement d’une troupe qui n’a pas manqué de nous séduire et de nous impressionner. Aux côtés d’un Holmes aux belles qualités vocales (Bastien Monier), Guillaume Pevée (en Watson) nous offre un surprenant et ébouriffant festival de danseur comique face à Marine Duhamel, séduisante et efficace Emma Jones. Ce trio est encadré, avec tout le talent requis par Océane Demontis, Lola Rose, Clément Cabrel, Jean Louis Dupont, Mélissa Mekdad, Hippolyte Bourdet, et Charlène Fernandez. Tous nous emportent dans un spectacle jubilatoire qui ne nous laisse aucun répit, faisant autant la joie des adultes que des enfants. L’on ressort du 13E Art heureux, certains qu’avec de tels artistes, la comédie musicale française qui a trouvé son style, a de beaux jours devant elle.
À l’occasion de la création de « La Cage aux Folles » de Jean Poiret il y a exactement 50 ans, le Théâtre du Palais-Royal organise une exposition permettant de revivre en photo quelques-uns des grands moments de cette comédie au succès planétaire.
Mettre à l’affiche une pièce construite autour d’un couple d’homosexuels n’avait rien d’évident en 1973. Du reste, Jean-Michel Rouzière qui dirige alors le Palais-Royal hésite, conseillant au passage d’en changer le titre, suggestion qui restera heureusement lettre morte. Michel Serrault, qui avait déjà joué un sketch sur ce thème une dizaine d’années auparavant avec son complice Poiret prend le temps de la réflexion avant d’accepter le rôle, conscient de la difficulté à l’incarner, qui plus est sur la durée. Il accepte et Pierre Mondy signera la mise en scène. Le 5 février 1973 l’aventure peut commencer. 2000 représentations, 1 million de spectateurs, avant une reprise aux Variétés avec Michel Roux et Jean-Jacques en 1978 et la même année la sortie sur les écrans de la version franco-italienne avec Ugo Tognazzi dans le rôle de Renato. Viendra ensuite l’adaptation à Broadway auréolée ses 6 Tony Awards (1983) suivie du triomphe londonien.
Les photos dans le hall du théâtre du Palais-Royal n’ont pour la plupart jamais été exposées. Surplombées par deux magnifiques robes d’Albin, elles permettent d’admirer les affiches d’origine et de retrouver les artistes qui ont fait vivre la pièce au fil des ans. Henri Garcin, Jacques Sereys, mais aussi pas moins de 14 comédiens parmi lesquels Marco Perrin, Jacqueline Mille, Benny Luke, Paul Demange, Bernard Murat, Philippe Lavot, Frédéric Norbert, Maurice Bray, Marcelle Ranson-Hervé… Sans oublier le merveilleux décorateur et costumier André Levasseur.
L’exposition peut se visiter en accès libre, du mardi au samedi à partir de 17 h et ce jusqu’au 1er juillet 2023. Les heureux spectateurs d’«Edmond » et de « La Machine de Turing » actuellement à l’affiche du Théâtre du Palais-Royal seront au nombre de ceux qui vont découvrir cet émouvant retour imagé vers l’un des plus étonnants succès de la comédie made in France.
L’adaptation signée Emmanuel Besnault de cette pièce magistrale de Shakespeare sur la petite scène de La Huchette est rendue passionnante grâce à des trésors d’inventivité et à un trio d’acteurs remarquables.
Avec des idées et du talent, rien n’est impossible : après un magnifique « Fantasio » très rock et haut en couleurs, Emmanuel Besnault nous en apporte à nouveau la preuve en livrant sa vision d’une « Tempête » qu’il a su condenser dans le temps et l’espace sans que le sens et les messages de la pièce n’en soient ni amoindris ni déformés.
L’action se déroule sur une île où Prospéro, l’ancien duc de Milan a été contraint de trouver refuge, quand son usurpateur de frère lui a ravi son trône. Il y vit avec sa fille Miranda. Quand un jour, passe à proximité de l’île, un bateau emprunté par des souverains italiens et le propre frère de Prospéro, celui-ci, usant de la magie que son exil lui a laissé tout loisir de travailler, déclenche une tempête faisant échouer le navire. De ce désastre vont naitre de multiples aventures et un mariage des plus heureux pour son héritière. Une conclusion qui verra en prime l’extinction d’une vieille haine, terrassée par le désir de pardonner enfin. Comme souvent avec le dramaturge anglais, le surnaturel n’est jamais loin. L’esprit du vent s’incarne dans Ariel tandis que Caliban est un inquiétant esclave monstrueux et démoniaque, tous deux obéissant à Prospéro. L’on peut se douter, sans qu’il soit besoin pour cela d’une grande imagination, qu’ils symbolisent les forces contradictoires qui tiraillent le duc et plus généralement, les hommes partagés entre morale et goût du pouvoir, amour et désir de revanche. Un combat éternel, dans cette pièce qui inspira la 17e sonate de Beethoven, se terminant par la victoire apaisante et quelque peu inattendue du pardon !
Il fallait une distribution hors du commun pour faire vivre la langue si richement imagée de Shakespeare, les multiples personnages et les nombreux rebondissements de « La tempête ». Jérome Pradon (royal comme toujours) incarne un Prospéro impressionnant, manipulateur, alternant le chaud et le froid. Marion Préïté et Ethan Oliel assument chacun plusieurs rôles. Ajoutés par moment aux beaux costumes de Magdaléna Calloc’h, les masques commedia dell’arte leur permettent de démultiplier les personnages, d’autant plus facilement que les deux artistes ont une force et une finesse de jeu admirables. Avec ce trio, et grâce à la magie de la mise en scène, nous observons les différents personnages avec passion et nous traversons l’œuvre sur un petit nuage, goutant les délicieux intermèdes chantés, composés par Jean Galmiche. Devant la beauté onirique d’un tel travail, l’une des phrases de la pièce trouve en nous une belle résonance : « Nous sommes tous faits de l’étoffe des rêves ». Le retour sur terre ne se fait qu’à regret, lorsqu’éclate dans la salle une tempête d’applaudissements.
Pour ses 40 ans, la comédie musicale « Flashdance » s’offre dans la grande salle du Casino de Paris un anniversaire plein d’énergie avec une belle troupe de jeunes artistes français.
En mettant en présence deux amoureux issus de classes sociales très différentes, « Flashdance » respecte la tradition qui veut qu’une histoire d’amour, pour donner du piment à l’intrigue, s’annonce très compliquée, tout en s’acheminant, la plupart du temps, vers un happy end. C’est précisément dans ce cadre que se développe l’histoire d’Alexandra Owens et Nick Hurley adaptée et mise en scène de façon très visuelle, dynamique et pour tout dire efficace par Philippe Hersen. Cet artiste qui a déjà eu l’occasion de proposer une version de ce spectacle entre 2014 et 2015, s’est toujours révélé particulièrement à l’aise dans le musical comme en atteste ses précédentes réalisations, « Priscilla folle du désert » ou « Charlie et la chocolaterie ». C’est donc un bel écrin riche, coloré et lumineux qu’il offre à la jeune troupe de chanteurs et danseurs dans laquelle on remarquera l’étonnante prestation d’Eka Kharlov à laquelle on serait bien en peine de trouver le moindre défaut et que Julien Husser, dans le rôle de Nick, tente de séduire. Dans la troupe des danseurs magistralement menée par Andie Masazza, on ne passera pas sous silence la prestation endiablée de Rémy Marchant qui dans l’un de ses rôles, celui du policier dévoilant de parfaits abdos, met d’entrée de jeu, la salle en émoi. L’ensemble de la distribution, par sa qualité, fait oublier les lacunes de ce genre de show que sont les parties parlées souvent assez poussives. Mais, emballé par les tubes « Gloria », « Maniac » et « What a feeling » si bien chorégraphiés par Cécile Chaduteau, le public se laisse facilement emporté par la fougue d’une troupe talentueuse qui visiblement prend plaisir à le rendre heureux.
Dans « Bernard Dimey père et fille, une incroyable rencontre » Dominique Dimey raconte en chansons sa découverte émouvante d’un père qu’elle ne connaissait pas.
Jeune fille venue de Châteauroux, élevée par une mère célibataire qui ne lui a jamais parlé de son père, Dominique Dimey s’installe dans une chambre de bonne à Montmartre afin de suivre les cours de Jean-Laurent Cochet. Dans les bars et les petits restos de son quartier, elle y croise à de nombreuses reprises un quinquagénaire barbu, peu soucieux de sa personne, qu’elle prend pour un artiste peintre. C’est une affiche de concert qui lui révèle qu’il s’agit en fait d’un auteur interprète qu’elle salue à la fin d’un récital qu’il vient de donner salle Pleyel. L’artiste s’intéresse à la jeune fille blonde venue le féliciter et lui apprendre qu’ils sont voisins. Le courant passe. Les confidences faites autour d’un verre ou d’un bon repas en compagnie des acolytes du poète vont amener rapidement Dominique Dimey à entendre cette phrase qui provoquera chez elle le choc que l’on peut imaginer et qui sera confirmée par sa mère « C’est con, mais je crois que je pourrais être ton père ! ». Après les quelques semaines nécessaires pour digérer cette révélation, Dominique Dimey continuera à le fréquenter durant les quelques années qui lui restent à vivre.
La notoriété est parfaitement injuste avec les auteurs de chansons. Ceux qui rendent célèbres ceux qui les chantent sont toujours restés désespérément dans l’ombre. Qui sait que « Syracuse » chantée par Henri Salvador (un autre artiste ayant eu des difficultés avec sa filiation !) est signée Bernard Dimey ? Le poète écrivait de superbes alexandrins avec une facilité déconcertante et ses textes poignants et poétiques ont été choisis par les plus grands parmi lesquels Charles Aznavour, Serge Reggiani, Zizi Jeanmaire, Juliette Greco, Les Frères Jacques ou Yves Montand. Dominique Dimey retrace cette rencontre qui va marquer sa vie avec ce père inconnu, vivant à Montmartre, à deux pas du métro Pigalle, en artiste digne du XIXème siècle, tout entier centré sur son art et ses amis. Son hédonisme, marqué par un goût prononcé pour le tabac, la boisson et le bonne chère, sera responsable d’une vie écourtée puisqu’il meurt alors qu’il allait avoir cinquante ans en 1981 mais après les quelques années de bonheur apportées par sa fille retrouvée. Avec la finesse et la générosité qu’on lui connait (bon sang ne saurait mentir, l’artiste engagée a mis ses albums au service des combats en faveur de la protection de l’enfance et de la planète) Dominique Dimey vient porter témoignage de qui fut son père, ce bon vivant à la personnalité désintéressée dilapidant tout ce qu’il gagnait au profit de ses amis plus nécessiteux que lui et inspiré par les thèmes de la nuit, du temps qui passe ou de l’enfance perdue. Elle le fait avec les chansons du poète auquel Richard Bohringer prête sa belle voix grave, accompagnée au piano par Charles Tois ou à l’accordéon par Laurent Derache, dans une mise en scène de Bruno Laurent. « Bernard Dimey père et fille » au Théâtre Essaïon, met en avant l’un de nos plus grands paroliers et une chanteuse terriblement attachante. Impossible par ces temps de froidure d’ignorer ce spectacle qui nous fait chaud au cœur !
Cette rétrospective d’un siècle de musique afro-américaine en 36 tableaux mise en scène par Valery Rodriguez et chorégraphiée par Thomas Bimaï est un grand moment, vocalement et scéniquement inoubliable.
« Black Legends » a longtemps muri dans l’esprit de Valéry Rodriguez. L’idée d’un spectacle autour de la culture noire-américaine germe pour la première fois dans son esprit alors qu’il chante dans « Le Roi Lion ». Déjà impressionné des années auparavant par « Smokey Joe’s Café », il décide de créer un spectacle qui, des années de travail après, donnera naissance à cette grande revue où une vingtaine d’artistes mettent tout leur talent à raconter l’histoire de la ségrégation. Accompagné par un orchestre de cinq musiciens dirigés par le pianiste Christophe Jambois, « Black Legends » ne se contente pas d’enchainer les plus grands tubes de la musique noire comme « Free », « Crazy in love », « Strange Fruit » ou « ABC ». Le spectacle retrace toute une épopée avec de courts récits créant un jeu narratif particulièrement abouti. La ségrégation, le Ku Klux Klan, Martin Luther King ou l’élection de Barrack Obama sont partie intégrante de cette trame nous faisant parcourir une centaine d’années mouvementées, douloureuses, que les magnifiques voix de la troupe nous font revivre avec une ardeur et une énergie exceptionnelles. C’est peu dire que la grande salle de Bobino vibre et participe à ce show chanté et dansé. La joie et l’émotion du public qui ne peut s’empêcher de bouger sont palpables. « Black Legends » enflamme Bobino qui, après 1 h 30 de véritable communion, se vide de ses spectateurs qui ont applaudi à tout rompre un show nous ayant dit à quel point Black is Beautiful !
Pour la pièce la plus connue de Feydeau il fallait une mise en scène moderne et subtile sachant renouveler le genre. C’est ce que nous propose le Lucernaire avec l’adaptation à la fois fidèle et pleine de surprises de Philippe Person.
« L’amour rend aveugle. Le mariage rend la vue » a dit Oscar Wilde. Chez Feydeau où pourtant l’on passe son temps à se tromper, les choses sont moins tranchées. L’héroïne du Dindon, Lucienne Vatelin, semble être heureuse en ménage et repousse les prétendants à l’adultère que sont Rédillon qui soupire depuis longtemps auprès d’elle et Pontagnac, nouveau venu présomptueux, certain d’emporter la place sous l’effet d’une charge héroïque. La forteresse reste imprenable mais il n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd que le moindre faux pas de Mr Vatelin jetterait sur l’heure son épouse dans les bras de la vengeance et de l’un des deux prétendants. Or, il se trouve que Pontagnac est averti, par une malheureuse confidence de son « ami » peu méfiant, qu’il aurait fauté à Londres. Celle avec qui l’adultère a été commis débarque à Paris et ne demande qu’à remettre le couvert. S’en suit une série de quiproquos dont Feydeau a le secret, faisant souffler sur la pièce un vent de folie.
Aussitôt que le rideau se lève, le spectateur comprend que rien ne sera banal durant cette représentation. Philippe Person s’est situé dans une période plus contemporaine et nous évite la sempiternelle succession de portes qui claquent. Tout est fait pour nous faire vivre la pièce avec autant de tonus mais plus de finesse. Références et clins d’œil ne manquent pas et nous font entendre avec beaucoup d’humour, un texte éminemment riche, bourré d’allusions, souvent salaces du reste, au rythme infernal inhérent au vaudeville. La liste des trouvailles de Philippe Person qui font le charme de son « Dindon » serait trop longue à dresser mais il faut néanmoins dévoiler les deux magnifiques intermèdes musicaux d’une grande douceur chantés par Jil Caplan et qui ont le mérite de faire retomber la frénésie coutumière de Feydeau si bien entretenue par les comédiens. La troupe constitue l’autre bonne surprise de ce spectacle. Florence Le Corre incarne magnifiquement (avec charme et délicatesse) Mme Vatelin face à Philippe Calvario, son époux. Dans ce registre inhabituel pour lui, le comédien fait preuve d’une dextérité remarquable, sachant être époustouflant sans jamais forcer le trait. Philippe Maymat prête son physique avenant et ses grandes qualités d’acteur à Pontagnac qu’il rend plus vrai que nature. Pascal Thoreau sait bien alterner ses deux rôles truculents dans lesquels il s’épanouit. Jil Caplan démontre, pour sa part, qu’elle n’a pas que des qualités de chanteuse et Philippe Person s’est réservé la portion congrue avec les rôles de majordomes avec lesquels il fait deux prestations remarquées. Tous les six, avec drôlerie et légèreté, nous servent ce beau Feydeau sur un plateau permettant à un public ravi de déguster ce savoureux « Dindon » dans un climat de franche allégresse !
Le personnage d’Alan Turing est en tous points fascinant et passionnant. Ce mathématicien britannique surdoué, passionné par la cryptologie, a permis aux Alliés de casser très tôt Enigma, le code allemand pourtant réputé inviolable et de raccourcir ainsi la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 50, son homosexualité découverte, les tribunaux lui ont imposé une castration chimique qui détruisit ce grand sportif adepte du marathon et qui le poussa au suicide en croquant une pomme trempée dans du cyanure, en souvenir du film « Blanche-Neige » qu’il avait tant aimé. De ce destin hors norme, de cet homme victime d’une société homophobe à qui pourtant l’humanité et l’informatique doivent tant, Benoît Solès a voulu faire le sujet d’une pièce, « La Machine de Turing », qui fête sa 700ème représentations en entamant sa quatrième saison au théâtre du Palais-Royal. C’est au cours de sa tournée américaine, en attendant un avion à Los Angeles pour aller jouer à San Francisco que l’auteur nous a parlé de son travail et de cette formidable aventure autour d’Alan Turing.
À quel moment cette tournée américaine s’est-elle décidée ? Elle devait conclure la 1ère tournée de 2019-2020 interrompue par le Covid. Nous sommes parvenus à trouver des dates pour qu’elle puisse avoir lieu. Avec Amaury de Crayencour qui a créé la pièce avec moi, nous venons de jouer deux représentations ici, au théâtre du lycée français de Los Angeles, l’une tout public et l’autre pour les scolaires. L’on s’apprête à faire de même à San Francisco avant d’aller donner douze représentations en Polynésie.
