Benoît Solès fête la 700ème de « La Machine de Turing »

Le personnage d’Alan Turing est en tous points fascinant et passionnant. Ce mathématicien britannique surdoué, passionné par la cryptologie, a permis aux Alliés de casser très tôt Enigma, le code allemand pourtant réputé inviolable et de raccourcir ainsi la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 50, son homosexualité découverte, les tribunaux lui ont imposé une castration chimique qui détruisit ce grand sportif adepte du marathon et qui le poussa au suicide en croquant une pomme trempée dans du cyanure, en souvenir du film « Blanche-Neige » qu’il avait tant aimé. De ce destin hors norme, de cet homme victime d’une société homophobe à qui pourtant l’humanité et l’informatique doivent tant, Benoît Solès a voulu faire le sujet d’une pièce, « La Machine de Turing », qui fête sa 700ème représentations en entamant sa quatrième saison au théâtre du Palais-Royal. C’est au cours de sa tournée américaine, en attendant un avion à Los Angeles pour aller jouer à San Francisco que l’auteur nous a parlé de son travail et de cette formidable aventure autour d’Alan Turing.

À quel moment cette tournée américaine s’est-elle décidée ?
Elle devait conclure la 1ère tournée de 2019-2020 interrompue par le Covid. Nous sommes parvenus à trouver des dates pour qu’elle puisse avoir lieu. Avec Amaury de Crayencour qui a créé la pièce avec moi, nous venons de jouer deux représentations ici, au théâtre du lycée français de Los Angeles, l’une tout public et l’autre pour les scolaires. L’on s’apprête à faire de même à San Francisco avant d’aller donner douze représentations en Polynésie.

À l’étranger, comment la pièce est-elle perçue ?
J’ai joué « La Machine de Turing » dans tous les coins de France et de Navarre ! J’approche des 250 dates en tournée, sans compter Avignon. La première tournée a commencé en septembre 2019 en Nouvelle Calédonie. On a joué à Nouméa, devant de jeunes canaques issus du nord de l’île, certains venant au théâtre pour la première fois. Ce qui est commun dans les réactions, quel que soit le lieu, c’est l’intérêt pour le personnage, qu’on le connaisse ou qu’on le découvre. Les gens sont bien évidemment frappés par son histoire, l’héritage qu’il nous laisse, à savoir son influence sur le cours de la Seconde Guerre mondiale grâce au décryptage d’Enigma et l’invention de l’informatique. Mais ils sont aussi et avant tout frappés par cette aventure humaine, la dimension tragique du personnage et le message auquel il nous invite à réfléchir : comment regarde-t-on la différence ? C’est ce qui crée de l’empathie pour lui et une immense émotion par rapport à l’injustice qu’il a subie. Il y a toujours, à la fin du spectacle, au moment où il s’apprête à croquer la pomme, un moment suspendu pendant lequel le public est ému et retient son souffle. L’on observe cette réaction partout, que ce soit pour une représentation scolaire à Argenteuil, au théâtre Princesse Grace à Monaco ou avec des francophones à Los Angeles. Cela nous montre bien qu’il y a quelque chose d’universel dans cette histoire.

Le thème de l’homosexualité, toujours difficile à proposer, à traiter et à défendre, a-t-il été un problème ?
Non, pas vraiment ! Si l’on prend les scolaires, l’on me disait parfois qu’une telle histoire, avec des garçons qui s’embrassent sur scène, ça allait être le barouf, notamment avec des jeunes issus de l’immigration. Cela ne s’est pas du tout passé ainsi, ils ont toujours regardé le spectacle dans un très grand calme. Je suis frappé par la capacité d’écoute et d’ouverture d’esprit de cette génération. Si j’ai pu sentir parfois des petits moments de gène, bien qu’il n’y ait rien de choquant ou de provocant dans ma pièce, c’était toujours avec des spectateurs plus âgés. La nouvelle génération est plus ouverte. Ce que j’aime faire, notamment en tournée, c’est rencontrer le public après le spectacle et j’ai pu assister à des moments émouvants, j’ai vu des ados faire leur coming-out ou des parents s’ouvrir sur ce sujet de la tolérance au sens large. Cette pièce, où l’on touche du doigt à la fois la force de Turing mais aussi ses faiblesses, libère les gens et leur donne le courage d’exprimer et parfois de révéler des choses. C’est très rare de vivre une telle expérience qui va au delà d’Alan Turing, qui est de l’ordre de l’humain et c’est pourquoi après tant de représentations, j’ai toujours un plaisir immense à la jouer. Je me nourris de ces moments d’échanges et de partages pour remonter sur scène le lendemain. Si j’aime la dimension mémorielle autour de la réhabilitation de Turing, j’apprécie tout autant la dimension militante de cette pièce qui amène à réfléchir à la façon dont on a traité et dont on traite encore les gens différents, et ce, encore une fois, quelles que soient les différences en question.

