Marc Tourneboeuf

Théâtre du Marais

Avec « L’impatient ou le fol optimisme de ceux qui se mangent des murs », Marc Tourneboeuf signe son deuxième seul en scène et confirme son talent et son goût pour les sous-titres à rallonge !

Une chose est sure : on serait bien en peine d’accuser Marc Tourneboeuf d’autosatisfaction. Son sens de l’autodérision est, encore une fois, tout entier mis au service de formules assassines (et si drôles) qui ponctuent sans relâche son dernier spectacle. Après nous avoir conté sa Berezina sentimentale dans son premier opus, le voilà qui revient pour nous narrer sa vie de comédien ressemblant à une salle d’attente où serait projetée en boucle la bataille de Waterloo. Rien de tout ce qui est prévu n’arrive. Le producteur est plus difficile à déplacer que la Tour Eiffel, son agent atteint d’un Alzheimer précoce, ne se souvient jamais de lui, son psy s’évertue à lui laisser faire le boulot, tous ces grands moments de solitudes s’accompagnent de scènes de la vie quotidienne que le comédien, qui ne manque pas d’imagination, a l’art de rendre irrésistibles. La copine espiègle, la petite amie frivole, l’intervention du beau-frère par caméra vidéo interposée en plein rendez-vous coquin, les petits et grands épisodes groquignolesques ne manquent pas. Tous sont marqués par un remarquable sens de la formule. Magicien du lexique, dompteur de mots, Marc Tourneboeuf adore jouer sur les consonances qui déroutent allégrement un public hilare. Nul n’a plus que lui l’art de la situation improbable, ni la capacité de dépeindre les absurdités que l’on rencontre tous les jours. Son spectacle, mené à un rythme d’enfer, a pour particularité d’être une description extraordinaire de tout ce qui pourrait faire son ordinaire. Cette aptitude à utiliser l’humour pour dépeindre ses semblables de façon aussi imagée et jubilatoire est l’une des nombreuses qualités d’un artiste que nous sommes toujours impatients de retrouver sur scène !

Texte et photo : Philippe Escalier

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Le Vertige

Théâtre de la Madeleine

Ils sont quatre, réunis sur une terrasse, au sommet d’un bel immeuble cossu, autour de Tom, (Alexis Moncorgé), pour fêter la naissance de sa fille et profiter d’une belle terrasse, les deux faisant son bonheur. Son jeune frère, Benjamin (Arthur Fenwick) ne semble pas aller très bien, pas plus que Marc (Andy Cocq) le salarié-copain de Tom et Lisa (Anne-Sophie Germanaz) qui désespère Benjamin, son amoureux transi. Difficile dans ces conditions de vraiment se réjouir et célébrer le maître des lieux, un extraverti particulièrement imbu de sa personne.

Hadrien Raccah, toujours très à l’aise dans la comédie de mœurs, nous laisse entendre des dialogues percutants, sans pour autant chercher la formule à tout prix. Dans « Le Vertige », il s’est intéressé au double sujet des failles personnelles, amicales ou professionnelles, celles qui déséquilibrent et que l’on essaye de cacher en les gérant au mieux et par ailleurs, ce qu’il convient de dire ou de ne pas dire pour rester honnête sans mettre en péril sa vie sociale. C’est donc à un duel à quatre à fleuret moucheté d’abord auquel nous assistons avec des personnages qui ne sont jamais d’un seul tenant et dont les faiblesses nous amusent et nous touchent. Dans cette pièce d’une efficacité redoutable, les moments drôles, les plus nombreux, alternent avec des séquences tendues ou dramatiques. Le mélange s’opère grâce à l’agilité d’une écriture au style à la fois simple, subtil et léger. La mise en scène efficace et sobre de Serge Postigo met en valeur les qualités des comédiens qui nous entrainent dans un moment absolument réjouissant. De cette comédie sur le mal-être on sort heureux !

Philippe Escalier

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Simon Gabillet

Lyonnais d’origine, Simon Gabillet a commencé à travailler dans sa ville natale avant de profiter de sa participation en 2023 à la pièce « Les Liaisons dangereuses » mise en scène par Arnaud Denis pour rejoindre la capitale et y développer ses activités artistiques. Les deux pièces de Pagnol « Naïs » et « Le Schpountz » qui complètent son actualité nous ont amené à nous intéresser à un jeune comédien doué, bien décidé à étoffer un parcours déjà conséquent.