À l’étranger, comment la pièce est-elle perçue ? J’ai joué « La Machine de Turing » dans tous les coins de France et de Navarre ! J’approche des 250 dates en tournée, sans compter Avignon. La première tournée a commencé en septembre 2019 en Nouvelle Calédonie. On a joué à Nouméa, devant de jeunes canaques issus du nord de l’île, certains venant au théâtre pour la première fois. Ce qui est commun dans les réactions, quel que soit le lieu, c’est l’intérêt pour le personnage, qu’on le connaisse ou qu’on le découvre. Les gens sont bien évidemment frappés par son histoire, l’héritage qu’il nous laisse, à savoir son influence sur le cours de la Seconde Guerre mondiale grâce au décryptage d’Enigma et l’invention de l’informatique. Mais ils sont aussi et avant tout frappés par cette aventure humaine, la dimension tragique du personnage et le message auquel il nous invite à réfléchir : comment regarde-t-on la différence ? C’est ce qui crée de l’empathie pour lui et une immense émotion par rapport à l’injustice qu’il a subie. Il y a toujours, à la fin du spectacle, au moment où il s’apprête à croquer la pomme, un moment suspendu pendant lequel le public est ému et retient son souffle. L’on observe cette réaction partout, que ce soit pour une représentation scolaire à Argenteuil, au théâtre Princesse Grace à Monaco ou avec des francophones à Los Angeles. Cela nous montre bien qu’il y a quelque chose d’universel dans cette histoire.
Le thème de l’homosexualité, toujours difficile à proposer, à traiter et à défendre, a-t-il été un problème ? Non, pas vraiment ! Si l’on prend les scolaires, l’on me disait parfois qu’une telle histoire, avec des garçons qui s’embrassent sur scène, ça allait être le barouf, notamment avec des jeunes issus de l’immigration. Cela ne s’est pas du tout passé ainsi, ils ont toujours regardé le spectacle dans un très grand calme. Je suis frappé par la capacité d’écoute et d’ouverture d’esprit de cette génération. Si j’ai pu sentir parfois des petits moments de gène, bien qu’il n’y ait rien de choquant ou de provocant dans ma pièce, c’était toujours avec des spectateurs plus âgés. La nouvelle génération est plus ouverte. Ce que j’aime faire, notamment en tournée, c’est rencontrer le public après le spectacle et j’ai pu assister à des moments émouvants, j’ai vu des ados faire leur coming-out ou des parents s’ouvrir sur ce sujet de la tolérance au sens large. Cette pièce, où l’on touche du doigt à la fois la force de Turing mais aussi ses faiblesses, libère les gens et leur donne le courage d’exprimer et parfois de révéler des choses. C’est très rare de vivre une telle expérience qui va au delà d’Alan Turing, qui est de l’ordre de l’humain et c’est pourquoi après tant de représentations, j’ai toujours un plaisir immense à la jouer. Je me nourris de ces moments d’échanges et de partages pour remonter sur scène le lendemain. Si j’aime la dimension mémorielle autour de la réhabilitation de Turing, j’apprécie tout autant la dimension militante de cette pièce qui amène à réfléchir à la façon dont on a traité et dont on traite encore les gens différents, et ce, encore une fois, quelles que soient les différences en question.
La réhabilitation est maintenant chose faite…enfin ! Oui, et elle est totale. Il y a eu le film ‹ »Imitation Game », il existe de nombreux prix qui portent son nom, Turing a son visage sur les billets de 50 livres en Grande-Bretagne, quelle extraordinaire réhabilitation dans son pays qui le condamnait encore il n’y a pas si longtemps ! Mais il continue malgré tout, et c’est bien ainsi, à nous interroger sur nous, nos vies, nos émotions.
J’imagine qu’en écrivant « La Machine de Turing » tu ne pouvais pas imaginer quel allait être son parcours ? Jamais. Dans notre profession, nous avons tous des rêves quand on créé, que l’on se bat pour monter une pièce et pour que son travail soit compris et reconnu. Jamais je n’aurais imaginé une once de ce qui se passe actuellement. Quand on crée la pièce au festival d’Avignon en 2018, on espère, au mieux une tournée d’une trentaine de dates. Et l’on rêve d’une programmation dans un théâtre parisien. Et là, il s’est passé un truc dont je ne reviens toujours pas : des gens qui nous attendent après la représentation, la presse qui s’est fait l’écho du spectacle tout de suite, un bouche à oreille qui ressemble à un raz de marée, des théâtres privés qui se battent pour nous avoir à l’affiche, les Molières bien sûr, et le plus beau dans tout cela, la réédition du texte dans les Carrés classiques Nathan avec un dossier pédagogique qui fait que la vie de Turing et son message sont étudiés au collège et au lycée et que je reçois des mails d’ados me disant qu’avec la pièce, ils ont eu une bonne note à l’oral du brevet ou à un examen du Bac. Ce qui me fait dire qu’il faut vraiment se battre pour ce en quoi l’on croit. Pendant mon travail d’écriture, combien de personnes m’ont dit que l’histoire d’un mathématicien gay qui se suicide, je ne pouvais pas trouver pire sujet ! À part la Région Île de France, personne ne m’a aidé. Aujourd’hui, ce qui me fait plaisir, c’est que notre aventure peut aider certains à ne pas renoncer devant les difficultés qui ne manquent jamais, en particulier à un moment où le Covid nous a quand même bien mis par terre. J’ajouterai que je ne suis pas plus doué qu’un autre, je n’ai pas plus de talent mais par contre j’ai beaucoup travaillé, je me suis battu pendant 25 ans sans jamais rien lâcher même dans les moments de grands doutes.
Quels sont les déclics qui t’ont fait écrire cette pièce ? Le premier a été la découverte, du personnage un peu par hasard à travers une biographie sur Internet, assez succincte à l’époque et je me dis alors : C’est qui ce type ? Tout de suite, j’ai su que je ferai un jour une pièce sur lui. Le second déclic c’est la sortie du film qui, pourtant, au départ, me paralyse un peu. Mais en le voyant, j’ai trouvé que les contraintes hollywoodiennes montraient un Turing assez lisse et pas très gay. C’est ce qui m’a donné le coup de pied aux fesses nécessaire pour écrire la pièce, sans intention d’en faire un plaidoyer homo mais je trouvais incroyable que dans un hommage définitif que l’on rendait à cet homme, longtemps après sa mort, l’on puisse encore cacher des choses sous le tapis. Je voulais absolument montrer comment sa sexualité explique son être profond, ses choix, voire même ses travaux pour, avec sa machine, recréer le cerveau de son jeune ami perdu. Avec l’aide de Tristan Petitgirad et de tous ceux qui m’ont aidé et encouragé à finir ce texte, nous voulions trouver un équilibre entre les aspects scientifiques, historiques et personnels. Je pense que l’on a bien fait puisque cet équilibre est essentiel à la compréhension du spectacle et du personnage.
Ce succès doit être un formidable moteur pour la suite de ta carrière ! Nous vivons ce moment extraordinaire avec beaucoup de bonheur, nous formons un groupe d’amis, très liés et l’on continue à travailler ensemble sur ma nouvelle pièce autour de Jack London, « La Maison du loup ». Par ailleurs, je suis en train d’écrire « Le Secret des secrets », dans laquelle je ne jouerai pas et que je mettrai en scène, ce qui sera une première pour moi. J’écris pour quatre jeunes comédiens l’histoire de jeunes gens cherchant la recette de la pierre philosophale dans les archives de la British Library. J’ai voulu m’intéresser à la transmission du savoir. J’aime aller vers des défis et des projets que je sens profondément et sur des sujets que je ne cherche pas mais qui s’imposent à moi.
Avec « La Claque » au théâtre de la Gaité, Fred Radix vient nous raconter l’histoire d’une très vieille technique d’applaudissements rémunérés, encore utilisée dans certains théâtres au XIXème siècle. L’excellence de la narration, la complicité avec le public-partenaire, l’humour et la qualité de l’interprétation font de ce spectacle original un moment des plus réussis.
Pour retracer le fonctionnement d’une pratique très ancienne remontant à la Rome antique et consistant à séduire l’auditoire par des réactions enthousiastes artificielles venues de personnes payées pour l’occasion, Fred Radix a imaginé un scénario très riche. Nous voici priés d’assister à la création d’un opéra en 1895 dont le chef de la claque se retrouve subitement dépourvu de complices à quelques heures de la première. Il s’agit donc de reconstituer dare-dare une équipe et ce sont les spectateurs du théâtre de la Gaité qui vont pallier ce manque et recevoir, dans la foulée, l’indispensable formation adéquate. Théâtre dans le théâtre, le procédé fonctionne admirablement. Il permet de découvrir les différentes composantes de la claque, chargées de restituer toutes les réactions possibles d’une véritable assistance subjuguée par le spectacle (rires, étonnements, bravos). Toujours friands de ce genre d’interactions, les spectateurs présents à la Gaité réagissent à la perfection. Ils sont si efficaces que l’on jurerait qu’ils ont bénéficié d’une ou deux répétitions préalables. Le système de collaboration au débotté fonctionnant à merveille, l’on savoure d’autant plus l’histoire croquignolesque et drolatique qui caractérise cet opéra imaginaire, rappelant au passage certains livrets abracadabrantesques ayant marqué l’histoire de l’art lyrique. Le scénario particulièrement bien ficelé de Fred Radix, servi par une interprétation remarquable, en devient irrésistible. Aux côtés de l’auteur, Alice Noureux et Guillaume Collignon font merveille et, avec brio, mettent en valeur tous les aspects comiques et loufoques de cet opéra démentiel propulsé par une toute nouvelle « Claque » magistrale. L’on comprend alors aisément pourquoi, en regardant ce spectacle dans le spectacle si bien orchestré et joué dont ils sont en outre les participants directs, le vrai public de la Gaité soit si euphorique. Quand le divertissement est aussi réussi, subtil et surprenant, nul besoin de claque pour assurer son succès.
Philippe Escalier
Théâtre de la Gaité Montparnasse : 26, rue de la Gaité 75014 Paris – 01 43 20 60 56
Ce résumé musical et hilarant du retour mouvementé d’Ulysse vers Ithaque écrit et interprété par Julie Costanza et Jean-Baptiste Darosey met en joie grands et petits, tous les mercredis après midi à 15 h à La Huchette.
La guerre de Troie ne fut pas une partie de plaisir quand, pour un simple abandon du domicile conjugal, le susceptible et irascible Ménélas mis l’Asie Mineure à feu et à sang. Pourtant, pour Ulysse, qui sut apporter la victoire aux Grecs, ce ne fut rien comparé aux épreuves qui l’attendaient pour son retour au pays. Le meilleur des Grecs (après Achille bien entendu) avait dû, pour se défendre, aveugler un cyclope, fils de Poseidon : mauvaise pioche pour qui veut prendre la mer ! Homère en fit un récit comptant pas moins de douze mille cent neuf hexamètres dactyliques ! Ainsi naquit un long récit mythologique devenu mythique. Ici, rassurons le futur spectateur, le menu est très allégé. Avec Julie Costanza et Jean-Baptiste Darosey, associés, pour le meilleur et pour l’épire, le condensé proposé est aussi léger que déjanté. Avec costumes, déguisements, quelques accessoires et des chants à la clé, les deux comédiens déchainés, déployant des trésors d’inventivité, viennent détourner par l’humour cette épopée homérique. Les gags s’enchainent, les dieux interviennent, Zeus en personne par téléphone tâche d’aplanir les antagonismes afin d’éviter de voir l’empire des Dieux contre Ithaque ! Ulysse, pour sa part, prend son temps et parfois du bon tandis que Pénélope s’oblige à faire tapisserie pour ne pas avoir à choisir un nouveau mari ! Au milieu de ces innombrables facéties mises en scène par Stéphanie Gagneux, le public enchanté parvient néanmoins à suivre le périple maritime, grande carte et storyboard délirant à l’appui. Cette relecture de l’Odyssée n’aura peut-être pas l’agrément du Collège de France, mais elle est de nature à nous réconcilier, dans de grands éclats de rire, avec l’Histoire parfois un peu compliquée et agitée de la Grèce Antique !
Philippe Escalier
Théâtre de la Huchette : 23, rue de la Huchette 75005 Paris
Tous les mercredis à 15 h jusqu’au 28/12/2022 – 01 43 26 38 99
Le résumé de la vie d’Agatha Christie dans une éblouissante mise en scène et une distribution de folie donne lieu, au théâtre Saint-Georges, à un spectacle passionnant et ô combien réjouissant !
Ma vie est un roman aurait pu dire Agatha Christie dont pourtant le mode de vie a toujours été particulièrement sobre, la romancière étant de nature plutôt timide, plus à l’aise avec sa machine à écrire que devant les projecteurs. Sa vie n’en reste pas moins incroyable, avec ses deux mariages, sa longue fugue spectaculaire à l’âge de 36 ans après le décès de sa mère suivi de l’annonce de son divorce et surtout ses livres au tirage phénoménal traduits dans 282 langues. Sans compter la création des ces deux éternelles figures que sont Miss Marple et Hercule Poirot, le fameux petit détective Belge auquel, après Peter Ustinov au cinéma, David Suchet a si brillamment donné vie à la télévision.
Ali Bougheraba et Cristos Mitropoulos ont fait marcher toutes leurs petites cellules grises en faisant, en moins de deux heures palpitantes, un résumé énergique et plein d’humour de cette existence hors du commun. Saluons ce privilège qui n’appartient qu’au théâtre de pouvoir rendre une biographie aussi poignante que divertissante quand deux formidables auteurs s’en mêlent. Le spectateur est ainsi embarqué dans un tourbillon et invité à prendre le train, le bateau ou l’avion pour sillonner le désert, partager les grands événements familiaux, rencontrer ses détectives emblématiques, ses deux maris et, bien sûr, assister à une success story qui trouvera son apogée quand la reine du roman policier rencontrera la Reine d’Angleterre pour un diner mémorable avec remise de décoration et anoblissement à la clé, ce dont probablement elle rêvait depuis toujours. Sur un rythme trépidant, les changements de tableaux s’enchainent, portés par une incroyable inventivité et le talent de six acteurs bluffants. Camille Favre-Bulle si convaincante dans le rôle titre, Tatiana Gousseff étonnante, Erwan Creignou truculent, Léo Guillaume, délicieux dans le rôle de la grand-mère, Marie-Aline Thomassin magistrale dans ses divers personnages et Matthieu Brugot parfait en petit frère ou en premier mari. Ce sextuor donne au texte et à la mise en scène signée Cristos Mitropoulos son souffle et sa dimension épique. Ensemble, ils contribuent à faire de ce spectacle une réussite exceptionnelle et nous laissent repartir heureux et plus gaga de Lady Agatha que jamais !
Philippe Escalier
Théâtre Saint-Georges : 51, rue Saint-Georges, 75009 Paris Du mercredi au samedi à 20 h et dimanche 15 h – 01 48 78 63 47
Quand Victor Hugo est adapté et mis en scène par Olivier Solivérès au Théâtre de la Gaité, on obtient un spectacle jeune public de belle facture où les enfants rient beaucoup et les adultes tout autant.
Olivier Solivérès est devenu, au fil de ses créations, en particulier « Ados » qui a connu un succès retentissant, spécialiste du spectacle pour enfants. « Le Bossu », en ce moment à l’affiche de la Gaité, est particulièrement bien écrit et ficelé. Tout commence par un prélude pendant lequel, devant un rideau baissé, trois des comédiens viennent faire rire le public. Puis le rideau se lève sur un beau décor en carton-pâte et d’entrée l’auditoire est captivé. Les dialogues comme les gags sont drôles et bien travaillés, les références en tous genre (surtout musicales) et autres anachronismes sont particulièrement efficaces avec un double degré de lecture faisant que les parents rient au moins autant que leur progéniture. Le terrible Frollo ne parviendra pas à s’emparer du cœur d’Esméralda qui pourra rejoindre les bras protecteurs du chevalier Phoebus sous le regard attendri de Quasimodo. Les excellents comédiens sur le plateau (Laura Favie, Augustin de Monts, Tristan Robin et Benjamin Cohen) prennent un plaisir évident à jouer et chanter ce texte plein de surprises, dopés qu’ils sont par les rires du public qui confirme qu’un bon spectacle pour enfants est aussi un bon moment pour les plus grands. Quel meilleur moyen de découvrir l’univers de Hugo et de donner aux plus jeunes l’envie d’en découvrir davantage (et de retourner au théâtre !) que ce beau spectacle tonique et hilarant, joyeux mariage entre la comédie musicale et la commedia dell’arte, à voir presque tous les jours durant cette période de vacances !
Fidèle à elle-même mais capable de se renouveler, Marianne James revient au Théâtre Libre pour un seule en scène musical étonnant qui vient cueillir le public pour une balade faite de surprises, d’humour et d’amour.