La réhabilitation est maintenant chose faite…enfin !
Oui, et elle est totale. Il y a eu le film ‹ »Imitation Game », il existe de nombreux prix qui portent son nom, Turing a son visage sur les billets de 50 livres en Grande-Bretagne, quelle extraordinaire réhabilitation dans son pays qui le condamnait encore il n’y a pas si longtemps ! Mais il continue malgré tout, et c’est bien ainsi, à nous interroger sur nous, nos vies, nos émotions.

J’imagine qu’en écrivant « La Machine de Turing » tu ne pouvais pas imaginer quel allait être son parcours ?
Jamais. Dans notre profession, nous avons tous des rêves quand on créé, que l’on se bat pour monter une pièce et pour que son travail soit compris et reconnu. Jamais je n’aurais imaginé une once de ce qui se passe actuellement. Quand on crée la pièce au festival d’Avignon en 2018, on espère, au mieux une tournée d’une trentaine de dates. Et l’on rêve d’une programmation dans un théâtre parisien. Et là, il s’est passé un truc dont je ne reviens toujours pas : des gens qui nous attendent après la représentation, la presse qui s’est fait l’écho du spectacle tout de suite, un bouche à oreille qui ressemble à un raz de marée, des théâtres privés qui se battent pour nous avoir à l’affiche, les Molières bien sûr, et le plus beau dans tout cela, la réédition du texte dans les Carrés classiques Nathan avec un dossier pédagogique qui fait que la vie de Turing et son message sont étudiés au collège et au lycée et que je reçois des mails d’ados me disant qu’avec la pièce, ils ont eu une bonne note à l’oral du brevet ou à un examen du Bac. Ce qui me fait dire qu’il faut vraiment se battre pour ce en quoi l’on croit. Pendant mon travail d’écriture, combien de personnes m’ont dit que l’histoire d’un mathématicien gay qui se suicide, je ne pouvais pas trouver pire sujet ! À part la Région Île de France, personne ne m’a aidé. Aujourd’hui, ce qui me fait plaisir, c’est que notre aventure peut aider certains à ne pas renoncer devant les difficultés qui ne manquent jamais, en particulier à un moment où le Covid nous a quand même bien mis par terre. J’ajouterai que je ne suis pas plus doué qu’un autre, je n’ai pas plus de talent mais par contre j’ai beaucoup travaillé, je me suis battu pendant 25 ans sans jamais rien lâcher même dans les moments de grands doutes.

Quels sont les déclics qui t’ont fait écrire cette pièce ?
Le premier a été la découverte, du personnage un peu par hasard à travers une biographie sur Internet, assez succincte à l’époque et je me dis alors : C’est qui ce type ? Tout de suite, j’ai su que je ferai un jour une pièce sur lui. Le second déclic c’est la sortie du film qui, pourtant, au départ, me paralyse un peu. Mais en le voyant, j’ai trouvé que les contraintes hollywoodiennes montraient un Turing assez lisse et pas très gay. C’est ce qui m’a donné le coup de pied aux fesses nécessaire pour écrire la pièce, sans intention d’en faire un plaidoyer homo mais je trouvais incroyable que dans un hommage définitif que l’on rendait à cet homme, longtemps après sa mort, l’on puisse encore cacher des choses sous le tapis. Je voulais absolument montrer comment sa sexualité explique son être profond, ses choix, voire même ses travaux pour, avec sa machine, recréer le cerveau de son jeune ami perdu. Avec l’aide de Tristan Petitgirad et de tous ceux qui m’ont aidé et encouragé à finir ce texte, nous voulions trouver un équilibre entre les aspects scientifiques, historiques et personnels. Je pense que l’on a bien fait puisque cet équilibre est essentiel à la compréhension du spectacle et du personnage.