L’on pourrait dire de Simon Gabillet qu’il crève l’écran s’il ne se consacrait pas, pour l’instant, à la scène. Ce qui frappe lorsqu’on le découvre c’est, au premier abord, sa présence, qui fait qu’on ne le quitte pas des yeux, son jeu, tout en finesse et sa façon de bouger et d’occuper l’espace. De toute évidence, le comédien est à l’aise avec son corps et cela se voit. Cette facilité lui vient en partie d’une fascination pour la danse et des quinze années très intenses de volley-ball qu’il a commencé très jeune et pratiqué à haut niveau. Seule une forme de lassitude face à un milieu où il ne se sentait pas totalement épanoui le pousse à changer de cap et à suivre des cours de théâtre. Il garde de sa première expérience le goût de l’effort, du travail et du collectif et ce compétiteur né retrouve sur les planches ce qui caractérisait ses matches, à savoir la victoire point par point. Comme il le dit : « une représentation de théâtre ressemble à une rencontre sportive, il faut avancer en rythme, étape par étape pour aller vers la victoire, en l’occurrence, les applaudissements de la salle ». 

Après une formation en trois temps, aux USA, à Lyon puis à Paris, il travaille avec la compagnie Le Raid avec laquelle il joue plusieurs personnages dans « Le Malade imaginaire », sa toute première pièce qui a beaucoup tourné, notamment au festival d’Avignon, « Orphelins » de Dennis Kelly, l’un de ses auteurs préférés et « Prophètes sans Dieu » de Slimane Benaïssa. Viennent ensuite au Théâtre de la Tête d’or « La Femme du boulanger » de Pagnol, « Vive le marié » de Jean-Marie Chevret et « Les liaisons dangereuses » qui lui permettent de rencontrer Thierry Harcourt venu assister à une représentation en région parisienne lors de la tournée. Le metteur en scène lui propose alors de participer à « Naïs » et il rejoindra également par la suite l’équipe du « Schpountz » mis en scène par Delphine Depardieu et Arthur Cachia, deux pièces de Pagnol qui vont occuper une partie de son année 2024.

Ce grand sportif, attiré par la dimension corporelle du jeu, s’intéresse de près à la danse. « J’aime tout faire mais les personnages nécessitant un engagement corporel, quasi chorégraphique, me passionnent ». Quand il le peut, ses moments de formation sont tournés vers la danse contemporaine, très utiles pour la scène mais aussi pour canaliser et extérioriser une grande énergie physique. De surcroit, la profession de sa compagne Maeva Lassere, danseuse venue travailler en free-lance à Paris, ne peut pas être totalement étrangère à cet intérêt. Du reste, il crée avec elle, pour la première fois, une mise en scène intitulée « Mamalia » pour le festival « Danse à Milly » qui se déroulera dans la maison d’enfance de Lamartine près de Mâcon et où, le 5 juillet 2024, ils donneront ensemble un spectacle où elle dansera accompagnée d’un texte qu’il interprétera.

Comme beaucoup de comédiens, Simon Gabillet a monté sa compagnie. « I AM NOT » vise notamment à travailler sur le lien entre la parole et le mouvement avec des comédiens et des danseurs en quête d’un univers mélangeant la danse et les mots. Parmi les projets en gestation, l’un concerne le parcours de danseuse de son amie Maeva Lassere, depuis l’âge de 5 ans où elle découvre sa discipline jusqu’à aujourd’hui, l’autre, un seul en scène dans lequel il jouera avec l’imaginaire car selon lui « il n’y a pas meilleur espace que la scène pour se ré-inventer à l’infini » et dans lequel il donnera libre cours à son goût des mots, de la parodie et de l’humour dans un théâtre fondamentalement physique. Il y exprimera sa fascination pour les danseurs et son plaisir à donner l’illusion qu’il en est un ! Il ne fait pas de doute que le public se laissera embarquer par ses talents de conteur, avec le plaisir incomparable que l’on a de suivre un excellent comédien. Pour l’heure, nous allons pouvoir découvrir ce lyonnais au Lucernaire à Paris dans « Naïs » le texte de Marcel Pagnol, le plus marseillais des auteurs français, à partir du 8 mai 2024 au Lucernaire.

Philippe Escalier – Photos © Bruno Perroud

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Le jeu de l’amour et du hasard

Théâtre Le Lucernaire

Dans cette pièce, l’un des chefs d’œuvre de Marivaux, l’auteur se livre, comme à son habitude, à une fine description des relations sociales et affectives. La mise en scène, très subtile, permet de savourer avec plus d’intensité encore ce moment jubilatoire porté par une belle troupe.