Disons le d’entrée, le terme « seule en scène » ne lui convient vraiment pas, tant l’artiste fait son show avec et pour nous. Immédiatement, le public est pris à bras le corps, dans une étreinte faussement sauvage mais vraiment chaleureuse, lui faisant égrener une leçon de chant façon Marianne donnée durant 1 h 30 émaillée de multiples surprises, pendant laquelle le public rit, chante et applaudit, tout cela en même temps et sans temps mort. Pour ce qui pourrait ressembler à une Histoire du chant, de la préhistoire à nos jours, elle évoque l’évolution, les cordes vocales, le corps humain, mais pas que.… Tout ce qu’elle dit est rigoureusement vrai, mais rien n’a l’air sérieux puisque tout est affirmé avec cet humour tranchant et surprenant que Marianne James affectionne. Elle se livre à des imitations irrésistibles, se confie, nous raconte des histoires et, grand moment, nous donne sa version de Guillaume Tell. Face à ces élans de générosité si touchants, le public, transformé en chorale en répétition, séduit et conquis dés les premières secondes, s’abandonne, donne tout et se livre de bon cœur à d’hilarantes vocalises. Impossible à résumer tant il est dense, ce spectacle enchanteur ô combien vivant, dans lequel nous retrouvons un subtil condensé du parcours de Marianne James, est une incarnation parfaite de ce que devrait être tout artiste : un infatigable diffuseur de bonheur !
Scène Libre : 4, bd de Strasbourg 75010 Paris du jeudi au samedi à 19 h et dimanche 15 h – 01 42 38 97 14
La dernière pièce d’Ivan Calbérac est construite autour de Glenn Gould, l’un des plus grands pianistes du XXème siècle. Par son humour, sa sensibilité et une distribution irréprochable, « Glenn, naissance d’un prodige » est un moment particulièrement fort et émouvant qui va marquer cette saison théâtrale.
Le monde de la musique nous a habitué aux personnalités hors du commun, parfois fantasques, toujours promptes à se singulariser. Avec Glenn Gould, nous atteignons des sommets tant cet artiste atypique poussa l’originalité et le mal-être à l’extrême. Né à Toronto en 1932, Glenn Gould est un surdoué. Doté de l’oreille absolue, il commence très jeune une carrière de pianiste concertiste. Mais ce génie, couvé par une mère ultra protectrice (pour le dire gentiment) qui n’abandonnera jamais l’habitude de dormir avec son fils, est atteint du syndrome d’Asperger responsable chez lui de dérèglements majeurs. L’artiste paranoïaque se montre incapable de vivre une relation sentimentale et ne peut supporter très longtemps la « confrontation » avec le public que ses concerts lui imposent. Renonçant à ses succès à travers le monde, il se consacre aux enregistrements parmi lesquels les fameuses « Variations Goldberg » de J.S. Bach auquel son nom est associé pour l’éternité, reconnaissables entre mille, notamment par le chantonnement surprenant que l’on entend tout au long de son interprétation lente et inspirée.
Cette exceptionnelle mais courte trajectoire (Gould meurt à 50 ans, usé par les médicaments et autres tranquillisants dont il se gavait et une hygiène de vie déplorable) Ivan Calbérac nous la fait revivre sur scène. Grâce à une mise en scène particulièrement inventive qu’il a signée, l’auteur parvient à brillamment résumer cette vie sans jamais cesser de mettre en avant ce qu’elle pouvait avoir de drôle et de dramatique à la fois. La musique est présente, sans être omniprésente et c’est aux comédiens qu’il revient de transcender cette magnifique partition théâtrale. Dans le rôle titre, Thomas Gendronneau excelle. Depuis l’enfance jusqu’à la mort, il joue ce pianiste aux innombrables névroses avec une justesse remarquable. Le fait d’être musicien a dû aider ce jeune comédien à se couler dans la peau de ce personnage impossible. Aucune fausse note dans son interprétation virtuose. Face à lui, dans le rôle de la mère ô combien castratrice et jalouse, consumée par un amour filial excessif et l’envie de vivre par procuration cette carrière de grande pianiste dont elle rêvait, Josiane Stoleru nous offre une incarnation magistrale. Bernard Malaka est touchant en père qui ne peut contenir les excès de sa femme et qui ne reconnait ses fautes que tardivement face à sa nièce, (irréprochable Lison Pennec) amoureuse transie son fils. Benoît Tachoires est parfait dans ses habits d’impresario bon vivant qui finit par jeter l’éponge tandis que Stéphane Roux agrémente cette belle distribution avec plusieurs personnages dont celui de directeur d’un grand studio musical.
Pour notre plus grand plaisir, Ivan Calbérac a donc réussi un triple exploit : faire revivre une légende du piano sur scène à travers un texte d’une richesse et d’une dynamique impressionnantes, dit par une troupe qui, dans les derniers instants, après nous avoir fait rire et vibrer sans discontinuer, nous arrache quelques larmes. De toutes ces émotions fortes, nous leur sommes reconnaissants.
Philippe Escalier
Petit Montparnasse : 31, rue de la Gaité 75014 Paris
Du mardi au samedi à 21 h et dimanche à 15 h – 01 43 22 77 74
Au Théâtre de la Contrescarpe, Gabriel Marc nous propose un spectacle émouvant, faisant renaitre sous nos yeux la fulgurante trajectoire de Jacques de Bascher, le dandy, prince de tous les excès ayant régné sur le monde de la nuit dans les années 70 et 80.
Gabriel Marc dans Jacques de Bascher
La mort de Karl Lagerfeld qui fut son compagnon et les deux biopics consacrés à Yves Saint Laurent dont il fut l’amant ont remis Jacques de Bascher sous les feux de la rampe. Bien avant cela, Gabriel Marc s’est pris de passion pour ce personnage hors du commun, dont la vie courte n’est connue que pour avoir partagé celle de gens célèbres. De fait, hormis quelques photos, il n’existe sur lui que des témoignages parcellaires. Né en 1951, avec un nom à particule, le jeune homme ne détient aucun talent particulier mais il est d’une beauté et d’un charme propres à lui ouvrir les plus belles portes. C’est ainsi qu’à vingt ans, il rencontre et s’attache pour la vie Karl Lagerfeld dont il sera le seul et unique amour. En bon aristocrate, Jacques de Bascher entend vivre comme il l’entend en rupture avec les conventions d’une société dans laquelle il évolue mais qui n’est pas vraiment la sienne. Comme s’il était encore un seigneur du XVIIe siècle, ne pas travailler et s’occuper de ses plaisirs reste sa ligne de conduite, d’autant que Karl s’occupe de l’intendance. Sa rencontre avec Saint Laurent qu’il rendra presque fou a failli menacer la bonne marche de la grande maison. Mais Pierre Bergé veillait et n’ira pas par quatre chemins pour interrompre cette liaison impossible.
Gabriel Marc a choisi les épisodes marquants de cette vie débridée. Il fait débuter son récit en 1984, quand de Bascher apprend sa séropositivité. Il sait que ses jours sont comptés. Désemparé, il cherche du réconfort auprès de son amie, Diane de Beauvau-Craon la princesse aussi déjantée que lui. Il appelle sans cesse Lagerfeld pour qui il enregistre les détails de sa vie sur des cassettes, en guise de testament amoureux. Durant un peu plus d’une heure, nous allons faire des aller-retour entre les moments forts de cette vie fracassée, passée à s’habiller avec le plus grand raffinement, à lancer des piques assassines à tous ceux qui ne sont pas à la hauteur autour de lui et surtout à s’envoyer en l’air en toutes occasions. En cela, Jacques de Bascher fut loin d’être unique. Pourtant, si la nuit parisienne regorgeait de personnages jouisseurs et vénéneux, elle n’en connut qu’un seul, vénéré sa vie durant par Karl Lagerfeld. La mise en scène de Guila Braoudé permet de recréer l’univers impitoyable dans lequel il évolua tout en rendant le texte parfaitement vivant, comme si Jacques de Bascher avait enfin consenti à nous inviter chez lui. Comment ne pas y croire quand Gabriel Marc est tout entier dans la peau de son personnage, avec sa désinvolture, ses peurs, ses addictions ? Rien ne lui échappe. Le comédien en a compris toutes les facettes, tous les mystères. Chacun de ses mots, de ses gestes et de ses attitudes nous disent qui était finalement Jacques de Bascher : un mélange explosif de Visconti et de Pasolini, un épicurien, infernal jusqu’à l’autodestruction, malheureux à en mourir d’être privé du génie de ceux qui l’ont entouré mais qui parvint à faire de sa vie un roman. Un roman que Gabriel Marc nous fait découvrir et partager avec une générosité sans pareille.
Philippe Escalier
Théâtre de la Contrescarpe : 5, rue Blainville 75005 Paris
Avis de tempête aux Gémeaux : le « Coscoletto » de la compagnie Les Zolibrius fait souffler un vent de folie sur le festival OFF d’Avignon. Une belle découverte aussi surprenante qu’hilarante !
Après « Monsieur Choufleuri » et « L’Ile de Tulipatan », les Zolibrius ont eu la bonne idée de ressusciter une courte opérette de Jacques Offenbach en deux actes datant de 1865. Le livret et la partition ayant totalement disparu en France, il ne subsistait qu’une version allemande qui a servi de base à cette remarquable renaissance. Tout ce qui est signé du maître de l’opérette, chouchou du Second Empire, portant l’assurance d’une qualité musicale, bien leur en a pris ! Ce vaudeville loufoque à souhait, est construit autour d’un marchand de macaronis marié à une femme que tout son entourage lui envie. Maladivement jaloux, il entre en guerre contre tous les hommes amoureux du quartier avant qu’un réveil du Vésuve ne vienne rappeler ce petit monde à plus de réalisme. La mise en scène de Guillaume Nozach, qui signe l’excellente adaptation particulièrement riche et inventive avec Vinh Giang Vovan, contribue à faire de cette délirante tornade musicale, très retravaillée mais fidèle à l’esprit d’Offenbach, un petit bijou. Cet hymne à l’amour aux multiples péripéties et aux personnages cocasses est mené tambour battant par une troupe exemplaire accompagnée par un pianiste et une violoncelliste (Jeyran Ghiaee et Maëlise Parisot). Alexis Meriaux, magnifique dans le rôle titre et dont on jurerait lors de la bacchanale finale qu’il a le diable au corps, est entouré de Laetitia Ayrès, Nicolas Bercet, Dorothée Thivet, Hervé Roibin et Alexandre Martin-Varroy Tous se donnent entièrement, avec autant de justesse que de talent pour nous offrir 1 h 10 de pur plaisir. Le final étant grandiose, le public subjugué et quasi envouté n’hésite pas une seconde à se lever pour leur faire une généreuse ovation amplement méritée.
Philippe Escalier
Les Gémeaux à 16 h 40 : 10, rue du Vieux Sextier, 84000 Avignon – 09 87 78 05 58
La nouvelle création des Épis Noirs fait salle comble au Théâtre du Balcon faisant souffler un vent de folie dans le OFF 2022 avec un spectacle délirant et haut en couleurs.
BRITANNICUS
PHOTO : OLIVIER. BRAJON
L’une des traditions des Épis Noirs est de s’attaquer à nos grands mythes fondateurs. Avec visiblement un goût particulier pour Racine. Après « Andromaque », les voici en train de revisiter « Britannicus ». De fond en comble. Poésie, burlesque et musical sont les armes avec lesquelles Pierre Lericq (auteur, metteur en scène assisté de Bérangère Magnani) et sa troupe dézinguent celui qui, avec Corneille, est le plus grand de nos classiques. L’œuvre de Racine n’est qu’un prétexte à plus d’une heure de spectacle absolument déjanté. Certes, les personnages de la tragédie sont là mais ils disent leur propre texte pimenté de quelques alexandrins dans une ambiance de cirque assez fellinienne, où le clown serait roi. Imaginez-vous en mai 68 après JC. Si l’on résume l’intrigue, vous allez dire : « Mais c’est quoi ce cirque ? ». Et c’est là que les Epis Noirs interviennent. Pierre Lericq installe le théâtre dans le théâtre et, en Monsieur Loyal, conduit son petit monde, association d’intermittents du spectacle ratés, à coups de fouet, vantant auprès du public ses qualités de dresseur. Une dureté indispensable pour tenir ces artistes enivrés par la scène, toujours prêt à donner le bras quand on ne leur demande que la main. Tout est massivement surligné et pourtant, rien n’est excessif. Il n’est pas si exagéré de penser que cet ouragan rock et circassien pourrait être bien plus proche de l’auteur qu’on ne le croit. Mais oublions Racine, devenu ici roi des Punks et restons avec nos personnages lunaires et loufoques. Britannicus reste séduisant, pas seulement parce qu’il a l’apparence de l’excellent Jules Fabre mais parce qu’il touchant en grand ado inconscient, trop cool, amoureux de Junie qu’il préfère au pouvoir. Face à lui, Néron prend les traits de Tchavdar Pentchev qui est au centre du show auquel il contribue à donner avec brio, toute son intensité. Inquiétant maître chanteur, inhumain, rendu narcissique et violent par l’amère Agrippine que Marie Réache transforme avec talent en folle furieuse, sorte de mante religieuse incestueuse, obsédée par l’idée de mettre son fils sur le trône. Pour cela, elle prépare une omelette empoisonnée pour le malheureux Claude. Morale : on ne fait pas de coup d’État sans casser des œufs. Mais Néron veut, quoique marié, être aussi uni à Junie à laquelle Julie de Ribaucourt prête son art et sa grâce pendant que Gilles Nicolas, serviteur obséquieux est occupé à décrire tout haut le moindre de ses mouvements.
Cette troupe de comédiens musiciens danseurs sait tout faire, depuis tenir le public en haleine et en joie jusqu’à transformer un grand désordre apparent en monumentale réussite scénique. Ce théâtre populaire contribue à donner ses lettres de noblesse au spectacle vivant et du bonheur à ses spectateurs. Que demande le peuple ?
Une compagnie de six jeunes danseurs venus de Taipei nous offre un ballet d’une heure à la Condition des Soies mettant l’accent sur le silence, les rythmes et les traditions orientales, le tout dans un style très épuré qui fait merveille.
Croiser des troupes ou des compagnies venues de l’autre bout de la planète est l’un des charmes du festival OFF. La rencontre avec la compagnie taïwainaise Tai Gu Tales Dance est un moment rare qui a commencé, comme souvent durant le festival, dans les rues de la ville au cours d’une de ces fameuses parades de présentation durant laquelle les danseurs jouent avec des tissus dans des couleurs ocres harmonisées à leur bronzage. Dans la salle ronde de La Condition des Soies, les choses sont un peu différentes. Un éclairage à la bougie maintient les intervenants dans une obscurité quasi générale imposée par les thèmes du ballet, à savoir le corps de la mère, la naissance, le parcours de vie puis l’effacement final. « The Back of Beyond » a été jouée pour la première fois en 1991 puis remaniée en 2019 par la chorégraphe Hsiu-Wei Lin. Dans cette nouvelle version, l’esthétique est très épurée, l’essentiel seul apparait. Les mouvements alternent entre une lenteur silencieuse et des séquences énergiques et sonores mais l’on retient surtout cette beauté hiératique qui captive toute notre attention, offrant à nos yeux des moments d’une grande beauté. Peu importe alors que les novices en danses asiatiques que nous sommes hésitent parfois quant au sens à donner. Du reste, tout est fait pour laisser une place au rêve et à l’imagination. En cette chaude après midi d’été, WU Tsai-Lin, TSAI Yun-Shan, LIANG Shu-Ning, CHU Po-Cheng, LIN Yi-Yuan, LEE Hsuan-Lung à qui nous devons rendre hommage, ont su nous apporter à travers leur superbe spectacle, un moment de dépaysement total et plus encore, l’envie de découvrir et mieux connaitre l’art de la danse venu de Taïwan.
Philippe Escalier
The Back of Beyond : Théâtre de la Condition des Soies 13, rue de la Croix 84000 Avignon
Dés les premières représentations il était évident que ce Misanthrope étonnant, mis en scène par Thomas Le Douarec au Théâtre des Lucioles et qui cumulait les qualités allait faire partie des pièces que tout le festival d’Avignon allait saluer et applaudir.
Après les succès remarqués du « Portait de Dorian Gray » et de « L’Idiot » il était facile d’imaginer que le Misanthrope de Thomas le Douarec, assisté de Virginie Dewees, allait ressembler à aucun autre. S’emparer de la plus belle pièce de Molière en la mettant au goût du jour n’était pourtant pas chose simple. Certes, l’étonnante modernité du texte pouvait l’y aider. Encore fallait-il choisir le bon fil rouge et tout transformer sans rien dénaturer. Le pari est gagné, haut la main. Jouant sur l’étonnante continuité à travers le temps des défauts humains, le metteur en scène a recours à ce qui caractérise notre époque, les boites de nuit et leur excès, les selfies et autres vidéos sur les réseaux sociaux propres à nourrir un narcissisme devenu hors de contrôle. Se divertir, exister au prix de provocations, médire et exclure, flatter pour séduire, séduire pour vivre, voilà bien ce qui caractérise le genre humain, quels que soient les siècles et les supports de communication, lettres écrites à la plume, pamphlets ou, des nos jours, vidéos postées compulsivement. Ce Misanthrope se déroule bien aujourd’hui et peut-être vu par tous, y compris les très jeunes ou les plus éloignés du théâtre et reste pourtant d’une fidélité sans faille à l’auteur qui traite en 1666 de sujets qui pourraient servir aujourd’hui de thème au bac philo : « Peut-on vivre en société sans mentir ? », « Le compromis est-il compromission ? » (sujet pour députés débutants) ou encore « La moralité poussée à l’extrême est-elle une qualité ou un défaut ? ». Énergique, surprenante et ébouriffante, cette mise en scène éclaire magnifiquement cette pièce et donc le genre humain.