Ce succès doit être un formidable moteur pour la suite de ta carrière !
Nous vivons ce moment extraordinaire avec beaucoup de bonheur, nous formons un groupe d’amis, très liés et l’on continue à travailler ensemble sur ma nouvelle pièce autour de Jack London, « La Maison du loup ». Par ailleurs, je suis en train d’écrire « Le Secret des secrets », dans laquelle je ne jouerai pas et que je mettrai en scène, ce qui sera une première pour moi. J’écris pour quatre jeunes comédiens l’histoire de jeunes gens cherchant la recette de la pierre philosophale dans les archives de la British Library. J’ai voulu m’intéresser à la transmission du savoir. J’aime aller vers des défis et des projets que je sens profondément et sur des sujets que je ne cherche pas mais qui s’imposent à moi.

Propos recueillis par Philippe Escalier

Crédit photo 1 : © Cédric Vasnier – Crédit photo 2 aux saluts : © Philippe Escalier

« la Machine de Turing » se joue actuellement au Théâtre du Palais-Royal : https://www.theatrepalaisroyal.com/

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La Claque

Avec « La Claque » au théâtre de la Gaité, Fred Radix vient nous raconter l’histoire d’une très vieille technique d’applaudissements rémunérés, encore utilisée dans certains théâtres au XIXème siècle. L’excellence de la narration, la complicité avec le public-partenaire, l’humour et la qualité de l’interprétation font de ce spectacle original un moment des plus réussis.

Pour retracer le fonctionnement d’une pratique très ancienne remontant à la Rome antique et consistant à séduire l’auditoire par des réactions enthousiastes artificielles venues de personnes payées pour l’occasion, Fred Radix a imaginé un scénario très riche. Nous voici priés d’assister à la création d’un opéra en 1895 dont le chef de la claque se retrouve subitement dépourvu de complices à quelques heures de la première. Il s’agit donc de reconstituer dare-dare une équipe et ce sont les spectateurs du théâtre de la Gaité qui vont pallier ce manque et recevoir, dans la foulée, l’indispensable formation adéquate. Théâtre dans le théâtre, le procédé fonctionne admirablement. Il permet de découvrir les différentes composantes de la claque, chargées de restituer toutes les réactions possibles d’une véritable assistance subjuguée par le spectacle (rires, étonnements, bravos). Toujours friands de ce genre d’interactions, les spectateurs présents à la Gaité réagissent à la perfection. Ils sont si efficaces que l’on jurerait qu’ils ont bénéficié d’une ou deux répétitions préalables. Le système de collaboration au débotté fonctionnant à merveille, l’on savoure d’autant plus l’histoire croquignolesque et drolatique qui caractérise cet opéra imaginaire, rappelant au passage certains livrets abracadabrantesques ayant marqué l’histoire de l’art lyrique. Le scénario particulièrement bien ficelé de Fred Radix, servi par une interprétation remarquable, en devient irrésistible. Aux côtés de l’auteur, Alice Noureux et Guillaume Collignon font merveille et, avec brio, mettent en valeur tous les aspects comiques et loufoques de cet opéra démentiel propulsé par une toute nouvelle « Claque » magistrale. L’on comprend alors aisément pourquoi, en regardant ce spectacle dans le spectacle si bien orchestré et joué dont ils sont en outre les participants directs, le vrai public de la Gaité soit si euphorique. Quand le divertissement est aussi réussi, subtil et surprenant, nul besoin de claque pour assurer son succès.

Philippe Escalier

Théâtre de la Gaité Montparnasse : 26, rue de la Gaité 75014 Paris – 01 43 20 60 56

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L’Odyssée, la conférence musicale

Ce résumé musical et hilarant du retour mouvementé d’Ulysse vers Ithaque écrit et interprété par Julie Costanza et Jean-Baptiste Darosey met en joie grands et petits, tous les mercredis après midi à 15 h à La Huchette.