Le XVIIIe siècle a porté, en particulier grâce à Marivaux, la langue française à des sommets. La préciosité de ses textes est toujours tempérée par la justesse de ses observations et l’humour qui les accompagne. Cette langue si classique n’en demeure pas moins parfaitement limpide et d’une éclatante modernité, on en veut pour preuve le quasi féminisme dont il se fait l’avocat. Chez Marivaux, la femme a redressé la tête et elle décide. Dans « Le jeu de l’amour et du Hasard », c’est justement pour arrêter son choix en toute connaissance de cause que Silvia entreprend de permuter les rôles avec sa servante dans le but de se déterminer face au bon parti proposé par son père. Ce subterfuge devient d’autant plus piquant que le promis, sans rien savoir, a fait de même avec son serviteur. Tout est en place pour que les véritables personnalités apparaissent, sans fard, au grand jour au prix d’un véritable désordre amoureux et d’une situation toute chamboulée qui vire au dérapage incontrôlé.

La mise en scène élaborée et joyeusement délirante de Frédéric Charboeuf, dans sa dualité classique-moderne est du plus bel effet. Les habits de cour ont été oubliés pour faire place à des tenues de prolétaires. Ces décalages qui s’accompagnent de multiples trouvailles et d’un jeu d’acteur sans faille, font ressortir les merveilles du texte délicatement soulignés par quelques virgules musicales hétéroclites, mêlant Rameau, Wagner et Grease (avec « You’re the one that I want »). Les surprises s’enchainent et les deux personnages principaux vont devoir ramer dur pour sortir du piège dans lequel ils se sont fourrés. Respect des convenances, impossibilité de se mésallier, qui du statut social encore prégnant ou de l’amour va l’emporter ? Le simple fait de poser la question caractérise le fossé séparant le XVIIe du XVIIIe siècle qui marche allégrement vers les Lumières. Et Marivaux de continuer à nous faire rire et à nous étonner en décrivant ce cheminement vers le progrès et l’émancipation. Les longs applaudissements que le public réserve au jeu d’Adib Cheiki, Matthieu Gambier, Jérémie Guilain, Lucie Jehel, Frédéric Charboeuf, Dennis Mader et Justine Teulié (en alternance avec Camille Blouet), ces véritables preuves d’amour ne doivent donc rien au hasard !

Philippe Escalier Photo © Mcaelicia

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Homini Lupus

La Croisée des chemins 

Ce texte décrivant trois destins emblématiques pose sur l’âme humaine un regard affuté que l’interprétation rend plus émouvant encore.

La Croisée des chemins : le nom du théâtre pourrait bien être le sous-titre potentiel de cette première pièce de Julien Altenburger. Trois comédiens pour trois vies qui synthétisent les grands combats de l’existence : la liberté, la dignité, le respect de l’autre. Et ce, à travers les thèmes si actuels de la violence conjugale, de l’intégrisme religieux et du rejet des différences. Pour un premier texte, la barre est haute. Le plaidoyer est vibrant, il est parfois un peu didactique mais il sait entrainer le spectateur dans cet entrelacement de vies, avec ses parts d’ombre et de lumière. Il sait parfaitement démontrer, et comment ne pas y être sensible en ces moments si tendus que nous vivons ? à quel point tout est si fragile. « Homini Lupus » nous dit bien que la vie ne saurait se résumer à une longue marche vers le progrès. Ce plaidoyer, ce cri, au-delà des difficultés et de la noirceur dépeintes, laisse pourtant toujours une place à l’espoir. Pour ces épreuves et ces combats, Bunny Chriqui, Raphaël Fournier et Mahmoud Ktari, dans la mise en scène de Grégoire-Gabriel Vanrobays qui va à l’essentiel, apportent leur large palette de jeu et leur force de conviction capables de générer en nous toutes les émotions. Grâce à eux, le texte où tout est si fortement et subtilement imbriqué, prend toute sa dimension.  

 « Je suis le meilleur, je suis le pire, je suis moi ! » : entre optimisme béat et pessimisme fatal « Homini Lupus » fait une belle place à la vie et parle directement au cœur des spectateurs. Au final, les applaudissements mêlés de larmes sont là pour attester que le but a été atteint !

Philippe Escalier

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Clémentine Célarié

Époustouflante dans « Je suis la maman du bourreau »

Clémentine Célarié a transformé son immense coup de cœur pour le texte de David Lelait-Helo en un spectacle envoutant à l’affiche de la Pépinière Théâtre. Avec nous, elle revient sur sa vie et son seule en scène qui a bouleversé le festival d’Avignon 2023.

Comment s’est faite la rencontre avec « Je suis la maman du bourreau » ?