Sur scène, il fallait une troupe aussi jeune que talentueuse, capable de porter ce travail au sommet et de faire entendre ce texte avec une implacable justesse. Avec Jean-Charles Chagachbanian nous tenons un bel Alceste introverti trop excessif pour être heureux et toutes les tentatives de Philinte, magnifique Philippe Maymat n’y changeront rien. Thomas Le Douarec incarne un Oronte onctueux avant d’être venimeux, Jeanne Pajon en Célimène nous a étonné par sa présence, son charme mais surtout sa capacité à habiter royalement ce rôle impressionnant. Justine Vultaggio interprète Eliante avec la force et la justesse qu’on lui connait, Valérian Behar-Bonnet (qui signe aussi la musique) et Rémi Johnsen sont parfaits en deux jeunes écervelés imbus d’eux-mêmes, nous offrant quelques moments d’anthologie, Caroline Devismes, pour sa part, est une somptueuse Arsinoé toxique. Tous nous donnent envie de lancer haut et fort : « Molière est une fête ! ».
En ayant réussi ce mélange de modernité et de classicisme, en nous retraçant l’histoire de ce célèbre enquiquineur rabat-joie de la plus joyeuse et enivrante des façons, Thomas Le Douarec et la troupe qui l’entoure nous apportent sur un plateau un des ces moments qui contribuent à nous rendre toujours heureux d’aller au théâtre. Qu’ils soient tous chaleureusement remerciés !
Philippe Escalier
Théâtre des Lucioles, 10 Rempart St Lazare, 84000 Avignon À 15 h 45 sauf le mercredi. Jusqu’au 30 juillet 2022 – 04 90 14 05 51
Qu’elles fassent partie du grand répertoire où qu’elles se présentent sous une forme plus courtes et plus modestes, les opérettes de Jacques Offenbach sont toutes irrésistibles et délicieuses. Quand elles sont jouées avec la distribution qui s’affiche au Girasole, le plaisir est total.
Dans « Pomme d’Api », le personnage principal répond au doux nom d’Amilcar Rabastens. Ce célibataire endurci, adepte des amours ancillaires, n’entend pas s’ennuyer et réclame une belle jeune fille en guise de domestique à un bureau de placement. Dans le même temps, il recueille chez lui son jeune et charmant neveu à qui il a demandé de rompre sa relation qui, selon lui, était trop durable. Le pauvre garçon arrive donc totalement désespéré. Or, il se trouve que la jeune domestique n’est autre que…Vous pouvez imaginer la suite. Comme à son habitude, Offenbach surfe sur les situations les plus absurdes qu’il magnifie par des airs d’une qualité musicale irréprochable tranchant avec les textes loufoques à souhait de Ludovic Halévy, son librettiste attitré. Parmi les tubes de cette œuvre assez courte, l’on retiendra l’inénarrable « Va donc, va donc chercher le grill », permettant d’aborder ainsi, en cette période estivale, le thème majeur, trop souvent oublié…de la côtelette ! Tout est léger, totalement déjanté et d’une drôlerie sans nom. Cerise sur le gâteau, cette production se caractérise par un professionnalisme remarquable. La mise en scène d’Olivier Broda, un petit bijou, est aussi raffinée que stylisée, décuplant les effets comiques de ce scénario fou et mettant en valeur les qualités artistiques des trois comédiens chanteurs vocalement et scéniquement parfaits. Alice Fagard (on ne repousse pas une fiancée avec une voix pareille !), Frank Vincent, magistral comme toujours et Joris Conquet parfait dans tous les aspects comiques de son personnage tout en assurant avec brio sa partie chantée. La pianiste Delphine Dussaux accompagne ce trio infernal non sans démontrer qu’elle peut, elle aussi, jouer la comédie. Tous quatre nous font passer un inoubliable moment d’une gaieté et d’une fraicheur indispensables par les temps qui courent.
Philippe Escalier
Théâtre du Girasole : 24 bis rue Guillaume Puy, 84000 Avignon – tous les soirs à 21 h 15 sauf le lundi
Dans une chambre universitaire, deux jeunes étudiants papotent tout en se draguant gentiment. Lui est un peu pressé de conclure, elle, étudiante en théologie, entend prendre son temps. Très vite le couple va se former, s’aimer, s’épanouir et avoir un enfant. Pourtant rien ne va se passer comme prévu. La pièce de Ken Jaworowski, dramaturge, rédacteur en chef et critique pour le New York Times a la fluidité, la précision et le réalisme propres aux auteurs anglo-saxons, avec cette particularité qui n’appartient qu’à ce pays puritain, pour ne pas dire religieux, que sont les États-Unis : on y parle, comme son titre peut le laisser supposer, de Dieu. Mais ce texte, si riche en surprises qu’il pourrait faire pâlir d’envie un thriller, ne peut se réduire à un seul thème. L’intrigue, issue d’un épisode vrai, exige, pour ne rien perdre de son charme, d’être laissée à l’entière découverte du public d’autant que la mise en scène d’Aurélie Camus, d’une inventivité remarquable, nous tient en haleine jusqu’au terme. La gravité du sujet (comment affronter l’arrivée d’un enfant qui n’est pas la source de joies tant attendues ?) se découvre progressivement, grâce au jeu subtil et sensible des comédiens. Pour nous faire vivre cette émouvante histoire, Anne-Laure Maudet, Aurélie Camus, Romain Poli et Denis Lefrançois sont à l’unisson, tous parfaitement habités par leur rôle, nous donnant l’impression de nous prendre par la main dés les premières secondes jusqu’aux applaudissements de fin, d’autant plus nourris que les spectateurs ont visiblement le sentiment d’avoir vécu, avec eux, une aventure théâtrale venue les toucher au cœur.
Philippe Escalier
Théâtre Le Grand Pavois : 13, rue Bouquerie 84000 Avignon Tous les jours à 12 h sauf le mardi
Ce jeune comédien est à l’affiche du Festival OFF d’Avignon dont il est un des habitués avec, cette année encore, deux pièces dont le rôle titre dans la dernière création d’Ivan Calbérac consacrée au pianiste Glenn Gould, « Glenn : naissance d’un prodige » actuellement au Théâtre des Béliers avant de rejoindre le Petit Montparnasse à Paris à la rentrée. Nous revenons avec lui sur son parcours dont la richesse justifie déjà une rétrospective.
Thomas, si l’on vous regarde, vous avez trente ans et pourtant quand on observe la densité de votre CV, on a l’impression que vous en avez quinze de plus ! (Rires) Ce qui peut vous tromper c’est que j’ai eu la chance de faire beaucoup de choses et de travailler sur des projets très différents. Depuis « Les Damnés » dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes avec la Comédie Française où je n’avais pas un rôle majeur mais où je faisais partie du choeur et d’une troupe formidable, en passant par mes spectacles avec ma compagnie La Caravelle jusqu’à ce Glenn Gould qui vient tout juste de commencer à vivre.
Peut-on parler d’une dominante chez vous de spectacles liés à l’Histoire ? C’est une de mes facettes mais j’aime par dessus tout mélanger les genres. Si vous pensez à « Marie Tudor » à la Pépinière, par exemple, j’ai composé la musique et je jouais de la guitare sur scène, dirigé par Philippe Calvario. Je l’ai rencontré au sortir des Cours Florent dans le cadre du Prix Olga Horstig pour « Shakespeare in the woods » un montage autour de différentes pièces de l’auteur anglais qui fut ensuite à l’affiche des Bouffes du Nord. S’il devait y avoir une dominante, ce serait le mélange du théâtre et de la musique puisque ce sont mes deux métiers. J’ai fait une formation de danse, j’ai toujours aimé chanter. Ce qui est génial dans notre travail c’est de ne pas trop avoir de limites et de pouvoir faire un peu tout, y compris acquérir constamment de nouvelles compétences capables de nous enrichir.
Vous avez aussi collaboré avec éric Ruf. Diriez-vous que vous avez une appétence particulière pour la mise en scène ? J’ai eu la chance d’être l’assistant de cet homme brillant, dans « Bajazet » toujours à la Comédie Française et ce, avant de partir en tournée. Voir éric Ruf diriger les acteurs, je devrais plutôt dire les orienter tellement c’est subtil, m’a beaucoup appris. De fait, j’ai toujours aimé la mise en scène, j’en suis à la 6eme. Il y a pour moi une vraie complémentarité avec le métier de comédien.
Quand on est sur scène, est-il difficile d’oublier que l’on est aussi metteur en scène ? Il faut lâcher prise même si c’est un peu compliqué. Ceci dit, tous les acteurs vous diront que lorsqu’ils jouent, ils pensent à une foultitude de choses en même temps. Jusqu’au moment où l’on est totalement dans le rôle et que l’on ne pense à plus rien d’autre ! Sur ce Glenn Gould, Ivan Calbérac était très facile à suivre, avec des idées précises dans les grandes lignes, une sorte de canevas nous laissant gérer les aspects plus intimes du personnage, avec ce que nous pouvons y ajouter en termes de sincérité, d’émotion et de densité.
« Glenn : naissance d’un prodige » vous donne votre premier rôle titre majeur. Vous attendiez-vous à trente ans à peine à interpréter un pianiste mondialement connu ? Pour jouer un personnage que l’on voit évoluer entre 11 et 50 ans, je suis parfaitement au milieu ! Mais il faut reconnaitre que c’était un pari surtout si l’on sait que dans ce genre de situation, l’on prend habituellement un acteur plus âgé que l’on rajeunit ensuite. Et je me souviens de ce prof qui disait qu’il fallait une décennie pour faire un acteur ayant de la densité et de l’expérience. Ceci dit, c’était une surprise au sens où l’on cherchait un comédien pianiste. Or, je suis surtout guitariste, batteur, bassiste, compositeur et complètement autodidacte mais avec un lien très fort avec la musique. Donc avant même de commencer le casting je me suis inquiété du niveau de piano requis. La surprise a aussi été d’être appelé après de longs mois de travail, au moment de partir en vacances. Au départ, réaction normale, je pensais n’avoir guère de chances mais j’ai quand même tout annulé pour passer l’audition ! Le prix à payer pour cette exposition, c’est une pression et un trac un peu plus important que d’habitude.
Comment êtes-vous arrivé sur ce rôle ? C’est un heureux hasard. Ivan Calbérac m’a vu jouer en début d’année au Théâtre Paris-Villette dans « Songe à la douceur » de Justine Heynemann où je faisais de la guitare, de la batterie et du piano mais aussi dans « No Limit » de Robin Goupil, l’an dernier ici même, une pièce que je joue encore cette année avec plaisir. En audition, après avoir noté qu’avec mes cheveux un peu longs il y avait une certaine ressemblance, Ivan nous fait jouer trois scènes, il y en avait pour 45 minutes, une sacrée tartine ! Tout s’est très bien passé, j’ai aimé sa façon de diriger, de m’arrêter pour me demander un détail et de recommencer, comme s’il s’agissait d’une prise au cinéma (Ivan Calbérac est aussi réalisateur de films !).
Si vos cheveux avaient été plus courts, est-ce que votre carrière aurait été changée ? Peut-être (rires). D’ailleurs j’en ai pas mal joué et je savais que, malgré l’été et la chaleur d’Avignon, je ne pourrais pas les couper trop courts. Une certaine ressemblance physique peut être importante, elle peut aussi aider à incarner un personnage.
Le rôle est difficile du fait de toutes les particularités de Glenn Gould. Tous les gestes, tics et autres attitudes qui caractérisent cet artiste hors du commun, êtes-vous amené à les apprendre, un peu comme du texte ? Je l’ai beaucoup regardé en sachant aussi ce dont Ivan Calbérac voulait parler, à savoir son syndrome d’Asperger et le fait d’être psychologiquement torturé. Il y a des gestes qui reviennent en effet et en même temps, je garde une certaine liberté surtout après avoir bien intégré son personnage et ses réactions. Cela devient presque automatique, quand je rentre sur scène, j’entends une réplique et c’est le corps de Glenn Gould qui réagit, ce n’est plus moi. Avant de jouer, je me mets au piano, j’y passe quelques minutes, c’est ma façon de me mettre dans l’ambiance. Aujourd’hui Glenn Gould est forcément quelqu’un avec qui j’ai une relation particulière.
On vous retrouve après le festival d’Avignon pour ce même spectacle en septembre à Paris au Petit Montparnasse. Quid de vos activités musicales ? Le fait de jouer le soir au Petit Montparnasse me permettra, du 12 au 23 septembre 2022, de répéter « Ariane », une pièce que j’ai écrite et que je mets en scène. La musique est présente puisque c’est l’histoire d’une chanteuse interprétée par Chloé Astor avec qui je chante en duo dans CavaleCavale. « Arianne » a la chance d’être co-produite par la Scène Nationale de Sénart et sera donnée en mars 2023 avec sept artistes au plateau. Le spectacle est inspiré du mythe d’Ariane et des destins tragiques des grands chanteuses populaires. Avec CavaleCavale, nous terminons l’enregistrement de notre deuxième album par un clip et un spectacle. Nous avons gagné un Prix d’interprétation et nous sommes accompagné par L’Empreinte, un lieu de Seine et Marne dont je suis originaire disposant d’un grand plateau et dans lequel nous sommes quasi en résidence. À partir de janvier, nous faisons une série de concerts spectacle avec une scénographie, une création lumière. Pour les chanteurs et comédiens que nous sommes, c’est assez naturel de donner à notre concert une ligne dramaturgique. La rentrée s’annonce très excitante !
La pièce de Michel Marc Bouchard est interprétée à L’Atelier 44 d’Avignon par la Compagnie Nacéo avec une interprétation remarquable donnant au spectacle toute sa force et son intensité.
Si c’est le cinéma qui a rendu cette pièce célèbre, seule la magie du spectacle vivant est capable de traduire la complexité et la richesse de cette œuvre inclassable. En particulier quand la mise en scène d’Olivier Sanquer (familiarisé avec le travail de l’auteur québécois) est d’une sobriété exemplaire, jouant avec les lumières et le son (musique très appropriée assez obsessionnelle ayant parfois des tonalités religieuses) et donnant aux mots leur poignante signification, et ce, même si Michel Marc Bouchard est passé maître dans l’art de l’ambiguïté. Le stéréotype n’est pas sa tasse de thé ! C’est peu dire que les quatre personnages réservent des surprises et que le récit n’a rien de linéaire. Dans cette pièce, personne n’est vraiment ce qu’il semble être, que ce soit le frère, qui cache sa fragilité derrière sa violence, l’amant qui subit sans ciller les pires tourments, paraissant même y trouver goût ou la mère qui prêche une vérité sans partage alors que le mensonge s’est insinué partout pour des raison de survie mais qui est pourrait bien être la seule responsable de tout ces drames. Pour interpréter ces quatre personnages insaisissables, il fallait quatre comédiens inspirés, tout en retenue, capables de nourrir les tableaux en clair obscur que sait peindre Olivier Sanquer. Vinicius Timmerman est parfait dans le rôle titre, avec sa sensibilité à fleur de peau, sublime Saint-Sébastien à qui il ne faut pas se fier, Axel Arnault relève le défi de jouer avec subtilité son personnage de brute épaisse désireuse de tout régenter, Marie Burkhard est étonnante par l’éclat de son interprétation et cet art de brouiller savamment les pistes. Amandine Favier sait, quant à elle, donner du relief à la jeune femme surprenante et presque loufoque qu’elle incarne. Ensembles, ils nous entrainent dans cette pièce aux allures de fantasme cauchemardesque et nous laissent au final, surpris, sidérés mais conscients d’avoir assisté à un vrai et rare moment de théâtre.
Philippe Escalier
Atelier 44 : 44 rue Thiers 84000 Avignon tous les jours à 12 h 50
Simon Larvaron fait partie, avec Salomé Villiers et Michaël Hirch du trio gagnant ayant interprété « Le Montespan » mis en scène par Etienne Launay au Théâtre de la Huchette, l’un des grands moments de la saison qui se termine et qui sera présent au Festival OFF d’Avignon 2022 au Théâtre de la Condition des Soies. Nous revenons avec lui sur ce début de carrière réussi et prometteur.
Le succès rencontré par « Le Montespan » à la Huchette récompensé par un Molière et que vous reprenez au festival d’Avignon vous a-t-il surpris ? Je crois que l’on s’attend rarement à ce qu’un spectacle soit un succès et ce, même si Jean Teulé est un auteur très populaire, «Le Montespan » faisant partie de ses plus grands succès. Les lecteurs ne pouvaient être que curieux de voir comment ce roman pouvait être adapté sur scène, avec ses nombreux personnages et ses 100 lieux différents. L’une des grands prouesses de Salomé Villiers (Molière de la Révélation féminine 2022) a été d’avoir su condenser cette histoire pleine de rebondissements, en une heure trente, mêlant humour et moments dramatiques, permettant au bouche à oreille de fonctionner immédiatement.
Ce qui frappe dans votre parcours, c’est le nombre de rôles historiques que vous avez joués, tant sur scène qu’à l’écran. Comment l’expliquez-vous ? Très honnêtement je ne sais pas. On me dit souvent que j’ai un visage un peu racé pouvant fonctionner avec des personnages d’époque. Mais je suis très mauvais juge en la matière. Toujours est-il que la première chose importante que j’ai faite en tant que comédien, c’était Charles VIII dans la série « Les Borgia ». Il n’est pas du tout désagréable, c’est même un peu grisant, de jouer des personnages historiques, toujours très différents de surcroit, en particulier quand ils sont aussi attachants que Montespan. Pour couronner le tout, je ne vous surprendrais pas en vous disant que je dois faire un tournage à la rentrée dans lequel je jouerai un comédien chargé d’incarner un personnage d’époque !