La guerre de Troie ne fut pas une partie de plaisir quand, pour un simple abandon du domicile conjugal, le susceptible et irascible Ménélas mis l’Asie Mineure à feu et à sang. Pourtant, pour Ulysse, qui sut apporter la victoire aux Grecs, ce ne fut rien comparé aux épreuves qui l’attendaient pour son retour au pays. Le meilleur des Grecs (après Achille bien entendu) avait dû, pour se défendre, aveugler un cyclope, fils de Poseidon : mauvaise pioche pour qui veut prendre la mer ! Homère en fit un récit comptant pas moins de douze mille cent neuf hexamètres dactyliques ! Ainsi naquit un long récit mythologique devenu mythique. Ici, rassurons le futur spectateur, le menu est très allégé. Avec Julie Costanza et Jean-Baptiste Darosey, associés, pour le meilleur et pour l’épire, le condensé proposé est aussi léger que déjanté. Avec costumes, déguisements, quelques accessoires et des chants à la clé, les deux comédiens déchainés, déployant des trésors d’inventivité, viennent détourner par l’humour cette épopée homérique. Les gags s’enchainent, les dieux interviennent, Zeus en personne par téléphone tâche d’aplanir les antagonismes afin d’éviter de voir l’empire des Dieux contre Ithaque ! Ulysse, pour sa part, prend son temps et parfois du bon tandis que Pénélope s’oblige à faire tapisserie pour ne pas avoir à choisir un nouveau mari ! Au milieu de ces innombrables facéties mises en scène par Stéphanie Gagneux, le public enchanté parvient néanmoins à suivre le périple maritime, grande carte et storyboard délirant à l’appui. Cette relecture de l’Odyssée n’aura peut-être pas l’agrément du Collège de France, mais elle est de nature à nous réconcilier, dans de grands éclats de rire, avec l’Histoire parfois un peu compliquée et agitée de la Grèce Antique !

Philippe Escalier

Théâtre de la Huchette : 23, rue de la Huchette 75005 Paris

Tous les mercredis à 15 h jusqu’au 28/12/2022 – 01 43 26 38 99

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Lady Agatha

Le résumé de la vie d’Agatha Christie dans une éblouissante mise en scène et une distribution de folie donne lieu, au théâtre Saint-Georges, à un spectacle passionnant et ô combien réjouissant !

Ma vie est un roman aurait pu dire Agatha Christie dont pourtant le mode de vie a toujours été particulièrement sobre, la romancière étant de nature plutôt timide, plus à l’aise avec sa machine à écrire que devant les projecteurs. Sa vie n’en reste pas moins incroyable, avec ses deux mariages, sa longue fugue spectaculaire à l’âge de 36 ans après le décès de sa mère suivi de l’annonce de son divorce et surtout ses livres au tirage phénoménal traduits dans 282 langues. Sans compter la création des ces deux éternelles figures que sont Miss Marple et Hercule Poirot, le fameux petit détective Belge auquel, après Peter Ustinov au cinéma, David Suchet a si brillamment donné vie à la télévision.

Ali Bougheraba et Cristos Mitropoulos ont fait marcher toutes leurs petites cellules grises en faisant, en moins de deux heures palpitantes, un résumé énergique et plein d’humour de cette existence hors du commun. Saluons ce privilège qui n’appartient qu’au théâtre de pouvoir rendre une biographie aussi poignante que divertissante quand deux formidables auteurs s’en mêlent. Le spectateur est ainsi embarqué dans un tourbillon et invité à prendre le train, le bateau ou l’avion pour sillonner le désert, partager les grands événements familiaux, rencontrer ses détectives emblématiques, ses deux maris et, bien sûr, assister à une success story qui trouvera son apogée quand la reine du roman policier rencontrera la Reine d’Angleterre pour un diner mémorable avec remise de décoration et anoblissement à la clé, ce dont probablement elle rêvait depuis toujours. Sur un rythme trépidant, les changements de tableaux s’enchainent, portés par une incroyable inventivité et le talent de six acteurs bluffants. Camille Favre-Bulle si convaincante dans le rôle titre, Tatiana Gousseff étonnante, Erwan Creignou truculent, Léo Guillaume, délicieux dans le rôle de la grand-mère, Marie-Aline Thomassin magistrale dans ses divers personnages et Matthieu Brugot parfait en petit frère ou en premier mari. Ce sextuor donne au texte et à la mise en scène signée Cristos Mitropoulos son souffle et sa dimension épique. Ensemble, ils contribuent à faire de ce spectacle une réussite exceptionnelle et nous laissent repartir heureux et plus gaga de Lady Agatha que jamais !