Après avoir vaincu ma maladie, je n’avais qu’une hâte, c’était retravailler. Avec mon producteur et ami, Jérôme Foucher, je cherchais un spectacle pour faire un autre Avignon. J’ai lu beaucoup de choses, je suis revenue à Maupassant, je me suis intéressée à Zola. Je voulais quelque chose de singulier et de puissant. Un jour, j’étais à Crozon où une copine, Catherine, est la libraire du lieu. Je lui ai demandé si elle n’avait pas un livre avec un personnage féminin très fort à me proposer. Elle m’a tendu : « Je suis la Maman du bourreau ». J’ai eu un coup de foudre absolu. Jérôme a demandé les droits. J’ai appelé David Lelait-Helo. J’avais lu « Poussière d’homme » et je trouve qu’il y a chez cet auteur une formidable intensité des sentiments. Ce que j’aime dans cette pièce, c’est le dilemme paradoxal, à la fois l’amour absolu et la confrontation avec l’horreur et les déchirements qui en découlent.

Quand on vous voit sur scène, quand on observe votre jeu, que l’on est happé par votre personnage et que l’on est traversé par des émotions dingues qui, à la fin, éclatent quand toute la salle se dresse comme un seul homme pour vous applaudir, on peut se demander comment vous travailler vos personnages et comment vous atteignez un tel degré de perfection ?

Ce que vous dites me touche beaucoup. Cela me donne envie de m’interroger encore davantage, d’autant que je suis en train d’écrire un livre sur mon métier, ma passion. À partir du moment où j’ai un coup de foudre, je suis reliée au personnage tout le temps et je ne suis jamais en repos. J’ai fait l’adaptation, David Lelait-Helo m’a fait confiance, ça m’a traversé comme si le texte avait été écrit pour moi. Tout est venu naturellement, y compris la mise en scène.

Quand j’ai préparé Avignon, j’étais obsédée. Je ne pensais qu’à mon texte. J’ai regardé des films traitant du même sujet, j’avais besoin d’observer des camarades de jeu, de voir des fictions, tout en lisant et relisant mon texte. J’ai repensé à des personnes de ma famille et de mon entourage qui m’ont marqué par leur pureté. Je recherche la pureté et je crois en la pureté des êtres, ce n’est pas pour rien que je fais ce spectacle autour d’une femme qui se prend pour la fille de Dieu. J’étais tellement imprégné par mon personnage qu’il m’a fallu m’entrainer à me reposer la tête. Dans ce travail, mes fils m’ont aidé en me disant de ne surtout rien surligner, que tout était clair et qu’il ne fallait pas faire de mon personnage une caricature de son milieu social. J’ai regardé « Le Silence des Agneaux » pour m’aider à exprimer une froideur que j’ai toujours du mal à avoir et que je trouvais intéressante à travailler. Il fallait simplifier et dédramatiser. Pour Paris, je me suis préparée physiquement pour être entrainée, avoir du souffle et être tonique. Mais lorsque j’ai joué à Avignon, le rôle m’a dévoré. Je ne voulais pas aller au soleil pour garder une peau blanche. Je voulais être dans l’état second qui caractérise mon personnage. Il s’est d’ailleurs passé pas mal de choses autour du spectacle. Dans cette histoire d’un amour dévorant, le public est touché, il se sent concerné. Je me suis même posée des questions sur l’éducation de mes enfants, on influe sur eux, parfois sans le vouloir ou sans s’en rendre compte. Jeune, maman m’a mise en pension chez les bonnes sœurs, j’ai eu envie de devenir l’une d’elles à moment donné. Mais comme je suis une grande passionnée, j’aurais été amoureuse de tous les curés (rires). À 16 ans, elle m’a amené au théâtre et là, ça m’est tombé dessus d’un coup : tout était réuni, la beauté, la bonté, le sacré, en dehors du monde. C’est aussi ce que j’aime chez mon personnage c’est qu’elle est en dehors du monde !

Clémentine, où en êtes-vous de l’adaptation de votre livre écrit sur votre cancer, « Les Mots défendus ?

J’ai eu un problème avec cela depuis que j’ai rencontré des personnes extraordinaires de la maison RoseUp dont je parle tout le temps car c’est un endroit incroyable où les femmes qui ont eu un cancer peuvent aller et où elles sont entourées et écoutées. Depuis, je me dis que je ne peux pas parler uniquement de mon cancer, il faut que je puisse parler de ce que les autres ont vécu. J’ai décidé d’inclure dans la mienne, l’histoire de toutes ces femmes que j’ai rencontrées. J’ai un projet d’ateliers théâtre pour les amener dans la force que peut apporter l’imaginaire. Pour que l’on puisse se dépasser dans nos émotions, se dépasser soi-même en incarnant autre chose que soi. Croire en quelque chose d’autre, c’est, avec mes enfants, ce qui me sauve. La vie limitée à la gagner et faire des diners, ce n’est pas ça pour moi ! C’est dire des conneries avec les copains, franchir les limites, jouer « Une vie » 150 fois, être libre de vivre avec qui l’on veut, créer des projets, être fou, grandir, toujours grandir !