Dans « Le Montespan », face à Michaël Hirch au potentiel comique très développé, à l’aise dans ses rôles travestis, n’avez-vous pas un peu de mal à garder votre sérieux ? C’est parfois un peu difficile en effet, même si l’on ne peut bien jouer dans ce genre de pièce qu’en étant très concentrés. Salomé Villiers et lui sont toujours en recherche pour faire évoluer leurs personnages, c’est là que l’on peut se faire surprendre, face à leur capacité à être innovants et à inventer des choses. Mais je me permets de les mettre aussi un peu en difficulté de temps à autre pour que nous soyons à égalité (rires) !
Comment s’est faite votre rencontre avec Jean-Philippe Daguerre qui vous a mis en scène à plusieurs reprises ? Je l’ai rencontré sur « Le Monde plat » monté par Etienne Launay, c’est à cette occasion qu’il m’a proposé de reprendre Christian dans son « Cyrano » et de passer une audition pour « Dom Juan ». Au départ, pour Molière, je n’étais pas disponible devant jouer dans « Beaucoup de bruit pour rien » que mettait en scène Salomé Villiers. Au final, j’ai trouvé un arrangement et j’ai pu jouer « Dom Juan ». À la suite de quoi Jean-Philippe m’a proposé de reprendre le rôle de Pierre Vigneau dans « Adieu Monsieur Haffmann » ce qui était aussi un cadeau extraordinaire, payé par un peu de stress au tout début, je me demandais ce que j’allais pouvoir faire de plus ou de mieux que Grégori Baquet. Une fois sur scène, tout cela disparait, l’on donne le meilleur, happé par cette histoire, sa capacité à captiver le public avec cette fin qui est devenue une scène d’anthologie.
Pourra-t-on vous revoir dans le « Dom Juan » ? Oui, nous faisons à la rentrée une grande tournée agrémentée de quelques dates à Paris au Ranelagh* entre octobre 2022 et mars 2023. C’est une vraie expérience : la pièce est d’une incroyable complexité, avec des aspects modernes étonnants. Là aussi, c’était un beau défi : comment raconter cette histoire avec une adaptation où l’on trouve du chant, de la danse, un côté circassien aux accents felliniens et qui s’avère être un véritable tourbillon ? La richesse et la force de ce spectacle ont créé des liens très forts entre tous les comédiens.
Peut-on dire que le court-métrage est une autre de vos spécialités ? J’ai suivi une formation audiovisuelle à Nantes sur 3 ans, qui m’a permis de toucher à tout, image, lumière montage à la suite de quoi je me suis spécialisé sur la production. Cela m’a permis de créer, avec ma femme Hélène Degy, le Collectif Toutcourt, qui est un vrai laboratoire artistique marqué par sa volonté d’accompagner dans leurs créations les membres de ce collectif et de raconter de belles histoires. Durant le premier confinement, j’ai réalisé avec Hélène un court-métrage un peu dystopique où l’on imaginait des gens qui n’avaient connu que la vie sous confinement et qui s’en trouvaient soudain libérés en montrant quels pouvaient être leurs sentiments par rapport à cet enfermement. Il y actuellement un joli film, un peu plus ambitieux, réalisé par Hélène Degy et Pierre Hélie qui est en cours de montage et que nous avons hâte de présenter au public.
Un mot pour finir sur le cinéma ? Je dirais que le cinéma n’est pas une obsession pour moi, même si j’aime énormément le jeu à la caméra. C’est une autre liberté que celle du théâtre, c’est un travail de l’intime qui nécessite un climat de confiance avec la personne qui nous dirige. J’essaie que ce soit très joyeux à chaque fois avec les équipes, il me semble que l’on travaille tellement mieux dans la détente ! Dans cet esprit, j’ai eu la chance de tourner dans « Ténor » avec MB14 et Michelle Laroque, sorti il y a quelques semaines. Une superbe expérience qui devrait être suivi à la rentrée par un projet avec Kad Merad, Isabelle Carré et Clovis Cornillac.
Propos recueillis par Philippe Escalier
LE MONTESPAN D’après Jean Teulé Adaptation : Salomé Villiers Mise en scène : Etienne Launay Avec : Michaël Hirsch, Simon Larvaron et Salomé Villiers
Théâtre La Condition des Soies : 13 Rue de la Croix 84000 Avignon – 04 90 22 48 43 16 h – durée 1h30 Relâche les 11, 18 et 25 juillet 2022
*DOM JUAN au Ranelagh, 5 rue des Vignes 75016 Paris Le 27 octobre 2022, 15, 20 et 27 janvier, 23 février et 16 mars 2023
Une comédie enlevée, désopilante et bien écrite est un plaisir qui ne se refuse pas. « Le Secret de Sherlock Holmes » au Théâtre La Bruyère est donc un passage obligé qui en réjouira plus d’un !
Mis à part Hercule Poirot, personne ne peut rivaliser avec Sherlock Holmes, son intelligence fulgurante et ses impressionnantes capacités de déduction. Christophe Guillon et Christian Chevalier ont décidé de se projeter à Londres en 1881 et de s’emparer de l’excentrique et célébrissime occupant du 221B, Baker Street pour bâtir une comédie redoutablement efficace, construite de façon exemplaire, avec un humour aussi fin qu’efficace. Les répliques fusent, ne laissant aucun temps mort au public qui s’amuse beaucoup, heureux de découvrir un spectacle déjanté d’un très bon niveau ayant fait un sort aux habituelles facilités trop souvent usitées pour tâcher de le faire rire.
L’intrigue est simple, elle met en opposition le fameux limier avec un assassin redoutable qui se sert d’une jeune et séduisante personne afin de parvenir à ses fins. Pour faire bonne mesure, le rebondissement final, assez inattendu, nous éclairera sur un aspect de la personnalité de ce cher Holmes. Si les trouvailles ne manquent pas (le rythme est trépidant) l’un des ressorts comiques repose sur l’inénarrable fonctionnaire de Scotland Yard, l’inspecteur Lestrade (un grand numéro signé Emmanuel Guillon), lent, naïf et stupide à souhait, dont l’ego est inversement proportionnel à ses capacités. L’un des co-auteurs, Christophe Guillon, s’est réservé le mauvais rôle, celui de l’impitoyable comte Sylvius. Pour le mettre hors d’état de nuire, Didier Vinson prête son talent et son allure nerveuse au détective, accompagné par celui qui va devenir l’ami fidèle, le docteur Watson (excellent Hervé Dandrieux) partagé entre l’admiration pour son colocataire et ses faiblesses pour les femmes, penchant que l’on comprend aisément quand on sait que c’est Laura Marin qui prête son savoir-faire (et son charme) à l’énigmatique et unique personnage féminin.
Avec un texte plein d’originalité, un humour dévastateur, une foule de références plus drôles les unes que les autres, le tout porté par une troupe à l’énergie remarquable mise en scène par Christophe Guillon, les ingrédients du succès sont réunis. Pour notre part, nous attendions avec une certaine impatience le plaisir de revoir cette pièce découverte au festival d’Avignon et à laquelle nous devons d’avoir passé, nous n’en ferons pas mystère, de très bons moments !
À Paris, c’est la salle Pleyel qui accueille le 13 mai 2022 les danseurs de Rock the Ballet pour une soirée anniversaire qui s’annonce inoubliable !
Il y a dix ans, les danseurs et chorégraphes Adrienne Canterna et Rasta Thomas ont trouvé la recette du succès. Ils ont marié, avec un sens inné du spectacle, des danseurs professionnels venus de la danse classique avec des chorégraphies ultra modernes bourrées d’énergie et boostées par des tubes musicaux empruntés aux plus grandes stars de la pop. Cet ouragan a modernisé la danse et changé le regard que le public pouvait porter sur cette discipline. Il a permis à la troupe de Rock The Ballet de multiplier à l’envi les manifestations prestigieuses. Au fil des ans, c’est plus d’un million de spectateurs dans une vingtaine de pays qui ont participé aux tournées d’une compagnie glanant au passage une myriade de prix internationaux. Pleyel s’avère être le lieu idéal pour ce concert anniversaire. La troupe s’y est, en effet, déjà produite en mars 2020 au cours de trois soirées marquantes. Ce retour aux sources se fait avec la présentation d’un nouveau spectacle signé Adrienne Canterna et construit sur une série de tableaux consacrés à la jeunesse. Cet hymne à l’amour et à la vie s’opère sur la base d’une trentaine de tubes signés Adele, Queen, Mickael Jackson, Madonna, Rihanna et Elton John pour n’en citer que quelques-uns. Sur ces musiques au pouvoir fédérateur incomparable, les dix danseurs de Rock The Ballet (3 filles et 7 garçons) vont venir séduire et enthousiasmer les spectateurs. Ensemble, ils vont nous rappeler que lorsqu’elle s’exprime avec autant de force et de talent, la danse, comme Paris, est une fête !
Au Théâtre du Gymnase, une séquence magnifiquement consTruite !
Ce petit bijou élaboré par Éric Bouvron et le groupe Accordzéâm autour de variations sur « La Truite » nous entraine dans un trépidant voyage musical en compagnie de cinq instrumentistes aussi talentueux que facétieux.
Sur le thème célébrissime du quintette de Schubert (popularisé par les détournements des Quatre barbus ou des Frères Jacques notamment), le groupe Accordzéâm a composé une série de variations aussi riches que raffinées, aux tonalités souvent espiègles, construites sur des parodies des grands styles musicaux classiques et populaires. Cette balade sonore inventive, drôle et originale nous fait passer par toutes les tonalités à travers tous les continents. Extrêmement rythmée, avec des enchainements enchanteurs, cette mosaïque musicale d’une homogénéité remarquable se termine, en toute logique, après nous avoir fait faire le tour de la planète, par de somptueuses variations sur la « Symphonie du Nouveau Monde ».
Cette partition est mise en scène avec une imagination sans limite et un irrésistible humour par Éric Bouvron qui orchestre magistralement la partie musicale à laquelle viennent s’ajouter des moments parlés faisant la part belle aux jeux de mots et autres calembours autour du poisson magnifié par Schubert, le tout en parfaite harmonie avec la subtilité des sons. L’humour régnant en maître, nous ne pouvons que constater à quel point, lorsqu’elle est, comme ici, tout en finesse, la parodie musicale peut être portée à des sommets. Franck Chenal à la batterie, Julien Gonzales à l’accordéon, Raphaël Maillet au violon, Jonathan Malnoury (hautbois et guitare) et Nathanaël Malnoury (contrebasse) font preuve d’une virtuosité rare à laquelle ils ajoutent un jeu d’acteur irréprochable. Le concert et la comédie s’épousent donc dans l’allégresse et le mélange des genres se fait avec une facilité déconcertante permettant d’offrir les joies de ce spectacle jubilatoire et délicat à tous les publics. Cette « Truite » vous fera nager dans le bonheur. Elle vous démontrera de quoi des musiciens sont capables sur scène en vous offrant cet inoubliable moment.
Voir Alexandre Prévert au Lucernaire c’est être sûr de commencer avec cet artiste musicien surdoué à la sensibilité à fleur de peau une histoire d’amour digne de Barbara et de bien d’autres. « Où sont passés vos rêves » est un superbe moment à voir et à revoir !
À 25 ans, Alexandre Prevert peut se flatter d’être un Ovni de la scène, inclassable, capable de proposer un spectacle à nul autre pareil. Ce qui n’étonnera pas qui connait son parcours atypique de musicien, sportif et lettré toujours profondément curieux et sensible. Au départ, tout repose sur ses talents de pianiste chevronné, passé par le Conservatoire et son goût pour la lecture et les mots. Avec ces deux atouts majeurs devenus l’équivalent de deux langues maternelles, il nous donne à entendre un récit aux accents autobiographiques, retraçant son questionnement devant le monde assez primaire et souvent cruel qui nous entoure. L’histoire qu’Alexandre Prévert nous raconte dans « Où sont passés vos rêves », au delà des messages humanistes qu’elle véhicule, est donc forcément ponctuée de passages musicaux et d’extraits littéraires. Les premiers (dont Mozart, Chopin, Bizet, Tozzi) sont remarquables tant par la facilité insolente qui est la sienne devant le clavier que par les enchainement qu’il sait si bien opérer entre les morceaux classiques et la chanson contemporaine, permettant à chacun de s’y retrouver et se s’émerveiller. Les seconds (Molière, Baudelaire, Luther King notamment) sont emblématiques de ce qui a été écrit de meilleur pour célébrer l’homme et la liberté. Les deux alternent au cours de cette balade ayant la douceur d’un largo d’une symphonie de Dvorak, le tout en lien étroit avec le public traité avec tout le respect et l’affection que l’on doit à son confident préféré. À cette proximité avec la salle s’ajoute ce généreux partage de la scène avec, vers la fin, l’arrivée inopinée de Maëlys Robinne, artiste à la voix envoutante, venue nous interpréter, de façon très personnelle, mais particulièrement touchante, une chanson de Barbara à qui Alexandre Prévert a voulu rendre hommage.
Paris a aujourd’hui la chance d’accueillir son quatrième opus. Le Lucernaire doit être remercié pour ces inestimables petits bonheurs qu’il va pouvoir offrir à un public désireux de sortir des sentiers battus, voulant aller à la rencontre d’un artiste d’une incroyable fraîcheur, chez qui la tête et le cœur ne font qu’un, pour qui un show réussi est avant tout un beau moment d’émotion et de partage. Et qui, tel un alchimiste ou un magicien, sait si bien transformer ses accès de mélancolie en joie de vivre.
Texte et photo : Philippe Escalier
Le Lucernaire : 53, rue Notre-Dame des Champs 75006 Paris
Du mardi au samedi à 21 h et dimanche à 18 h – 01 45 44 57 34
L’oeil toujours pétillant, la parole acérée, Christophe Alévêque avec « Vieux Con » nous propose une lecture du confinement aussi drôle que réaliste doublée d’un bilan cinglant de notre époque normative et étouffante. Il nous offre un spectacle infiniment drôle, d’une remarquable tenue, qui dynamite dans l’allégresse le monde souvent débilitant qui nous entoure.
On entend en coulisses un bébé pleurer et Christophe Alévêque se demander paternellement de quoi son petit va hériter. Ainsi débute ce spectacle qui part du personnel pour aller vers l’universel en empruntant l’autoroute du rire. Disons le d’entrée, Christophe Alévêque est le digne héritier de cette lignée d’humoristes, si peu nombreux, pour qui la dérision est une thérapie mais aussi un redoutable outil pour faire un bilan cruel des aspects absurdes, injustes et irrationnels de nos sociétés. Réussissant le défi de frapper fort avec une infinie tendresse, il nous fait partager son combat pour une liberté raisonnée, mise à mal par une forme d’intégrisme édictant l’impérieuse nécessité de nous protéger de tout, y compris du vocabulaire. À rebours, ici, les choses sont dites, n’attendez pas des circonvolutions pour éviter tous ces mots bannis au nom d’un politiquement correct devenu fou, plus censeur que protecteur. Alors évidemment, l’artiste s’insurge, s’énerve, vitupère. On lui voit même une tendance nostalgique quand il regrette ce qu’il appelle « le n’importe quoi » et ces moments joyeux où l’on pouvait s’amuser sans être corseté par une myriade d’interdictions. Sa colère tonifiante est rendue profondément humaine par l’absence totale d’envie de classer ou de mettre des étiquettes. Amoureux fou de sa liberté, Christophe Alévêque n’est pas là pour embrigader quiconque, mais pour livrer un constat ô combien lucide, ponctué par les éclats de rires et les applaudissements du public heureux de participer à ce grand débat comique. Mais encore une fois, ce rire n’est pas hors sol et il faut l’entendre résumer (un grand moment parmi tant d’autres) les diverses étapes du premier confinement et les directives qui l’accompagnaient. La démonstration est si irrésistiblement drôle (avec sa chute finale étonnante) et si factuellement exacte qu’elle pourrait convaincre bien des sociologues de se convertir au stand-up !
Christophe Alévêque ne change pas la réalité, mais le regard que l’on peut porter sur elle. Il le fait avec un humour fédérateur, omniprésent et ravageur, d’autant plus irrésistible (et essentiel) qu’au delà de l’expression d’un véritable ras-le-bol, il nous livre un magnifique et retentissant message d’amour.
Texte et photos Philippe Escalier
Théâtre du Rond-Point : 2bis avenue Franklin Delano Roosevelt, 75008 Paris 75008
Cette pétillante comédie de William Shakespeare, superbement adaptée, mise en scène et jouée à la Pépinière, donne lieu à un remarquable moment de théâtre.
Ce spectacle qu’il nous plait de sous-titrer « Les Frères ennemis », est délicat à résumer du fait de son scénario quelque peu alambiqué, l’auteur lui même n’hésitant pas à s’en moquer au début de son intrigue. Mais qu’importe puisque le sel de cette pièce écrite en 1599 ne réside point dans son histoire dont il suffit de savoir que deux frères, ayant chacun une fille en âge de convoler, se disputent le pouvoir suprême, pendant que deux autres, nobles, se combattent suite au décès de leur père, ces quatre destins fraternels contrariés venant interférer et perturber une belle idylle naissante. Ceux que le sort a défavorisé trouvent refuge, pour un temps, dans une forêt où, soyez rassurés, l’amour finit par triompher. Tout est donc bien qui finit bien !