Philippe Escalier

Théâtre Saint-Georges : 51, rue Saint-Georges, 75009 Paris
Du mercredi au samedi à 20 h et dimanche 15 h – 01 48 78 63 47

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Le Bossu de Notre-Dame

Quand Victor Hugo est adapté et mis en scène par Olivier Solivérès au Théâtre de la Gaité, on obtient un spectacle jeune public de belle facture où les enfants rient beaucoup et les adultes tout autant.

Olivier Solivérès est devenu, au fil de ses créations, en particulier « Ados » qui a connu un succès retentissant, spécialiste du spectacle pour enfants. « Le Bossu », en ce moment à l’affiche de la Gaité, est particulièrement bien écrit et ficelé. Tout commence par un prélude pendant lequel, devant un rideau baissé, trois des comédiens viennent faire rire le public. Puis le rideau se lève sur un beau décor en carton-pâte et d’entrée l’auditoire est captivé. Les dialogues comme les gags sont drôles et bien travaillés, les références en tous genre (surtout musicales) et autres anachronismes sont particulièrement efficaces avec un double degré de lecture faisant que les parents rient au moins autant que leur progéniture. Le terrible Frollo ne parviendra pas à s’emparer du cœur d’Esméralda qui pourra rejoindre les bras protecteurs du chevalier Phoebus sous le regard attendri de Quasimodo. Les excellents comédiens sur le plateau (Laura Favie, Augustin de Monts, Tristan Robin et Benjamin Cohen) prennent un plaisir évident à jouer et chanter ce texte plein de surprises, dopés qu’ils sont par les rires du public qui confirme qu’un bon spectacle pour enfants est aussi un bon moment pour les plus grands. Quel meilleur moyen de découvrir l’univers de Hugo et de donner aux plus jeunes l’envie d’en découvrir davantage (et de retourner au théâtre !) que ce beau spectacle tonique et hilarant, joyeux mariage entre la comédie musicale et la commedia dell’arte, à voir presque tous les jours durant cette période de vacances !

Texte et photo © Philippe Escalier

26, rue de la Gaîté 75014 Paris
M° Gaîté / Edgar Quinet
01 43 20 60 56 –  www.gaite.com

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Marianne James : tout est dans la voix

Fidèle à elle-même mais capable de se renouveler, Marianne James revient au Théâtre Libre pour un seule en scène musical étonnant qui vient cueillir le public pour une balade faite de surprises, d’humour et d’amour.

Disons le d’entrée, le terme « seule en scène » ne lui convient vraiment pas, tant l’artiste fait son show avec et pour nous. Immédiatement, le public est pris à bras le corps, dans une étreinte faussement sauvage mais vraiment chaleureuse, lui faisant égrener une leçon de chant façon Marianne donnée durant 1 h 30 émaillée de multiples surprises, pendant laquelle le public rit, chante et applaudit, tout cela en même temps et sans temps mort. Pour ce qui pourrait ressembler à une Histoire du chant, de la préhistoire à nos jours, elle évoque l’évolution, les cordes vocales, le corps humain, mais pas que.… Tout ce qu’elle dit est rigoureusement vrai, mais rien n’a l’air sérieux puisque tout est affirmé avec cet humour tranchant et surprenant que Marianne James affectionne. Elle se livre à des imitations irrésistibles, se confie, nous raconte des histoires et, grand moment, nous donne sa version de Guillaume Tell. Face à ces élans de générosité si touchants, le public, transformé en chorale en répétition, séduit et conquis dés les premières secondes, s’abandonne, donne tout et se livre de bon cœur à d’hilarantes vocalises. Impossible à résumer tant il est dense, ce spectacle enchanteur ô combien vivant, dans lequel nous retrouvons un subtil condensé du parcours de Marianne James, est une incarnation parfaite de ce que devrait être tout artiste : un infatigable diffuseur de bonheur !

Scène Libre : 4, bd de Strasbourg 75010 Paris du jeudi au samedi à 19 h et dimanche 15 h – 01 42 38 97 14

Texte et photo : © Philippe Escalier

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Glenn, naissance d’un prodige

Au Petit Montparnasse : Gould is Bach !

La dernière pièce d’Ivan Calbérac est construite autour de Glenn Gould, l’un des plus grands pianistes du XXème siècle. Par son humour, sa sensibilité et une distribution irréprochable, « Glenn, naissance d’un prodige » est un moment particulièrement fort et émouvant qui va marquer cette saison théâtrale.