Philippe Escalier Je suis la maman du bourreau, photo François Fonty

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«The Rocky Horror Show» au Lido 2 Paris

Rencontre avec le metteur en scène Christopher Luscombe

50 ans après sa création, le rock’n’roll musical culte de Richard O’Brien revient enchanter les Parisiens. Son metteur en scène, Christopher Luscombe, aborde avec nous son parcours et nous parle de cette grande fête contagieuse et transgressive autour des fiancés Brad et Janet, du docteur Frank-N-Furter et sa créature musclée, Rocky.

Christopher, vous qui avez travaillé au théâtre, à l’opéra et dans la comédie musicale, diriez-vous que le mélange des genres est l’une de vos caractéristiques ?

Je le crois en effet. J’ai toujours essayé de continuer à faire des choses différentes. J’ai été acteur pendant 17 ans et je suis metteur en scène depuis plus longtemps encore, et vous avez raison, j’ai un penchant pour varier les plaisirs. Cette année, j’ai fait « Rocky Horror » à Sydney, « Gypsy » à Tokyo en passant par « Le Barbier de Séville » à Garsington et « Private Lives » à Londres soit une comédie musicale rock, une comédie musicale de Broadway en japonais, un opéra en italien et une pièce de théâtre. Je suppose que ce qui les unit tous, c’est la comédie. J’ai tendance à travailler avec du matériel comique, quoique dans des genres très différents. Cela dit, mon prochain opéra est « Tosca », c’est effectivement très sérieux, mais j’ai pensé qu’il serait bien pour moi de faire quelque chose qui ne repose pas sur le rire !

Pour quelle raison avez-vous choisi « Rocky » ?

Je n’avais jamais vu « Rocky Horror » lorsqu’on me l’a proposé il y a 18 ans, et je n’aurais jamais imaginé le réaliser. Mais j’en suis tombé amoureux de ce show où Richard O’Brien a si bien mêlé le glamour et la fantaisie macabre. Cela a été le spectacle le plus heureux et le plus gratifiant sur lequel j’ai travaillé, partout dans le monde. Il m’a ouvert des portes et un nouveau public tout en générant de nombreuses opportunités. Je pense qu’il est bon de se lancer dans des projets inattendus, car ils vous lancent des défis et vous font travailler plus dur, c’est idéal pour moi qui aime bousculer les choses.

Comment avez-vous fait votre casting pour Paris ?

Les acteurs qui vont jouer à Paris font partie du spectacle depuis un certain temps, jouant dans le West End de Londres et en tournée au Royaume-Uni. Certains d’entre eux sont en production depuis plusieurs années et ils sont si merveilleux que nous les avons invités à continuer, et ils n’ont pas eu besoin de beaucoup de persuasion ! Nous plaisantons en disant que c’est comme une famille, et parfois les gens s’éloignent et font autre chose, avant de revenir au bercail. « Rocky » crée une certaine dépendance, je pense. Nous avions besoin d’artistes capables de chanter, de danser et de jouer à un très haut niveau, nous sommes très chanceux d’avoir trouvé des interprètes aussi talentueux.

Vous avez beaucoup tourné avec « Rocky ». Avez-vous observé des différences de réactions selon les pays ?

Oui, cela varie énormément, même d’une ville à l’autre au Royaume-Uni, le nord étant généralement plus explosif que le sud ! Il y a un énorme public pour « Rocky » en Italie, en particulier dans une ville comme Milan, et ils étaient incroyablement enthousiastes en Israël. Barcelone l’a découvert récemment mais le coup de cœur a fonctionné à plein et nous avons toujours un accueil très chaleureux en Australie et en Afrique du Sud.

Philippe Escalier – Photos : Nathan Kruger (portrait de Christopher Luscombe) et Philippe Escalier

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Peter McPherson, acteur généreux et militant

Ses multiples talents, à l’écran ou sur scène et la sortie en France du film « Dans la mêlée », nous ont donné envie de nous intéresser à un acteur, artiste dans l’âme, au parcours déjà riche et à la personnalité très attachante.

Artiste je serai !

