Venu au théâtre par des chemins détournés, Pierre Devaux y fait des débuts remarqués. Son Danceny dans les « Liaisons dangereuses » et son seul en scène « Terre des Hommes » adapté de Saint-Exupéry, qui débute en janvier 2025 au Théâtre La Flèche, démontrent une belle agilité artistique et une remarquable appétence pour son noble métier.

Rarement le qualificatif d’original aura été plus approprié pour décrire un début de carrière. Tout commence par un parcours académique brillant concrétisé par une école d’ingénieurs et une école de commerce suivies de quatre années en start-up. Attiré par ce qui brillait, mais éternellement insatisfait, Pierre Devaux change de boulot tous les ans. Avec une envie de théâtre qui sommeille et ne va pas tarder à se réveiller. Le jeune cadre dynamique a toujours fait du théâtre amateur. Arrive le confinement. Avec Charles, son colocataire, ils décident d’écrire une pièce et de créer la compagnie « Les Colibris ». Location de théâtre et représentations, l’expérience est concluante. Les deux complices décident de s’adjoindre chacun un copain supplémentaire pour écrire leur seconde pièce. Coup du sort mais aussi coup de chance, la dernière start-up dans laquelle il travaillait fait faillite et met en place un plan de départs volontaires. « Je me suis alors senti libre, avec un an devant moi et tout s’est débloqué. J’ai décidé de mettre cette année à profit pour voir ce que je pouvais faire et ce que je valais. Je n’ai jamais autant travaillé de ma vie que durant cette année avec des cours d’interprétation le matin, des cours d’impro le soir, des leçons de guitare. J’ai fait une académie de mime pour retourner au travail du corps. Cet énorme investissement a payé, j’ai eu la chance de rencontrer mon agent, Sophie Lemaitre, lors du spectacle de fin d’année au Foyer et d’intégrer la troupe des « Liaisons ». C’était une période très fertile, bien remplie, qui a ancré ma résolution de transformer ma passion en métier. En 2023, j’ai pu jouer en tournée « Monsieur le curé fait sa crise » un seul en scène avec quinze personnages à incarner, sous la direction de Mehdi Djaadi. C’était une belle expérience et un merveilleux entrainement pour « Terre des Hommes ».
Un fois le pas franchi et bien conscient qu’il lui fallait une solide formation, il s’inscrit aux cours du Foyer où il a pour professeurs Delphine Depardieu et Arnaud Denis qui, cherchant son Danceny pour « Les Liaisons dangereuses », lui fait passer une audition. « Il avait dû me voir dans le personnage de Jim dans « La Ménagerie de verre. Le fait est que j’ai été retenu et nous avons fait une lecture publique au Gymnase avec le producteur qui a officialisé ma prise de rôle ». Ce travailleur né met beaucoup d’énergie à se préparer. « J’ai relu l’ouvrage. J’ai regardé trois adaptations cinématographiques dont celle avec Trintignant qui joue Danceny. C’est la première approche pour se nourrir avant le travail personnel sur l’adaptation d’Arnaud Denis et l’incarnation d’un personnage qui peut à la fois déclarer sa flamme à Cécile et coucher avec Merteuil ». Ce sera le début d’une magnifique expérience au sein d’une troupe encensée par la critique et le public.