Le monde de la musique nous a habitué aux personnalités hors du commun, parfois fantasques, toujours promptes à se singulariser. Avec Glenn Gould, nous atteignons des sommets tant cet artiste atypique poussa l’originalité et le mal-être à l’extrême.
Né à Toronto en 1932, Glenn Gould est un surdoué. Doté de l’oreille absolue, il commence très jeune une carrière de pianiste concertiste. Mais ce génie, couvé par une mère ultra protectrice (pour le dire gentiment) qui n’abandonnera jamais l’habitude de dormir avec son fils, est atteint du syndrome d’Asperger responsable chez lui de dérèglements majeurs. L’artiste paranoïaque se montre incapable de vivre une relation sentimentale et ne peut supporter très longtemps la « confrontation » avec le public que ses concerts lui imposent. Renonçant à ses succès à travers le monde, il se consacre aux enregistrements parmi lesquels les fameuses « Variations Goldberg » de J.S. Bach auquel son nom est associé pour l’éternité, reconnaissables entre mille, notamment par le chantonnement surprenant que l’on entend tout au long de son interprétation lente et inspirée.

Thomas Gendronneau © Philippe Escalier

Cette exceptionnelle mais courte trajectoire (Gould meurt à 50 ans, usé par les médicaments et autres tranquillisants dont il se gavait et une hygiène de vie déplorable) Ivan Calbérac nous la fait revivre sur scène. Grâce à une mise en scène particulièrement inventive qu’il a signée, l’auteur parvient à brillamment résumer cette vie sans jamais cesser de mettre en avant ce qu’elle pouvait avoir de drôle et de dramatique à la fois. La musique est présente, sans être omniprésente et c’est aux comédiens qu’il revient de transcender cette magnifique partition théâtrale. Dans le rôle titre, Thomas Gendronneau excelle. Depuis l’enfance jusqu’à la mort, il joue ce pianiste aux innombrables névroses avec une justesse remarquable. Le fait d’être musicien a dû aider ce jeune comédien à se couler dans la peau de ce personnage impossible. Aucune fausse note dans son interprétation virtuose. Face à lui, dans le rôle de la mère ô combien castratrice et jalouse, consumée par un amour filial excessif et l’envie de vivre par procuration cette carrière de grande pianiste dont elle rêvait, Josiane Stoleru nous offre une incarnation magistrale. Bernard Malaka est touchant en père qui ne peut contenir les excès de sa femme et qui ne reconnait ses fautes que tardivement face à sa nièce, (irréprochable Lison Pennec) amoureuse transie son fils. Benoît Tachoires est parfait dans ses habits d’impresario bon vivant qui finit par jeter l’éponge tandis que Stéphane Roux agrémente cette belle distribution avec plusieurs personnages dont celui de directeur d’un grand studio musical.

Pour notre plus grand plaisir, Ivan Calbérac a donc réussi un triple exploit : faire revivre une légende du piano sur scène à travers un texte d’une richesse et d’une dynamique impressionnantes, dit par une troupe qui, dans les derniers instants, après nous avoir fait rire et vibrer sans discontinuer, nous arrache quelques larmes. De toutes ces émotions fortes, nous leur sommes reconnaissants.

Philippe Escalier

Petit Montparnasse : 31, rue de la Gaité 75014 Paris

Du mardi au samedi à 21 h et dimanche à 15 h – 01 43 22 77 74

Lison Pennec, Thomas Gendronneau © Philippe Escalier
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Jacques de Bascher

Au Théâtre de la Contrescarpe, Gabriel Marc nous propose un spectacle émouvant, faisant renaitre sous nos yeux la fulgurante trajectoire de Jacques de Bascher, le dandy, prince de tous les excès ayant régné sur le monde de la nuit dans les années 70 et 80.