Contrairement à ce que son nom peut laisser penser, Peter McPherson a des origines irlandaises.  Ses débuts sont conditionnés par sa personnalité : il n’est pas issu d’une famille d’artistes mais sa manière de surmonter la grande timidité qui marque sa jeunesse consistera à intégrer une école d’art dramatique. « Certains choisissent ce métier car ils veulent réussir et briller, pour moi cela a été une porte ouverte sur le monde, une façon de m’exprimer et de me réaliser. À l’école, je ne savais pas ce que je voulais faire mais j’avais déjà en moi cette énorme envie de jouer ». Pour ce faire, à 17 ans, il quitte Hartlepool, sa ville natale du nord de l’Angleterre pour rejoindre la capitale et suivre des cours dans un théâtre musical et s’inscrire, pour une formation d’acteur, au Drama Centre London.

Acteur, représentant de sa communauté

Aujourd’hui, si ses affinités avec le théâtre restent essentielles, il apprécie toujours davantage de tourner pour la télé ou le cinéma. Sa pièce favorite « Afterglow » qu’il a joué deux fois et dans deux rôles différents, est une histoire moderne sur la complexité et la spécificité des relations gays (non exclusives) donnée récemment au Southwark Playhouse. Dans son dernier film, « Dans la mêlée » (« In from the Side »), réalisé en quelques semaines, Matt Carter ayant préparé avec soin les épisodes de tournage, il est victime d’un adultère suite à l’arrivée d’un nouveau joueur très sexy au sein d’un club de rugby gay. Tout n’y est pas rose, loin de là, mais les scénaristes sont sortis des sujets un peu habituels pour se concentrer sur les relations affectives, fussent-elles turbulentes, ce que Peter trouve très rafraichissant. De nombreux acteurs réunis pour tourner ce film sont gays. Pour Peter, il est naturel et important que des récits construits pour façonner l’histoire d’une communauté puissent être interprétés (du moins le plus souvent) par des artistes qui en sont issus. Comme dans la belle série « Fellow Travelers » avec les emblématiques Jonathan Bailey et Matt Bomer.

Peter McPherson a toujours trouvé un peu tristes ceux qui refusaient d’assumer qui ils étaient et s’obligeaient à vivre dans le silence et parfois le mensonge. Pas question pour lui de prétendre être celui qu’il n’est pas. N’avoir jamais caché son statut de HIV positif a permis à son agent de lui proposer en 2022 « Others », un magnifique court-métrage fantastique de vingt minutes, tourné à Toronto, qui vise à changer la perception que l’on a parfois des personnes séropositives. Le film a été produit par Casey House, fondée en 1988 par un groupe d’activistes communautaires, de journalistes et de bénévoles « consternés » par l’indifférence de la société à l’égard de l’épidémie de sida. Ce tout premier établissement autonome au Canada pour les personnes vivant avec le VIH est devenu depuis un hôpital soignant les personnes atteintes de la maladie, avec une approche marquée par l’attention et la compassion.

Pour Peter McPherson c’était une première absolument passionnante qu’il a accepté avec la grande générosité qui le caractérise, le plus important étant de mettre ses talents au service d’une cause, de faire œuvre utile, quand bien même cela pourrait ne pas forcement doper sa carrière.  Pour autant, il ne se sent pas prisonnier d’un type de rôle, en particulier gay, d’une part parce qu’il a pu interpréter des personnages très différents, mais aussi du fait de la richesse des rôles de personnages homosexuels qui ne sont plus réduits à des caricatures depuis qu’ils sont (enfin !) devenus très visibles.

Peter et la musique

La scène n’est pas uniquement synonyme de théâtre puisque ses compétences de danseur lui ont permis de figurer dans des productions d’opéra comme « Carmen » de Bizet ou « Mithridate » de Mozart à côté des grandes comédies musicales comme « Cats » dans le rôle d’Alonzo en 2006, spectacle avec lequel il fait une tournée en Grande-Bretagne. Il était aussi Peter dans « Jésus-Christ Superstar », Travis dans « Footlose » pour n’en citer que quelques-unes.

On ne peut passer sous silence la vingtaine d’apparition dans des pubs que son physique de mannequin lui permet. Si Peter vient d’atteindre la quarantaine, il n’en a pas moins conservé un physique de jeune premier idéalement musclé.  Dernièrement, sa participation au film publicitaire d’une grande marque le rend visible sur tous les écrans au moment des fêtes de Noël. « On me voyait partout, y compris dans le métro » dit-il en souriant.

Acteur de séries

Comme tous les acteurs, Peter est attiré par les rôles un peu sombres, plus passionnants à jouer. Il donne l’exemple de Gareth qu’il est en train d’interpréter dans le soap-opera « Hollyoaks » dans des épisodes où il est question de dénoncer les pratiques de conversion qui provoquent des ravages chez les jeunes gays. Il a déjà pu tourner 16 épisodes de cette série célèbre dont les débuts remontent à 1995.