À la Pépinière, de toute évidence, avec « Comme il vous plaira », les ingrédients propres à ravir un public exigeant sont réunis. Un texte jubilatoire pour commencer, parfaitement ciselé et rendu plus pétillant encore par l’adaptation lumineuse et légère de Pierre-Alain Leleu faisant ressortir les subtilités incomparables de cette langue toujours si richement imagée et porteuse d’un irrésistible humour. La mise en scène ensuite permet d’en faire un petit bijou. L’une des options consiste à occuper tout l’espace disponible, y compris la salle, autorisant les comédiens à se déplacer et à faire corps avec le public. Ces nombreux mouvements, toujours très maîtrisés, donnent une énergie particulière au spectacle. Léna Bréban fait ensuite feu de tous bois. Son décor, simple et pratique, parfaitement suggestif, permet de revivre aisément chaque situation. La musique (en live) est utilisée en guise de ponctuation festive, accroissant ainsi le ravissement du public heureux d’entendre quelques tubes pop des années 70 venus souligner, avec un vrai sens de la dérision, le côté féérique et délicieusement improbable du récit. Tel est l’écrin dans lequel la troupe donne libre court à son talent. Barbara Schulz, qu’elle soit princesse (Rosalinde) ou travestie en homme pour les besoins de sa fuite, est d’une énergie et d’une grâce peu communes, jouant l’amoureuse transie, hypnotisée par le charme envoutant d’un nobliau prenant les traits de Lionel Erdogan. Le jeune acteur fait tant et si bien qu’additionnant toutes les qualités, il séduit la princesse par son allure et le public par son jeu (l’inverse est vrai aussi !). Pour compléter ce joyeux duo, il fallait tout le talent d’Ariane Mourier qui donne à l’autre princesse (Célia) une éclatante présence. Adrien Dewitte est radieux, sans défaut, aussi convaincant en frère jaloux prêt à tout qu’en repenti sincère que les leçons de la vie ont transformé. Jean-Paul Bordes alterne, selon les moments, le duc impitoyable et le serviteur fidèle en fin de vie, (fort bien grimé), aussi percutant dans chacun de ses deux rôles. Pierre-Alain Leleu joue un Jacques assez extravagant, voyageur mélancolique, personnage récurrent chez Shakespeare venu notamment nous offrir la fameuse réplique « Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs ». Éric Bougnon en duc exilé, tombé du bon côté de la force, Léa Lopez et Adrien Urso (en paysans ayant du mal à s’accorder) sont à l’unisson. Cette merveilleuse équipe qui ne manquera pas de vous plaire vous offre deux heures de plaisir rare que vous ne verrez pas passer !
Emmanuel Besnault et la troupe de L’Éternel Été dépoussière « Fantasio » en offrant aux spectateurs du Lucernaire un spectacle aussi joyeux qu’énergique et original.
Un peu comme la jeunesse juste avant mai 68, Fantasio s’ennuie. Pour vaincre la mini-déprime qui le frappe, n’ayant plus rien à perdre (le brave garçon est perclus de dettes) il va faire sa petite révolution et jeter quelques pavés dans la mare. Voyant passer le cercueil du fou de la Cour, il décide de prendre sa place. Cette usurpation lui permet de faire dérailler le mariage princier qui s’annonce et ce faisant, sauver la fille du roi d’un désastre annoncé. Curieux scénario écrit dans cette langue belle, douce et précise de Musset venu brosser le portrait d’une jeunesse passionnée, dans laquelle l’auteur ne pouvait que se reconnaître, en butte aux bourgeois prétentieux, socle du régime de Louis-Philippe resté dans l’Histoire comme le Roi-Bourgeois dont le règne sans passion commence en 1830, trois ans avant la publication de la pièce.
Pas de moment de théâtre réussi sans la coexistence de deux créateurs, un auteur et un metteur en scène, de préférence à la tête d’une belle troupe. C’est peu dire que Emmanuel Besnault nous donne à voir une œuvre dans l’œuvre. Avec panache, en musique, il additionne les saveurs qui viennent donner à son spectacle ce goût si relevé et si particulier. Entre le concert rock romantique, la flopée de références cinématographiques, théâtrales, les costumes magnifiques et le jeu des acteurs, cette ébouriffante folie scénique emporte tout sur son passage, à commencer par l’adhésion des spectateurs. Ce travail parfaitement pensé et structuré donne à ce mélange de comédie et de conte exalté qu’est « Fantasio », toute sa signification, avec une légèreté et une fougue rares. Il fallait le talent et l’expérience d’une troupe qui existe depuis plus de douze ans (répondant au joli nom de L’Éternel Été) pour incarner une pièce marquée du sceau de la jeunesse et de sa folie perturbatrice. Benoît Gruel dans le rôle titre est bluffant. Spark, l’ami fidèle est joué avec talent par la comédienne Deniz Türkmen qui abandonne son personnage travesti pour donner vie à la gouvernante de la princesse (magnifique Élisa Oriol) alors que Lionel Fournier est un séduisant valet prenant l’identité de son maître Manuel Le Velly, sombre et hystérique à souhait, désireux de se faire passer pour un autre afin d’observer son monde. Tout à la fois acteurs, instrumentistes et chanteurs, nos admirables comédiens partagent la scène avec la certitude de nous donner un incroyable moment festif. Ils sont jeunes et pourtant ils nous donnent avec une remarquable virtuosité ce que Musset aurait probablement adoré voir sur scène : un « Fantasio » vivant et coloré, superbement moderne et réjouissant.
Autour du marquis de Montespan, exubérant mari cocu en guerre contre Louis XIV coupable de lui avoir volé sa femme, Jean Teulé a publié un récit biographique dont l’évident intérêt historique est rehaussé, au Théâtre de la Huchette, par la mise en scène d’Etienne Launay et les trois acteurs merveilleux que sont Salomé Villiers, Simon Larvaron et Michaël Hirsch.
Tout le monde ou presque connait La Montespan, la flamboyante maitresse de Louis XIV. Son esprit, sa beauté, la passion qu’elle fit naître dans le cœur du Roi-Soleil lui ont permis de rester dans l’Histoire comme l’une des figures marquantes du XVIIe siécle. Personne ne connait par contre celui à qui elle fut mariée. Le mérite de Jean Teulé est de consacrer un ouvrage passionnant au marquis de Montespan qui, amoureux de sa femme (chose rare pour l’époque) a toujours refusé de s’incliner devant son royal concurrent. Pis, Louis-Henri de Pardaillan se lança dans un combat fougueux, téméraire, perdu d’avance mais non dépourvu de panache. L’irascible mari se présenta à la Cour dans un carrosse coiffé de ramures de cerf, organisa un enterrement de son amour en grandes pompes et alla jusqu’à qualifier le Roi de canaille. Un comportement qui fit rire tout Paris et qui lui valut quelques jours de prison puis l’exil sur ses terres. Là où tous les autres eurent courbés l’échine et encaissés les dividendes, le Gascon, lui, batailla toujours et ne céda jamais.
C’est le texte documenté et plein de vie de Jean Teulé que Salomé Villiers a adapté pour le théâtre avec un savoir-faire remarquable. Le défi visant à concentrer 44 ans, 26 personnages et de multiples lieux a été relevé haut la main grâce notamment à une mise en scène d’Etienne Launay étonnement inventive et dynamique qui grandit la scène du théâtre de la Huchette en donnant au spectateur le sentiment de changer de lieux sans cesse et de vivre pleinement chaque situation. En totale osmose avec ce travail très abouti, les comédiens sont d’une justesse absolue. Dans le rôle titre, Simon Larvaron a une allure « Grand Siècle » qui ne manque pas de surprendre. Amoureux ou désespéré, il se fond dans la peau de son personnage avec une facilité déroutante. Face à lui, Salomé Villiers, très touchante, est elle aussi tout en retenue et en intensité. Michaël Hirsch, quant à lui, prouve qu’il peut jouer tous les rôles, facétieux ou sérieux, serviteur ou souverain, tout lui convient. Ces trois là sont de nature à nous captiver et à nous séduire au point qu’en leur compagnie l’on en oublie le temps qui passe. Car cette belle leçon d’Histoire est aussi et avant tout un beau moment de théâtre, intimiste, envoutant et divertissant.
Retracer sur les planches le destin hors du commun de l’officier britannique qui a suscité la grande révolte arabe du début du XXe siècle demandait une bonne dose d’audace. Le « Lawrence d’Arabie » d’éric Bouvron et Benjamin Penamaria, porté par une formidable équipe de comédiens, nous permet de vivre un choc émotionnel, illustration parfaite de ce que l’on aime par dessus tout dans le spectacle vivant !
L’adaptation de la vie de Lawrence d’Arabie est une gageure que jusqu’à présent seul le cinéma a été capable de relever, avec le somptueux film aux sept Oscars de David Lean. L’Angleterre, le Proche-Orient, les batailles épiques contre les Ottomans (et l’incroyable prise d’Aqaba), les négociations difficiles et les coups tordus des puissances coloniales, tout dans cette vie, qu’aucun romancier n’aurait jamais pu imaginer, est difficile à incarner au théâtre. À moins, comme ici, de raconter et de reconstituer l’Histoire en laissant libre cours à une imagination débordante, empreinte de poésie. Renonçant à la vidéo, à la débauche de moyens ou de décors auxquels l’on pourrait s’attendre, éric Bouvron, assisté de Jérémy Coffman, dans sa mise en scène, a choisi le minimalisme le plus pur et le plus stylisé, mis en évidence par les sublimes lumières d’Edwin Garnier. Avec des tapis, quelques voiles, une poignée d’accessoires et de beaux costumes (de Nadège Bulfay), il laisse au jeu des comédiens un pouvoir de suggestion et d’évocation sans limite, capable d’entrainer le spectateur dans ce récit palpitant. Qu’importe le lieu ou l’année, que l’on voyage à dos de chameau ou en train, que l’on se trouve face aux tribus arabes divisées ou à Buckingham Palace, la narration ne faiblit jamais, rythmée par la superbe voix de Cecilia Meltzer, accompagnée par les instruments de Julien Gonzales et Raphaël Maillet. Ce trio fait corps avec le spectacle, pour lui donner un magnifique surcroit d’émotion et d’intensité. La salle vibre, elle rit aussi pendant ces moments pimentés d’humour qui s’intègrent si bien dans cette œuvre chorale. Renouant avec le talent et la force des conteurs capables de nous faire voyager en restant assis autour d’un feu, l’équipe de Lawrence d’Arabie avec la seule force de la parole et du jeu, nous fait revivre les aspects les plus importants de la vie de ce personnage mythique.
Né de l’union illégitime d’un baronnet anglais et d’une gouvernante écossaise, Thomas Edward Lawrence va d’abord étudier l’Histoire avant de se passionner pour l’archéologie qu’il ira pratiquer au Moyen-Orient, région qui le passionne. C’est là que sous couvert de fouilles, il sera recruté par l’armée britannique pour effectuer des relevés topographiques, avant de passer à l’action militaire. C’est sur cette période essentielle de sa vie, marquée par des succès incroyables que le spectacle va se concentrer. Rapides mais très fluides, les divers épisodes nous font assister à une réunion d’état-major, à la rencontre avec l’émir Fayçal qui met ses guerriers à la disposition de Lawrence, après quoi, les trains sautent, l’on traverse le terrible désert de Jordanie pour s’emparer d’Aqaba à la surprise générale et en chasser les Turcs. Tout est formidablement suggéré et illustré par une équipe de comédiens de haut vol au sein de laquelle Kevin Garnichat est le seul à interpréter (et de quelle manière !) un personnage unique, à savoir le rôle titre. Autour de lui, Alexandre Blazy, Matias Chebel, Stefan Godin, Slimane Kacioui, Yoann Parize, Julien Saada, Ludovic Thievon sont à l’unisson. Ils incarnent une soixantaine de personnages parmi lesquels figurent quelques femmes, passant des uns aux autres avec une étonnante dextérité. Conscients de nous offrir un inoubliable moment, tous sont d’une force et d’une justesse remarquables. Au final, après la longue standing ovation offerte en guise de récompense, les spectateurs quittent les lieux, encore troublés par l’envoutement qu’ils viennent de connaitre.
Il ne faut guère plus d’une heure à Eugène Labiche pour nous raconter, au Lucernaire, une histoire totalement déjantée, servie par une troupe survitaminée.
Se retrouver, quand on est un bon bourgeois rentier, avec un homme dans son lit, après une nuit de beuverie, passe encore, mais apprendre, suite à un quiproquo, que l’on aurait, avec lui, perpétré un assassinat armé d’un parapluie, voilà qui est de nature à semer la panique au foyer d’Oscar Lenglumé. Pour faire taire ceux qui pourraient dévoiler l’horrible crime, ce dernier envisage toutes les solutions.
Cette comédie chantée, créée à Paris en mars 1857 est avant tout profondément loufoque. Rien n’a de sens et l’on nage en plein délire. Quel intérêt alors me direz-vous ? Il se trouve que le spectacle est court, que l’intrigue, si délirante soit-elle, est parfaitement rythmée et l’occasion de mi-portraits croustillants. Les comédiens se donnent à fond et s’appuient sur la mise en scène millimétrée de Justine Vultaggio qui outre l’incarnation de l’épouse au foyer, introduit ses propres délires rythmés par quelques délicieuses chansons permettant de retrouver « C’est pas l’homme qui prend la mer » de Renaud ou encore un désopilant « Lavons-nous les mains » (qui pourrait servir à une campagne pro-gestes barrières !). Bref, menée tambour battant, cette folle comédie se révèle irrésistible avec quatre acteurs qui prennent visiblement un plaisir fou à jouer. Oscar Voisin, Reynold de Guenyveau, (magnifiques interprètes des deux personnages principaux) Gabriel Houdou et Maxime Seynave entrent dans la danse avec une énergie et une joie communicatives, nous offrant une heure formidablement récréative. Par les temps qui courent, cela ne se refuse pas !
Philippe Escalier
Lucernaire : 53 Rue Notre Dame des Champs, 75006 Paris
Du mardi au samedi à 20 h et dimanche 15 h – 01 45 44 57 34
Dans sa dernière création à l’affiche du Théâtre Libre, Philippe Lafeuille apporte sa vision personnelle de l’opéra de Bizet et vient proposer, avec l’inventivité qui le caractérise, des chorégraphies où l’esthétique et l’humour se mêlent irrésistiblement.
Disons le d’entrée, si cette Carmen, magnifique et flamboyante n’est pas une mise en scène de l’opéra le plus joué au monde, elle n’est pas non plus un simple prétexte. Amoureux de la musique et de la voix, le chorégraphe qui avoue commencer le travail de chacune de ses créations par la définition d’un playlist, avait envie de donner sa vision génèrale de l’œuvre et voulait s’intéresser à cette femme libérée, tout en racontant une multitude de choses, dont sa décennie passée en Espagne au début de sa carrière. Philippe Lafeuille, ce n’est pas la moindre de ses qualités, ne fait rien comme tout le monde. Surtout, il ne propose rien qui ne soit beau à voir ni amusant à vivre. Sa compagnie Les Chicos Mambo a une longue tradition de parodie à laquelle son public reste très attaché et qui n’exclut nullement de faire interpréter par des danseurs professionnels des moments plein de poésie et de grâce venant ponctuer un récit souvent désopilant et toujours plein de surprises.
Carmen n’est étrangère à personne, l’opéra de Bizet étant une succession de tubes. S’attaquer à un mythe ne pouvait que convenir à l’amoureux des défis qu’est Philippe Lafeuille. Sur ses airs planétairement connus, il joue avec une étonnante dextérité sur les notions liées à l’identité et fait danser, exclusivement par des hommes, l’histoire de cette femme rebelle. Dés l’ouverture du spectacle, le ton est donné, la troupe apparait en pantalons, robes et visages masqués, impossible de savoir qui est qui. Un mélange des genres précieux pour qui refuse de mettre les êtres dans des cases étroites en oubliant leur richesse et leur complexité. Une fois les danseurs dévoilés, le jeu du masculin et du féminin continue de plus belle. « Mais c’est un homme !» lance l’un des protagonistes quand apparait le visage de Carmen qui a pris l’apparence virile de Rémi Torrado. Le séduisant ténor ayant fait ses classes à l’AICOM, pris des cours de chant, de danse et d’acrobatie, incarne l’indomptable bohémienne et change allègrement de tenue, de voix et de sexe, entouré de danseurs qui, avec lui, jouent sur l’ambiguïté et la contradiction. Tout l’univers de Carmen est là, un peu éclaté, sublimé et efficacement moqué. Sérieux sans jamais se prendre au sérieux, Philippe Lafeuille, toujours un peu iconoclaste, assume son penchant pour ce qui est drôle et facétieux, en allant au bout de ses idées. Du reste, raffiné et très travaillé, son comique n’est pas automatique et sait laisser toute sa place à de grands moments de poésie comme le magnifique solo du taureau dansé de dos par Samir M’Kirech que personne ne pourra oublier. Autour de lui, Antoine Audras, François Auger, Antonin «Tonbee» Cattaruzza, Phanuel Erdmann, Jordan Kindell, Jean-Baptiste Plumeau et Stéphane Vitrano donnent le meilleur d’eux mêmes et font corps avec les délires de leur chorégraphe avec une précision remarquable et un plaisir non dissimulé.