En ce début d’année, les spectateurs vont aussi le retrouver au Théâtre de la Flèche, dans un très beau spectacle dans lequel il a mis toute son énergie et toute sa passion. Dans cette adaptation de « Terre des hommes », il y a en effet beaucoup de lui. « C’est un livre que j’ai tellement lu ! Je l’ai découvert et dévoré étant adolescent. Je l’ai offert à beaucoup de gens. Ce texte me parle et il concrétise des choses vécues à titre personnel ».
Pour accompagner son travail, il demande d’abord conseil à Maxime d’Aboville qui a adapté « le Journal d’un curé de campagne » et qui a été son professeur au Foyer. Je suis allé le voir pour lui demander comment travailler une adaptation. J’ai suivi ses conseils, notamment la discipline consistant à écrire tous les jours. Au début, j’ai pris des extraits du texte. Je voulais raconter une histoire à travers le prisme essentiel de « l’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle » pour reprendre la phrase de Saint-Exupéry ». Alors qu’il n’est qu’au début de l’aventure, il va au Déjazet voir « Naïs », adaptée par Arthur Cachia. Il en ressort fasciné par le spectacle et le travail de mise en scène de Thierry Harcourt qui consiste à tout suggérer par les musiques et les lumières. « J’y ai vu la façon dont j’imaginais ma propre mise en scène. Il me fallait aborder Thierry, je l’ai fait de manière un peu détournée en lui demandant son avis. Il a été d’une aide folle. Il a essuyé les plâtres, m’a fait des retours sur toutes les étapes de mon adaptation, depuis la première mouture où seul était le texte originel jusqu’à la plus aboutie. Il m’a conseillé de demander les droits que j’ai obtenus après plusieurs allers-retours. Le tournant a été l’audition à La Flèche. Le retour de Flavie a été essentiel : « très beau texte mais il ne vit pas ! ». J’ai compris, grâce à Flavie ainsi qu’aux retours continus de Thierry sur les différentes versions qu’il me fallait des dialogues, des personnages et je me suis autorisé à prendre quelques libertés. Je l’ai illustré avec des détails, très personnels mais proches du texte. » Avec l’infinie gentillesse qui le caractérise il conclut sur cette belle naissance artistique : « Dans ce projet, j’ai pu avancer car j’ai eu la chance de faire les bonnes rencontres. » Pierre Devaux nous permettra d’ajouter qu’il doit cet aboutissement à son travail, à son talent et à beaucoup de ténacité. Une qualité qu’il tient notamment de ses années passées à jouer au rugby où il portait le numéro 9. « J’étais demi de mêlée, celui qui fait vivre le ballon, qui le suit en permanence. Il faut comprendre le jeu et être un peu teigneux : ça me correspond tout à fait ! J’ai cela en moi, une forme de hargne qui fait que je ne lâche jamais rien. Il faut pouvoir la canaliser mais quel excellent combustible ! »

Tout récemment, Pierre Devaux vient de faire ses débuts à l’écran en tournant dans « Master Crime » pour TF1. « J’ai été très heureux de toucher cet exercice très particulier. Comme au théâtre, il y a des contraintes techniques mais avec un côté « c’est maintenant ! ». Sur scène, il y a une régularité, il faut rejouer tous les soirs, ce qui implique une vraie discipline et une hygiène de vie. Là, il faut se conditionner pour donner le meilleur en une fois, en étant le plus authentique possible et cela me parle énormément. J’ai tendance à me dire que la caméra vient lire dans ton œil ce que tu vis intérieurement. Et j’ai envie de vivre des choses. Pour cela, il faut se laisser atteindre. Dans cette optique, je travaille des scènes, tous les mardis soir, avec le collectif Les Artifex. En ce moment, je joue un médecin : j’enquête, je me documente, je vais passer une demi-journée en immersion à l’hôpital avec une amie. Je ne veux pas tricher ! Au théâtre comme au cinéma, on recherche la même authenticité dans le jeu, mais le luxe de la caméra c’est qu’elle vient chercher dans nos yeux ce qui nous traverse ! »
En ce début d’année, « Les Liaisons dangereuses » à la Comédie des Champs-Élysées comme « Terre des hommes » au Théâtre la Flèche sont deux occasions en or d’aller découvrir Pierre Devaux. Pour voir deux spectacles étonnants mais aussi un comédien dont on n’a pas fini de parler !
Philippe Escalier
Crédit photos : portraits © Céline Nieszawer – Terre des Hommes © Xavier François