Parmi la dizaine de séries à mettre à son actif, il est facile de lui faire parler de « Years and Years » où il côtoie Emma Thompson, une très belle rencontre. « C’est une immense actrice avec un cœur énorme. Elle prenait le temps de connaitre tous les participants qui travaillaient autour et elle connaissait les prénoms de tout le monde. Elle se présentait toujours modestement en disant Hi, je suis Emma Thompson ! comme s’il était possible qu’on ne la connaisse pas. Je l’ai vue faire des pieds et des mains pour qu’une jeune actrice débutante un peu en difficulté puisse avoir ses heures. Cette femme extraordinaire est toujours à l’écoute des autres ! ».

Un homme amoureux

L’on ne saurait conclure ce rapide portrait sans mentionner que depuis plus de dix ans, Peter file le parfait amour avec David qu’il a rencontré alors que celui qui allait devenir son compagnon dansait dans « Starlight Express » écrit par Andrew Lloyd Webber. « David partait en Asie pour une tournée et avant leur dernière répétition, j’ai été invité à faire partie du public. Je me souviens, au premier regard, l’avoir trouvé tellement beau ! J’ai eu un coup de foudre immédiat et je l’ai suivi à Singapour ». 

De notre côté, séduit par les multiples qualités de Peter McPherson, nous allons observer attentivement la suite de sa carrière, que ce soit sur scène ou à l’écran, à Londres ou ailleurs, heureux qu’une telle personnalité vienne embellir le monde du spectacle et du cinéma.  

Philippe Escalier – crédit photos : © PNG PHOTOGRAPHY (Paul Madeley)

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Hadrian Lévêque di Savona

Un peu sur tous les fronts, il était sur la scène de l’Opéra de Metz dans « Titanic » fin 2023 et il joue actuellement le Prince Charmant dans « Blanche-Neige » à la Gaité dans la mise en scène d’Olivier Solivérès. Sa capacité à aborder des rôles très différents est le résultat d’une large formation pluridisciplinaire. Avec ce parisien aux origines bretonne et corse, nous sommes revenus sur un parcours déjà riche et prometteur.

Tout commence pour Hadrian Lévêque di Savona par une licence d’Histoire de l’Art à Paris X avant de suivre des cours chez Jean-Laurent Cochet. Désireux de découvrir l’air du large et de se frotter à d’autres expériences, il s’envole pour les Los Angeles. Là, il prend des cours de théâtre tout en passant des castings et en assistant aux tournages de la série « Heroes » de Tim Kring. Les restrictions d’attribution de la Green Card le ramènent en France. Il s’inscrit à l’ECM, l’École de Comédie Musicale de Paris dont Guillaume Bouchède vient de prendre la direction. Il y travaille à la fois la danse, le chant et le théâtre, un panel d’autant plus complet qu’étant issu d’une famille de musiciens, il maîtrise également le piano, le saxophone et la basse. Le public a pu découvrir ses talents, notamment en 2019 dans « Célestine et la Tour des nuages » spectacle familial qui réinvente avec beaucoup d’imagination la construction de la Tour Eiffel dans le style Steam Punk.

Son physique de danseur (1m86 athlétique) permet à son professeur de danse de l’ECM de lui ouvrir les portes de la figuration à l’Opéra de Paris pour les grands ballets classiques, grâce à quoi, il peut obtenir sa première intermittence et découvrir un univers passionnant. C’est dans ce cadre que l’on pourra le voir dans « Giselle » qui sera donnée en mai 2024 à Garnier.

En même temps que ses expériences, il nous dévoile sa vision exigeante et altruiste du métier : « Comédien, je me sens investi d’une mission : partager, avec le public, bien sûr, mais aussi avec ceux qui sont sur scène avec moi. Dans le but de servir au mieux les auteurs ». Une démarche généreuse qui explique ses activités parallèles comme les cours de chant qu’il donne à l’École Perimony et à l’Association ActeVoix. C’est d’ailleurs là qu’il rencontre Vincent Heden qui sera l’un de ses professeurs et qui, tout récemment, lui propose de reprendre un rôle qu’il a tenu quelques années auparavant. C’est ainsi que le public messin a découvert Hadrian Lévêque di Savona lors des fêtes de fin d’année 2023 à Metz, dans « Titanic » de Peter Stone et Maury Yeston, mis en scène par Paul-Émile Fourny. « C’était une formidable aventure, nous étions 65 sur scène, plus les 35 musiciens, tous âges confondus. Il y a eu une entente collective immédiate qui, pour nous aussi, a rendu ce spectacle unique ». Un répertoire musical de haut niveau dans lequel on le reverra certainement, Hadrian, prenant des cours de chant lyrique dans le but d’aborder plus aisément le monde de l’opérette et de ne jamais cesser de se perfectionner. Autant dire qu’il est prêt aujourd’hui à assumer un rôle majeur à l’écran ou sur scène. L’un de ses rêves serait de donner vie à Don Quichotte, un personnage qui lui parle au plus haut point avec ses aspirations idéalistes confortées par une profonde conscience de la réalité et bien décidé à se battre pour ses idées. Quels que soient les rôles qui lui sont réservés, les mois qui viennent ne manqueront pas de réserver des surprises et de nous donner le plaisir de le revoir sur scène.