Devant les spectacles de danse, le public, silencieux, regarde. Ce même public, ici aiguillonné par Philippe Lafeuille, rit et réagit en permanence, devenant acteur à part entière du show qui se déroule sous ses yeux. Un public qui, à la fin, se lève dans un élan unanime pour applaudir généreusement. Debout, les spectateurs se laissent alors entrainer dans une chorégraphie de bras dirigée par Philippe Lafeuille sur la valse lente N° 2 de Chostakovitch. Avant de sortir et de mettre, bien à regret, un terme à ce moment de plaisir et de communion.
Dans un très bel hôtel particulier de Meudon, les dix comédiens de 5e Acte nous font revivre avec « Memento Mori » un moment de théâtre immersif policier, original, ludique et délicieusement excitant.
Memento Mori a tout pour nous impressionner : son titre « Souviens-toi que tu vas mourir », la qualité des acteurs, l’excellence du travail fourni, jusque dans les moindres détails, pour asseoir une enquête policière sur une histoire très construite signée Jean-Patrick Gauthier et Frédéric Texier, la participation des spectateurs qui déambulent, carnet et crayon en mains, pour questionner les personnages et tâcher de trouver une réponse à la question fatale : qui est le meurtrier ? Dans « Memento Mori », tout le monde participe au spectacle et ce n’est pas le moindre de ses avantages. Tout commence dans le grand salon au moment d’une conférence donnée par le docteur Paul Sérusier dans le but de démontrer, via les soins apporté à un amnésique, la réalité scientifique du spiritisme. Le personnage est plutôt bizarre et avec lui, n’ayons pas peur des mots, même les tables ne tournent pas rond ! Dans le cercle Vitruve fondé pour réunir une élite intellectuelle croyant à un avenir meilleur, hôtes de la conférence, les personnages principaux apparaissent. Le cadre est fixé. L’enquête peut commencer. Elle se poursuit dans les différentes pièces de la grande maison où les spectateurs vont déambuler, découvrir divers indices, écouter aux portes ou interroger les comédiens dans le cadre de leur propre enquête menée conjointement avec celle d’un commissaire, appelé sur les lieux aussitôt le crime découvert. Au bout de deux heures palpitantes, pour suivre les habitudes prises par un certain Hercule Poirot, tout le monde est rassemblé à nouveau dans le grand salon. Le policier donne d’abord la parole à l’assistance qui peut avancer ses propres déductions avant que le verdict final ne tombe. Seuls les meilleurs limiers pourront approcher de la solution mais tous les spectateurs auront pris un plaisir non dissimulé à participer à ce spectacle exceptionnel à tous égards.
L’adaptation de Volpone permet de redécouvrir une pièce qui n’a rien perdu de son mordant et de sa drôlerie. Elle est jouée, dans une mise en scène aussi précise que dynamique, par une troupe mettant en joie le public du Café de la Gare.
Le lieu est mythique. La pièce aussi ! Représentée pour la première fois en 1606 à Londres, cette comédie du dramaturge Ben Jonson n’en a jamais fini d’être jouée ou adaptée, que ce soit au cinéma ou à l’opéra. On compte même une comédie musicale ayant recyclé son intrigue. Qui pourrait résister à l’histoire de ce marchand vénitien cupide, faisant croire à sa fin proche pour récupérer cadeaux couteux et bijoux rares de la part de ceux qui lorgnent sans vergogne sur ses biens ? Aidé par son ingénieux valet Mosca (François Bérard) passé maître dans l’art de tromper son monde, Volpone (Frédéric Roger) en parfaite santé, s’avère être un magnifique malade imaginaire, toussant et agonisant dans son lit. Plus que quelques jours à vivre : devant cette petite fortune prête à changer de mains, il importe d’être bien vu pour devenir l’unique nom inscrit au testament et les rapaces rivalisent d’offrandes. À la course à l’héritage prennent part des personnages haut en couleur, un avocat véreux (Emmanuel Guillon), un vieux gentilhomme (Philippe Manesse) et son fils (Timothée Manesse), un marchand (Régis Chaussard), une femme légère (Isabelle Laffitte) et un juge (Patrick Courtois), car il va bien falloir rendre des comptes à la fin ! Tous attendent l’imminente nouvelle du décès pour récupérer leur mise et toucher le jack-pot !
La metteuse en scène Carine Montag nous propose une adaptation formidablement énergique, mettant en avant les aspects comiques d’une œuvre faisant généreusement rire sur des thème pourtant bien sombres. Loin des mises en scène brumeuses ou tortueuses, Carine Montag propose et réussit un travail d’une grande précision, d’une finesse exemplaire, au service du texte (une langue étonnement vivante et contemporaine) et du divertissement. Autour de personnages délicatement ciselés, elle met en avant l’énergie et l’humour d’une farce construite autour de la cupidité et la fourberie, évitant le piège réducteur du bien et du mal, dans Volpone tout le monde en prend pour son grade. Devant cet admirable résultat porté par la performance réalisée par l’ensemble des comédiens, les spectateurs adhèrent au spectacle sans réticence aucune, visiblement ravis de pouvoir trouver autant de magie et de plaisir sur une scène. La réussite est totale et ce Volpone, aux multiples qualités, enchantera tous les publics.
Si l’on devait résumer, en quelques mots, le destin de l’un des plus grands mythes du cinéma, il faudrait citer des villes, des films et des hommes. À commencer par Pierre Cardin qui fut à l’origine de ce spectacle, lui qui demanda à Cyrielle Clair de bien vouloir faire revivre sur scène Marlene Dietrich qu’il admirait et qu’il avait eu le plaisir de recevoir, à deux reprises, dans l’Espace portant son nom.
Dans cette balade biographique subtilement travaillée, le spectateur se laisse entrainer sans grande difficulté. Cyrielle Clair incarne avec une réelle aisance, Marie Magdalene qui nait à Berlin au début du siècle et qui, pour la scène, contractera ses deux prénoms pour n’en faire qu’un. D’abord vouée à la musique (au violon), une blessure au poignet l’oriente vers le cabaret et le théâtre. Tout commence très vite, elle a moins de trente ans lorsqu’elle rencontre Josef von Sternberg. Avec lui, une poignée de films, autant de chefs-d’œuvre et le succès. La montée du nazisme auquel elle se heurte frontalement l’amène à quitter son pays pour les Etats-Unis où la grande séductrice rencontrera Gabin, l’homme de sa vie, avec lequel l’idylle fut pourtant de courte durée, ponctuée par le second conflit mondial. Sur le plan du courage et de l’engagement, les deux artistes se ressemblaient : lui se met en danger et rejoint la 2e DB, elle fait une tournée de 60 concerts en Europe pour suivre et égayer les troupes combattantes du général Patton. Dans les années 70, une série d’accidents ralentissent durablement sa fin de carrière et elle trouve refuge à Paris, dans son appartement de l’avenue Montaigne.
Cyrielle Clair nous fait traverser cette vie hors du commun avec un spectacle qui mêle à son jeu d’actrice, le chant et des projections vidéos. Nous alternons les lieux, les époques en même temps que l’actrice change de tenues. Tout est fait pour rendre cette rétrospective particulière vivante et touchante, Marlene Dietrich ne s’étant pas contentée d’avoir une vie de star adulée du public. Refusant les compromis et toute forme d’opportunisme, elle s’est mise au service de ses idées en essayant, sans toujours y parvenir, de concilier sa carrière et ses différentes amours. Avec passion, elle fit toujours en sorte que sa vie ne reste pas cantonnée à une image de femme fatale mais soit aussi, et surtout, un combat en faveur de la liberté à laquelle elle fut si attachée. Après ce beau spectacle en forme d’hommage, ne soyez pas surpris si vous sortez du théâtre des souvenirs plein la tête et en sifflotant « Lili Marleen » !
Philippe Escalier
Théâtre de la Tour Eiffel : 4, square Rapp 75007 Paris Vendredi et samedi à 19 h et dimanche à 17 h – 01 40 67 77 77
L’adaptation réussie de « On ne sait comment » de Luigi Pirandello nous offre un moment théâtral d’une grande originalité, où la profondeur est pimentée de situations désopilantes, servi par cinq excellents comédiens qui viennent ravir le public du Théâtre 13.
L’adaptation réussie de « On ne sait comment » de Luigi Pirandello nous offre un moment théâtral d’une Psychologie, humour, mais aussi suspens (expliquant pourquoi un résumé trop précis de ce spectacle est à éviter), voilà les trois ingrédients principaux de l’adaptation réalisée par Ciro Cesarano et Fabio Gorgolini qui ont su, avec un art et une finesse peu communes, reprendre le thème de cette dernière pièce de Pirandello, pour en faire une comédie à l’italienne, sans jamais trahir l’auteur. L’on retrouve les thèmes du questionnement, de la vérité, de la motivation de certains agissements. Le non-dit, les sous-entendus, les choses inavouables et les mensonges, que l’on ne peut pourtant garder pour soi, sont au cœur de ce spectacle dans lequel l’on observe comment l’humain se débat, non sans difficultés parfois, avec ses zones d’ombre. Ce combat personnel et douloureux, nous y assistons avec une délectation accrue par la saveur de l’histoire qui se passe sous nos yeux et où toutes les tensions prennent leur source : la vie d’un petit restaurant dont le patron, poursuivit par une fâcheuse tendance à rater tout ce qu’il entreprend, s’escrime à organiser un repas de mariage. Renouant avec une comédie à l’italienne pleine de subtilité et d’humanité, nos deux auteurs-adaptateurs ont su multiplier les moments drolatiques, bâtissant ainsi le cadre comique entourant les déchirements intérieurs auxquels nous assistons. Alors que la tension monte, l’on ne peut s’empêcher de laisser échapper des éclats de rire de plus en plus nombreux et spontanés. Ce drame jubilatoire que Ciro Cesarano et Fabio Gorgolini, morceaux par morceaux ont si bien construit, ils le jouent avec Laetitia Poulalion, Amélie Manet et Boris Ravaine. Tous, avec rigueur et justesse, déroulent une pièce que nous n’auront pas peur de qualifier d’exemplaire, tant elle nous conforte dans l’idée que le théâtre n’est jamais plus accompli que lorsqu’il parvient, dans des moments d’un parfait équilibre, à faire cohabiter des styles opposés, en l’occurrence ici, la comédie et l’introspection philosophique. Aboutissement d’un long travail mené par la compagnie Theatro Picaro, « La Fuite » a su magnifiquement marier Freud et les Marx Brothers, pour notre plus grand plaisir !
Le spectacle musical créé par Tom Jones à partir d’une pièce d’Arthur Schnitzler permet de découvrir au Lucernaire un moment pétillant et joyeux. L’adaptation de Stéphane Laporte et la mise en scène Hervé Lewandowski font merveille et permettent à quatre excellents comédiens-chanteurs de donner le meilleur.
Disons-le d’entrée de jeu, c’est moins la genèse assez curieuse de ce spectacle (une double adaptation au final) que le résultat, plébiscité et enthousiasmant, qui importe. Le nom d’Arthur Schnitzler est en France probablement plus connu que son œuvre. Il n’en reste pas moins l’un des grands auteurs de langue germanique, qui présenta l’originalité d’être à la fois écrivain et médecin (proche de Freud) ce qui lui permit de donner à ses œuvres une indéniable dimension psychologique. Tom Jones s’empara d’Anatole, grand coureur de jupons et décida de présenter cette pièce en 5 tableaux se déroulant entre 1910 et 1990 sous une forme musicale largement empruntée à Offenbach.
Voici donc les rapports homme-femme et le complexe du séducteur masculin placés sous le signe d’une bonne humeur et d’une légèreté salvatrices. Oubliez la psychologie et l’étude de personnages, abandonnez Schnitzler et Freud dans un coin de votre bibliothèque et laissez-vous entrainer par un quatuor de comédiens doués et plein de vie venus balayer des époques et des situations différentes, en piratant et revisitant Offenbach, le plus vivant des compositeurs. Le public s’amuse et le mot comédie-musicale est ici parfaitement adéquat ! Gaëtan Borg, avec brio, allie profondeur et charme pour incarner ce rôle titre de séducteur impénitent que l’excellent et énergique Yann Sebile, en meilleur ami faisant parfois penser à Sganarelle, peine à canaliser. Mélodie Molinaro contribue à nourrir ce spectacle avec ses différentes femmes, plus ou moins fatales qu’elle prend plaisir à incarner… à la perfection ! Guillaume Sorel quant à lui, nous régale de quelques personnages secondaires truculents dont on ne saurait se passer. Accompagnés au piano par Sébastien Ménard, ils savent donner à cette comédie d’irrésistibles accents et provoquer les rires, sans se départir d’une grande finesse. Puisqu’ils savent si bien nous captiver dans ce jeu de l’amour, où le hasard a toujours toute sa place, laissez-vous porter jusqu’au Lucernaire, vous ne le regretterez pas !
Cette pièce d’Oscar Wilde est un irrésistible moment de grâce porté par d’excellents comédiens mis en scène par Arnaud Denis au Théâtre Hébertot.
Rarement le théâtre aura autant ressemblé à une conversation brillante qu’avec le célèbre auteur irlandais. Toutes ses qualités font merveille : son goût du verbe et de la provocation, son esprit mordant, ses irrésistibles aphorismes bien sentis, toujours un peu exagérés mais plein de réalisme, faisant penser à la célèbre formule de Cocteau « Je suis un mensonge qui dit la vérité ». Le récit avance tambour battant tenant en haleine le spectateur qui alterne rire et sourires. Dans «L’importance d’être Constant » l’on retrouve les thèmes de prédilection de Wilde, l’hypocrisie de la bonne société, une frivolité cultivée comme un art de vivre et les inénarrables rapports homme-femme, teintés par moment d’une dose de féminisme qui peut surprendre pour l’époque (ici ce sont les femmes qui ont du caractère et mènent leur barque où bon leur semble). Le sujet, aussi improbable dans son thème et ses rebondissements que celui d’une comédie de Molière, se développe autour de deux jeunes dandys qui s’inventent un alter ego pour échapper à leurs nombreuses obligations mondaines, avant de payer le prix de leur stratagème, quoique tout finisse pour le mieux dans cette comédie aux forts accents de marivaudage. Il faut du panache pour jouer Oscar Wilde et elle n’en manque la troupe qu’Arnaud Denis (assisté d’Ariane Echallier) a mis en scène de la plus belle des manières. Très stylé et débordant d’humour, son travail sied parfaitement à cette pièce pétillante et délirante où il interprète le rôle de Jack. Face à lui, Evelyne Buyle nous enchante avec sa magnifique, tyrannique et fantasque Lady Bracknell obnubilée par son rang, Olivier Sitruk est un grand Algernon jouisseur et égoïste, Delphine Depardieu donne une impressionnante Gwendolen quasi lubrique par moment. Marie Coutance incarne une belle Cecily, femme enfant qui se révèle fort déterminée alors que Nicole Dubois joue une frêle Miss Prism attirée par le révérend Chasuble de Fabrice Talon. Jean-Pierre Couturier et Gaston Richard jouent deux domestiques stylés. Somptueusement habillés par Pauline Yaoua Zurini, tous s’accordent à la perfection, visiblement complices et mus par un désir évident de donner du plaisir au public. Le but est atteint et au delà !
Il est impossible d’assister à ce délicieux feu d’artifice sans penser à la terrible destinée de celui qui en fut à l’origine. « Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne », le triste adage romain n’a jamais paru plus adapté qu’en 1895 quand Oscar Wilde, devenu la coqueluche de Londres, triomphe avec ses deux dernières pièces, « L’importance d’être Constant » et « Un mari idéal », immédiatement suivies par une déchéance complète née d’un procès pour atteinte aux bonnes mœurs qui le condamne à deux terribles années de travaux forcés pour homosexualité. De fait, se trouve tristement contredite l’une des répliques, véritable hymne à la liberté, que l’on peut entendre dans sa pièce :« Les principes de haute moralité n’ont jamais rendu personne heureux, ni bien portant ». Pour le paraphraser, disons simplement ici, en conclusion, que son théâtre, contrairement « aux principes de haute moralité », nous a toujours rendu heureux. En particulier avec une si éblouissante interprétation !
Autour de la figure mythique de La Môme, Victor Guéroult a écrit une œuvre théâtrale où réalité et fiction se mêlent dans un grand tourbillon musical. Ce beau spectacle en forme d’hommage est actuellement à l’affiche du Studio Hébertot.
En 1937, Thérèse, une jeune chanteuse profite de sa ressemblance physique et vocale avec Piaf pour se produire dans un petit cabaret où elle se fait passer pour l’artiste, renflouant au passage les caisses d’un patron peu scrupuleux. Juste après la guerre, Monsieur Louis, l’impresario d’Edith Piaf, découvre l’existence de cette supercherie et demande à rencontrer l’imitatrice douée qui craint alors d’être traduite devant les tribunaux. Elle est extrêmement surprise quand elle découvre que le manager de la star a d’autres idées en tête qui pourraient changer sa vie.