Gabriel Marc dans Jacques de Bascher

La mort de Karl Lagerfeld qui fut son compagnon et les deux biopics consacrés à Yves Saint Laurent dont il fut l’amant ont remis Jacques de Bascher sous les feux de la rampe. Bien avant cela, Gabriel Marc s’est pris de passion pour ce personnage hors du commun, dont la vie courte n’est connue que pour avoir partagé celle de gens célèbres. De fait, hormis quelques photos, il n’existe sur lui que des témoignages parcellaires. Né en 1951, avec un nom à particule, le jeune homme ne détient aucun talent particulier mais il est d’une beauté et d’un charme propres à lui ouvrir les plus belles portes. C’est ainsi qu’à vingt ans, il rencontre et s’attache pour la vie Karl Lagerfeld dont il sera le seul et unique amour. En bon aristocrate, Jacques de Bascher entend vivre comme il l’entend en rupture avec les conventions d’une société dans laquelle il évolue mais qui n’est pas vraiment la sienne. Comme s’il était encore un seigneur du XVIIe siècle, ne pas travailler et s’occuper de ses plaisirs reste sa ligne de conduite, d’autant que Karl s’occupe de l’intendance. Sa rencontre avec Saint Laurent qu’il rendra presque fou a failli menacer la bonne marche de la grande maison. Mais Pierre Bergé veillait et n’ira pas par quatre chemins pour interrompre cette liaison impossible.

Gabriel Marc a choisi les épisodes marquants de cette vie débridée. Il fait débuter son récit en 1984, quand de Bascher apprend sa séropositivité. Il sait que ses jours sont comptés. Désemparé, il cherche du réconfort auprès de son amie, Diane de Beauvau-Craon la princesse aussi déjantée que lui. Il appelle sans cesse Lagerfeld pour qui il enregistre les détails de sa vie sur des cassettes, en guise de testament amoureux. Durant un peu plus d’une heure, nous allons faire des aller-retour entre les moments forts de cette vie fracassée, passée à s’habiller avec le plus grand raffinement, à lancer des piques assassines à tous ceux qui ne sont pas à la hauteur autour de lui et surtout à s’envoyer en l’air en toutes occasions. En cela, Jacques de Bascher fut loin d’être unique. Pourtant, si la nuit parisienne regorgeait de personnages jouisseurs et vénéneux, elle n’en connut qu’un seul, vénéré sa vie durant par Karl Lagerfeld. La mise en scène de Guila Braoudé permet de recréer l’univers impitoyable dans lequel il évolua tout en rendant le texte parfaitement vivant, comme si Jacques de Bascher avait enfin consenti à nous inviter chez lui. Comment ne pas y croire quand Gabriel Marc est tout entier dans la peau de son personnage, avec sa désinvolture, ses peurs, ses addictions ? Rien ne lui échappe. Le comédien en a compris toutes les facettes, tous les mystères. Chacun de ses mots, de ses gestes et de ses attitudes nous disent qui était finalement Jacques de Bascher : un mélange explosif de Visconti et de Pasolini, un épicurien, infernal jusqu’à l’autodestruction, malheureux à en mourir d’être privé du génie de ceux qui l’ont entouré mais qui parvint à faire de sa vie un roman. Un roman que Gabriel Marc nous fait découvrir et partager avec une générosité sans pareille.

Philippe Escalier

Théâtre de la Contrescarpe : 5, rue Blainville 75005 Paris

Vendredi et samedi à 21 h – 01 42 01 81 88

http://www.theatredelacontrescarpe.fr

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Coscoletto

Avis de tempête aux Gémeaux : le « Coscoletto » de la compagnie Les Zolibrius fait souffler un vent de folie sur le festival OFF d’Avignon. Une belle découverte aussi surprenante qu’hilarante !

© Cédric Vasnier

Après « Monsieur Choufleuri » et « L’Ile de Tulipatan », les Zolibrius ont eu la bonne idée de ressusciter une courte opérette de Jacques Offenbach en deux actes datant de 1865. Le livret et la partition ayant totalement disparu en France, il ne subsistait qu’une version allemande qui a servi de base à cette remarquable renaissance. Tout ce qui est signé du maître de l’opérette, chouchou du Second Empire, portant l’assurance d’une qualité musicale, bien leur en a pris ! Ce vaudeville loufoque à souhait, est construit autour d’un marchand de macaronis marié à une femme que tout son entourage lui envie. Maladivement jaloux, il entre en guerre contre tous les hommes amoureux du quartier avant qu’un réveil du Vésuve ne vienne rappeler ce petit monde à plus de réalisme. La mise en scène de Guillaume Nozach, qui signe l’excellente adaptation particulièrement riche et inventive avec Vinh Giang Vovan, contribue à faire de cette délirante tornade musicale, très retravaillée mais fidèle à l’esprit d’Offenbach, un petit bijou. Cet hymne à l’amour aux multiples péripéties et aux personnages cocasses est mené tambour battant par une troupe exemplaire accompagnée par un pianiste et une violoncelliste (Jeyran Ghiaee et Maëlise Parisot). Alexis Meriaux, magnifique dans le rôle titre et dont on jurerait lors de la bacchanale finale qu’il a le diable au corps, est entouré de Laetitia Ayrès, Nicolas Bercet, Dorothée Thivet, Hervé Roibin et Alexandre Martin-Varroy Tous se donnent entièrement, avec autant de justesse que de talent pour nous offrir 1 h 10 de pur plaisir. Le final étant grandiose, le public subjugué et quasi envouté n’hésite pas une seconde à se lever pour leur faire une généreuse ovation amplement méritée.