Philippe Escalier – Photos © Margaux Rodrigues

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Pauvre Bitos ou le dîner de têtes

 « Pauvre Bitos » de Jean Anouilh en faisant un parallèle entre La Terreur et l’Épuration nous offre une galerie grinçante de personnages esquissée avec un humour au vitriol. Cette pièce surprenante revit grâce à une troupe de comédiens exemplaires qui ravit le public du théâtre Hébertot.

Même avec une décennie de recul sur la Libération, « Pauvre Bitos » était trop dérangeant pour ne pas provoquer, lors de sa création en 1956, des réactions extrêmes. La critique et les politiques s’enflamment. D’un côté, ceux qui ne supportent pas que l’on remette en question la période de la Révolution et de la Libération, de l’autre, ceux qui ne demandent que cela en faisant mine d’oublier que la pièce n’épargne personne. Le public remet les pendules à l’heure en réservant à l’œuvre un accueil enthousiaste. Néanmoins la pièce ne sera reprise qu’en 1967 au théâtre de Paris. Il aura fallu l’énergie et le judicieux entêtement de Francis Lombrail pour donner à ce texte magnifique une nouvelle vie sur la scène de son théâtre. Maxime d’Aboville dont on connait le goût pour l’Histoire et Adrien Melin se sont attelés (et avec quel succès !) à l’adaptation pour en faire un moment théâtral resserré mais toujours d’une superbe intensité, n’ayant rien à envier à la création originale. 

Dans une petite ville de province, André Bitos est devenu substitut du procureur. Au sortir de la guerre, il prononce, sans états d’âme, des condamnations à mort à l’encontre de collaborateurs. Ses anciens camarades de classe issus pour la plupart de l’aristocratie, n’ont jamais supporté ce fort en thème, collectionnant les diplômes, venu d’un milieu très modeste, introverti, étriqué, engoncé dans ses certitudes, dissimulé derrière le paravent de sa réussite professionnelle. Désireux de lui faire payer son parcours et ses actes qu’ils réprouvent, ces conservateurs organisent un diner de têtes autour de cette Révolution Française qui en a fait tomber tant. André Bitos devra jouer le rôle de Robespierre, à qui il ressemble par bien des aspects. Un jeu surprenant et cruel va se mettre en place.

Avec la plume de celui qui a toujours magnifiquement écrit pour le théâtre, Jean Anouilh avec « Pauvre Bitos » nous livre une pièce d’une incroyable subtilité. Sans a priori, il fait le procès des excès de la Révolution et de l’Épuration, en décrivant si bien tout ce que les hommes de pouvoir peuvent avoir d’intransigeant, de petit et de cynique. Anouilh était inclassable. Ce n’est pas un bord politique qu’il attaque mais les abus de pouvoir qu’il avait en horreur, commis au nom du peuple qui en fait les frais. Ce faisant, il démontre que les auteurs les moins politiques, libres qu’ils sont de dédaigner les guerres partisanes, sont ceux qui en réalité ont le sens politique le plus affuté. Loin de se mettre au service d’un camp ou d’une idéologie, c’est l’Homme qu’ils entendent défendre. Un noble objectif qui n’exclut pas d’observer la dure réalité du monde sans s’encombrer d’un idéalisme aussi naïf que pesant.

Le public du théâtre Hébertot écoutera ce réquisitoire surprenant, ô combien théâtral, d’une habilité hors du commun, tout en admirant le jeu des comédiens. Dans le rôle-titre, Maxime d’Aboville réalise une performance admirable comme on en voit peu au théâtre. À ses côtés, et dans la lumineuse mise en scène de Thierry Harcourt, encore une fois très inspiré, Etienne Ménard, Adrien Melun, Sybille Montagne, Francis Lombrail, Adel Djemai, Clara Huet en alternance avec Adina Cartianu font merveille. Ils ont réveillé un texte trop longtemps endormi et nous ont offert une leçon de théâtre et une heure trente de bonheur. Que demande le peuple ?!

Philippe Escalier

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