La réussite de ce spectacle tient d’abord à un récit dont la structure aboutie et inventive promène avec agilité le spectateur sur les chemins suivis par les deux héroïnes, l’une célèbre et adulée, l’autre sortie tout droit de l’imagination de l’auteur. Elle est aussi due à une distribution qui s’est visiblement appropriée l’œuvre en donnant le meilleur d’elle-même. Bonnes comédiennes, Béatrice Bonnaudeau (Piaf) et Léa Tavarès (Thérèse) régalent nos oreilles de leurs magnifiques voix. Lionel Losada joue le patron du cabaret tout en assurant la direction musicale et la partition pianistique. Gérald Cesbron interprète Monsieur Louis tandis que Franck Jazédé assume deux rôles, tour à tour féminin et masculin. Enfin, Nicolas Soulié revêt les habits du jeune militaire amant de Thérèse. Tous sont dirigés par Loïc Fieffé qui a su rendre vivants les multiples tableaux d’un spectacle au rythme énergique (quasi cinématographique), permettant d’entendre quelques-uns des grands tubes ayant émaillé la carrière de la chanteuse, entre 1936 et 1960. L’ensemble explique aisément que le public goute avec gourmandise les recettes minutieusement concoctées par Victor Guéroult, joliment servies par une troupe aux multiples talents. En leur compagnie, au Studio Hébertot, Piaf peut continuer à nous enchanter !
Texte et photos : Philippe Escalier
Studio Hébertot :78, bis boulevard des Batignoles 75017 Paris Du jeudi au samedi à 21 h et dimanche à 14 h 30 http://www.studiiohebertot.com – 01 42 93 13 04
Pièce écrite en 1984 sur le thème de l’apparition du Sida, « The Normal Heart » est le témoignage poignant du combat titanesque mené par Larry Kramer contre la maladie. Celui qui fut l’un des tout premiers à comprendre l’ampleur du désastre avant de fonder ACT UP, opposa son énergie, ses convictions et ses colères salvatrices à l’indifférence et au silence gêné qui furent les premières réponses à la pandémie. Vingt-sept ans après, « The Normal Heart » est enfin créé au Théâtre du Rond-Point dans une adaptation et une mise en scène bouleversante de Virginie de Clausade.
Été 1981, apparaissent aux Etats-Unis les premiers morts liés à une maladie inconnue, frappant les homosexuels. Ce que l’on qualifie alors de cancer frappe quelques dizaines de personnes. Le peu de malades concernés et le fait qu’ils soient tous gays expliquent le total désintérêt des pouvoirs publics qui se réveilleront, des années et des millions de morts plus tard. Une femme médecin, le docteur Brookner soupçonne une maladie sexuellement transmissible s’attaquant au système immunitaire. Sûre de ses intuitions, elle alerte la communauté gay et préconise l’abstinence. Son conseil provoque alors l’hilarité.
Dans « The Normal Heart », Larry Kramer se met en scène sous les traits du personnage de Ned Weeks. La lecture d’un article d’Emma Brookner le décide à partager son combat, se trouvant en butte à ses amis qui ne peuvent ni comprendre la maladie ni, dans ces années de libération sexuelle débridée, accepter les préconisations de chasteté. C’est un combat gigantesque qui s’engage alors, à la fois pour sensibiliser une communauté aveugle et convaincre des pouvoirs publics à la limite de l’homophobie. Ned Weeks n’acceptant aucun compromis, rue en permanence dans les brancards, pensant que seule la révolte et le scandale pourront faire avancer la prise de conscience nécessaire pour affronter une pandémie dévastatrice.
La pièce de Larry Kramer porte témoignage de ce combat. Elle ne cache rien de ses espérances, des ses échecs aussi (on lui préfère, au sein de l’association qu’il a créé, un Président plus consensuel et timoré), ni de son histoire d’amour avec un jeune journaliste du New York Times qui partage son combat et qui finira emporté par ce qui va devenir le Sida. Construite avec une grande rigueur (que la mise en scène de Virginie de Clausade met bien en valeur), autour d’un réseau de jeunes gens qui participent à la première association créée par Kramer, avant qu’il n’en parte pour lancer ACT UP, l’œuvre décrit aussi parfaitement l’immobilité et l’hypocrisie de la mairie de New-York dont le premier magistrat, probablement homosexuel honteux, refuse le moindre effort pour venir en aide aux malades. La presse, à de très rares exceptions près, n’est guère plus courageuse et refuse d’aborder de front un sujet jugé bien trop sulfureux. À travers ses sept personnages, Larry Kramer nous apporte une vision éminemment humaine du drame qui est en train de se nouer. Et démontre la somme de courage qu’il fallait avoir pour rejoindre ce combat, d’abord difficile à comprendre et qui signifiait ensuite que l’on faisait un coming-out aux conséquences souvent douloureuses et que certains n’acceptaient pas. Tout cela au milieu des morts qui n’en finissent pas de tomber.
La pièce sera jouée pour la première fois en 1985. Elle fera aussi l’objet d’une adaptation au cinéma signée Ryan Murphy qui aligne une distribution prestigieuse et remportera de nombreuses récompenses. On n’avait pourtant quasiment jamais pu la voir en France. Virginie de Clausade a voulu s’en emparer, soutenu par sept acteurs remarquables. Le rôle principal est tenu par Dimitri Storoge, qui, sans excès mais avec une force intérieure évidente, donne vie à son personnage combatif et rageur. Face à lui, Jules Pelissier que l’on est aussi heureux de voir au théâtre, touchant de fragilité, incarne son amant, avec une profonde justesse. La doctoresse Emma Brookner est jouée avec détermination par Déborah Grall. Andy Gillet incarne parfaitement Bruce Niles qui va prendre la présidence de l’association qu’en cadre sup soucieux de son statut, il dirige sans prendre de risques. Brice Michelini revêt avec panache les habits d’un militant, membre du bureau de l’association, partagé entre la rage de Ned et la grande prudence de Bruce. Mickaël Abitboul est parfait en avocat, attaché à son frère Ned sans parvenir toutefois le comprendre. Enfin Joss Berlioux, convaincant, apparait dans plusieurs rôles dont celui, assez ingrat d’élu local peu compréhensif. Tous, avec une force et une sobriété remarquables, nous communiquent la charge émotionnelle de cette pièce dont nous sortons totalement ébranlés en se disant qu’avec un témoignage historique aussi poignant, le théâtre remplit la noble mission qui est la sienne.
Cette pièce remarquable est, vous l’avez compris, un moment exceptionnel. Il appelle votre visite. Il demeure encore, de ci, de là, sur ce sujet, des traces de frilosité, d’indifférence ou de rejet. C’est donc bien au public qu’il revient d’encourager et de plébisciter ce superbe projet qui voit enfin le jour entre les murs du Rond-Point et qui, au delà de nos applaudissements, mérite toute notre reconnaissance.
Philippe Escalier
Théâtre du Rond-Point : 2bis avenue Franklin Delano Roosevelt, 75008 Paris
Quelques photos prise aux saluts lors du concert donné par le Berliner Philharmoniker placé sous la direction de Kirill Petrenko. Au programme l’ouverture fantaisie « Roméo et Juliette », le premier concerto pour piano de Prokofiev et « Conte d’été » de Joseph Suk. Le premier concerto a été interprété avec une finesse, un force et un brio tout à fait étonnants par la jeune pianiste rusee Anna Vinnitskaya. Sa sonorité lumineuse et celle, inimitable et si raffinée de l’orchestre ont fait merveille, dimanche 5 septembre 2021 à la Philharmonie de Paris.
Parue en 1960, « La Promesse de l’aube » qui relate la jeunesse de Romain Gary à travers sa relation à sa mère, a connu plusieurs adaptations, dont une, récemment au cinéma. Dans un exercice de haute voltige, Franck Desmedt, mis en scène par Stéphane Laporte et Dominique Scheer au Lucernaire, se met au service de ce texte magnifique qu’il a adapté et qu’il nous fait revivre de la plus belle des façons.
Romain Gary, l’une des plus belles plumes du siècle dernier, nous raconte l’histoire d’un amour maternel inconditionnel et immodéré. Dans cette famille, tout étant exagéré, « La Promesse de l’aube » fourmille de détails surprenants et désopilants propres à lui faire rencontrer le succès qui a caractérisé cet ouvrage tiré à plus d’un million d’exemplaires. Né dans l’empire russe en 1914, le jeune Romain émigre d’abord en Pologne où sa mère crée une maison de couture avant de rejoindre la France. Pendant que son fiston commence à écrire et cherche à être publié dans la presse, elle vend des articles de luxe puis se voit confier la gestion d’un petit hôtel niçois. Dans ce mouvement perpétuel, une chose ne change pas : partout et à tous, la mère crie que son fils est un génie qui deviendra un jour célèbre et probablement Président de la République. Difficile de mettre la barre plus haut : la seconde guerre débutant, Gary rejoint sans tarder la France libre et fera la carrière militaire, puis diplomatique et littéraire que l’on sait, laissant toutefois l’Élysée au Général de Gaulle ! Dans ce roman, qui est un roman d’amour, Romain Gary avec des sarcasmes et une bonne dose d’humour ne peut s’empêcher d’exprimer l’agacement que cet attachement excessif a toujours provoqué chez lui. Sans qu’il soit possible de nous tromper sur son affection pour cette mère qui lui cache son diabète et même sa mort qu’il ne découvre qu’au retour de la guerre. Pour qu’il n’apprenne pas trop tôt, ni trop loin de Nice la terrible nouvelle, sa mère lui faisait envoyer au compte gouttes des lettres écrites plusieurs mois avant son décès. Un amour dévastateur qui amènera l’écrivain à relativiser tous les autres : « Avec l’amour maternel, la vie vous fait, à l’aube, une promesse qu’elle ne tient jamais. Si ma mère avait eu un amant, je n’aurais pas passé ma vie à mourir de soif auprès de chaque fontaine ».
Franck Desmedt, amoureux des défis, qui incarnait magnifiquement une foule de personnages dans « Tempête en juin » d’Irène Némirovsky et qui joue Dieu dans « Le Visiteur » d’Éric-Emmanuel Schmitt, était fait pour dire ce texte et l’incarner. Tout en finesse et en douceur, l’acteur n’a pas son pareil pour envouter le public, et ce, dés les premiers mots. Chez ce magicien aux gestes précis, murmurant comme le ferait tout détenteur de secrets d’importance, l’élocution, toujours parfaite, ressemble à une caresse. Avec la complicité de ses deux metteurs en scène, Stéphane Laporte et Dominique Scheer qui illustrent avec une économie de moyens propre à chasser toutes interférences et à souligner sans jamais surligner ce texte à la richesse infini et à l’humour si délicat, Franck Desmedt entraine le spectateur dans ce qui ressemble à une communion. Quand la littérature et le jeu d’acteur atteignent de tels sommets, la sobriété se doit, comme ici, d’être la règle. Elle seule permet un si beau partage. Après les longs applaudissements qui saluent cette émouvante prestation, impossible de ne pas s’interroger : autobiographie vraiment ? Pour qui connait la vie de Romain Gary, son goût pour le mystère et la distance qu’il aimait à entretenir avec la vérité, lui, le seul écrivain français à avoir obtenu deux Prix Goncourt, la seconde fois sous le nom d’Emile Ajar et sur la base d’une géniale mystification ayant longtemps tenu le monde littéraire en haleine, la question n’est pas illégitime. La délicieuse scène au Club de tennis où la mère de Gary se jette aux pieds du vieux roi de Suède présent, le suppliant de permettre à son fils (qui n’a jamais tenu une raquette) d’exercer ses talents dans ce lieu huppé, est aussi drôle que probablement inventé. Mais qu’importe, puisque cet acte symbolise si bien ce qu’une mère exaltée comme la sienne aurait pu faire ! Car agissant comme un écrivain de génie, Romain Gary a autant vécu que magnifié une existence qui ne fut pas dénuée d’aventures et de gloire pour autant. Quand un style pur, imagé, sensible et drôle, construit une telle œuvre, tout travail de détective attaché au détail serait inutile et mesquin. Ici, seule compte la vérité de l’écrivain, celle qui permet que le romanesque et le vécu ne fasse qu’un. Celle qui nous projette dans un monde magique, aux confins du réel et de l’imaginaire.
En mixant un épisode célèbre de la conquête spatiale avec l’aventure personnelle d’un jeune surdoué malmené par la vie, Mélody Mourey nous offre un moment de théâtre palpitant porté par une belle troupe au Théâtre des Béliers Parisiens.
Après « Les Crapauds fous » avec lesquels elle avait démontré l’étendue de ses talents d’auteur, Mélody Mouret renoue avec le succès et fait brillamment la démonstration qu’elle détient les secrets de fabrication d’une pièce où une l’écriture élégante et pleine de vie permet d’offrir au spectateur d’intenses bonheurs partagés.
Nous sommes à Chicago dans les années 60. Grand immature sans autre famille qu’une mère à problèmes, Jack Mancini travaille dans la pizzeria de son oncle qui l’aime assez pour lui servir de père et oublier ses nombreuses turpitudes : le jeune homme adore les chiffres, mais il est surtout passé maître dans l’art d’additionner les problèmes, façon pour lui d’oublier une jeunesse injustement confisquée. Passionné depuis toujours par l’aviation, rêvant de devenir astronaute, ce surdoué dispose pourtant des moyens pour s’accomplir. La rencontre avec un professeur de psychologie qui découvre ses talents et le prend sous son aile, va lui permettre de lutter contre ses démons et lui ouvrir d’autres horizons ainsi que les portes de la NASA.
Faire des aller-retour entre l’universel et le particulier, la grande histoire et l’aventure personnelle, le réalisme et la fiction, l’héroïsme et le romantisme, Mélody Mourey fait cela à la perfection. Elle parvient également à camper chacun de ses personnages avec une vérité touchante et sa mise en scène précise, spectaculaire et très visuelle permet de donner à la pièce une dimension quasi cinématographique. Si l’on ajoute le talent des comédiens d’une parfaite crédibilité et tout en subtilité, Éric Chantelauze, Jordi Le Bolloc’h, Nicolas Lumbreras, Anne-Sophie Picard, Valentine Revel-Mouroz, et Alexandre Texier, l’on comprend aisément que les spectateurs se laissent volontiers embarquer dans cette histoire haletante comme un thriller et émouvante comme un film d’amour que l’on ne quitte qu’à regret !
Théâtre des Béliers Parisiens : 14 bis rue Sainte-Isaure 75018 Paris Du mardi au samedi à 21 h et le dimanche à 15 h 01 42 62 35 00 – http://www.theatredesbeliersparisiens.com
La Fuite
L’adaptation réussie de « On ne sait comment » de Luigi Pirandello nous offre un moment théâtral d’une grande originalité, où la profondeur est pimentée de situations désopilantes, servi par cinq excellents comédiens qui viennent ravir le public du Théâtre 13.
L’adaptation réussie de « On ne sait comment » de Luigi Pirandello nous offre un moment théâtral d’une Psychologie, humour, mais aussi suspens (expliquant pourquoi un résumé trop précis de ce spectacle est à éviter), voilà les trois ingrédients principaux de l’adaptation réalisée par Ciro Cesarano et Fabio Gorgolini qui ont su, avec un art et une finesse peu communes, reprendre le thème de cette dernière pièce de Pirandello, pour en faire une comédie à l’italienne, sans jamais trahir l’auteur. L’on retrouve les thèmes du questionnement, de la vérité, de la motivation de certains agissements. Le non-dit, les sous-entendus, les choses inavouables et les mensonges, que l’on ne peut pourtant garder pour soi, sont au cœur de ce spectacle dans lequel l’on observe comment l’humain se débat, non sans difficultés parfois, avec ses zones d’ombre. Ce combat personnel et douloureux, nous y assistons avec une délectation accrue par la saveur de l’histoire qui se passe sous nos yeux et où toutes les tensions prennent leur source : la vie d’un petit restaurant dont le patron, poursuivit par une fâcheuse tendance à rater tout ce qu’il entreprend, s’escrime à organiser un repas de mariage. Renouant avec une comédie à l’italienne pleine de subtilité et d’humanité, nos deux auteurs-adaptateurs ont su multiplier les moments drolatiques, bâtissant ainsi le cadre comique entourant les déchirements intérieurs auxquels nous assistons. Alors que la tension monte, l’on ne peut s’empêcher de laisser échapper des éclats de rire de plus en plus nombreux et spontanés. Ce drame jubilatoire que Ciro Cesarano et Fabio Gorgolini, morceaux par morceaux ont si bien construit, ils le jouent avec Laetitia Poulalion, Amélie Manet et Boris Ravaine. Tous, avec rigueur et justesse, déroulent une pièce que nous n’auront pas peur de qualifier d’exemplaire, tant elle nous conforte dans l’idée que le théâtre n’est jamais plus accompli que lorsqu’il parvient, dans des moments d’un parfait équilibre, à faire cohabiter des styles opposés, en l’occurrence ici, la comédie et l’introspection philosophique. Aboutissement d’un long travail mené par la compagnie Theatro Picaro, « La Fuite » a su magnifiquement marier Freud et les Marx Brothers, pour notre plus grand plaisir !
Texte et photo aux saluts : © Philippe Escalier
Théâtre 13 : 103 A Bd Auguste Blanqui, 75013 Paris
Jusqu’au 19 novembre 2021, du mardi au samedi à 20 h et dimanche 16 h
01 45 88 62 22 – http://www.theatre13.com