Philippe Escalier

Les Gémeaux à 16 h 40 : 10, rue du Vieux Sextier, 84000 Avignon – 09 87 78 05 58

© Philippe Escalier
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Britannicus Tragic Circus

La nouvelle création des Épis Noirs fait salle comble au Théâtre du Balcon faisant souffler un vent de folie dans le OFF 2022 avec un spectacle délirant et haut en couleurs.

BRITANNICUS PHOTO : OLIVIER. BRAJON

L’une des traditions des Épis Noirs est de s’attaquer à nos grands mythes fondateurs. Avec visiblement un goût particulier pour Racine. Après « Andromaque », les voici en train de revisiter « Britannicus ». De fond en comble. Poésie, burlesque et musical sont les armes avec lesquelles Pierre Lericq (auteur, metteur en scène assisté de Bérangère Magnani) et sa troupe dézinguent celui qui, avec Corneille, est le plus grand de nos classiques. L’œuvre de Racine n’est qu’un prétexte à plus d’une heure de spectacle absolument déjanté. Certes, les personnages de la tragédie sont là mais ils disent leur propre texte pimenté de quelques alexandrins dans une ambiance de cirque assez fellinienne, où le clown serait roi. Imaginez-vous en mai 68 après JC. Si l’on résume l’intrigue, vous allez dire : « Mais c’est quoi ce cirque ? ». Et c’est là que les Epis Noirs interviennent. Pierre Lericq installe le théâtre dans le théâtre et, en Monsieur Loyal, conduit son petit monde, association d’intermittents du spectacle ratés, à coups de fouet, vantant auprès du public ses qualités de dresseur. Une dureté indispensable pour tenir ces artistes enivrés par la scène, toujours prêt à donner le bras quand on ne leur demande que la main. Tout est massivement surligné et pourtant, rien n’est excessif. Il n’est pas si exagéré de penser que cet ouragan rock et circassien pourrait être bien plus proche de l’auteur qu’on ne le croit. Mais oublions Racine, devenu ici roi des Punks et restons avec nos personnages lunaires et loufoques. Britannicus reste séduisant, pas seulement parce qu’il a l’apparence de l’excellent Jules Fabre mais parce qu’il touchant en grand ado inconscient, trop cool, amoureux de Junie qu’il préfère au pouvoir. Face à lui, Néron prend les traits de Tchavdar Pentchev qui est au centre du show auquel il contribue à donner avec brio, toute son intensité. Inquiétant maître chanteur, inhumain, rendu narcissique et violent par l’amère Agrippine que Marie Réache transforme avec talent en folle furieuse, sorte de mante religieuse incestueuse, obsédée par l’idée de mettre son fils sur le trône. Pour cela, elle prépare une omelette empoisonnée pour le malheureux Claude. Morale : on ne fait pas de coup d’État sans casser des œufs. Mais Néron veut, quoique marié, être aussi uni à Junie à laquelle Julie de Ribaucourt prête son art et sa grâce pendant que Gilles Nicolas, serviteur obséquieux est occupé à décrire tout haut le moindre de ses mouvements.

Cette troupe de comédiens musiciens danseurs sait tout faire, depuis tenir le public en haleine et en joie jusqu’à transformer un grand désordre apparent en monumentale réussite scénique. Ce théâtre populaire contribue à donner ses lettres de noblesse au spectacle vivant et du bonheur à ses spectateurs. Que demande le peuple ?

Texte : Philippe Escalier – Photos © Olivier Brajon

Théâtre du Balcon : 38, rue Guillaume Puy 84000 Avignon – Tlj sauf le mardi à 19 h 55

BRITANNICUS PHOTO : OLIVIER. BRAJON
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