La Cage aux Folles


Les fêtes de fin d’année 2025 s’annoncent sous le signe de la diversité et de l’amour au Théâtre du Châtelet. Du 5 décembre 2025 au 10 janvier 2026, l’institution parisienne accueille une nouvelle production française de « La Cage aux Folles », la célèbre comédie musicale de Broadway signée Jerry Herman et Harvey Fierstein. Pour cette création inédite, Olivier Py, directeur du Châtelet, endosse simultanément les casquettes de metteur en scène et de traducteur, offrant au chef-d’œuvre américain une version française qui se veut à la fois fidèle à l’esprit originel et résolument contemporaine.
Laurent Lafitte, ancien pensionnaire de la Comédie-Française, s’empare du rôle emblématique d’Albin, le chanteur de cabaret qui se métamorphose chaque soir en Zaza Napoli, une créature de paillettes et de plumes. Face à lui, Damien Bigourdan incarne Georges, le propriétaire du cabaret et compagnon d’Albin depuis vingt ans. Cette distribution prestigieuse porte une vision artistique ambitieuse : replacer le musical dans son contexte naturel, celui du cabaret, tout en réaffirmant sa dimension politique à l’heure où les droits des minorités LGBTQI+ demeurent menacés dans de nombreux endroits du monde.
Quarante-deux ans après son triomphe à Broadway, « La Cage aux Folles » continue de chanter la liberté d’être soi. Son hymne « I Am What I Am » résonne aujourd’hui comme un manifeste intemporel pour la tolérance et l’acceptation des différences.


Tout commence au Théâtre du Palais-Royal, le 1er février 1973. Ce soir-là, Jean Poiret et Michel Serrault créent « La Cage aux Folles », une comédie qui va bouleverser le paysage théâtral français. L’intrigue met en scène Georges et Albin, couple homosexuel vivant à Saint-Tropez où ils dirigent un cabaret de travestis dont Albin constitue, sous le nom de Zaza Napoli, l’attraction principale. Leur existence tranquille bascule lorsque le fils de Georges, annonce ses fiançailles avec la fille d’un homme politique ultraconservateur.
La genèse de cette pièce remonte à 1967, lorsque Jean Poiret découvre « L’Escalier » de Charles Dyer, un drame anglais dépeignant les déchirements d’un couple d’homosexuels vieillissants. Poiret décide alors d’en écrire le « négatif comique », transformant la noirceur en comédie boulevardière. Le pari semble audacieux, presque téméraire : à cette époque, l’homosexualité demeure largement taboue dans la société française.
Les premières critiques oscillent entre éloge du jeu des comédiens et accusations de caricature. Certains militants homosexuels appellent même au boycott. Pourtant, le bouche-à-oreille fonctionne admirablement. Un mois après la première, « La Cage aux Folles » triomphe. La pièce sera jouée près de deux mille fois, d’abord cinq années consécutives au Palais-Royal, puis deux ans supplémentaires au Théâtre des Variétés. Le public découvre des personnages attachants, loin des stéréotypes habituels, portés par le talent comique du duo Poiret-Serrault.


En 1983, dix ans après la création parisienne, « La Cage aux Folles » franchit l’Atlantique sous une forme entièrement renouvelée. Le compositeur et parolier Jerry Herman, auréolé du succès de « Hello, Dolly! » vingt ans plus tôt, s’associe à Harvey Fierstein pour créer une comédie musicale originale. Les deux hommes, fervents défenseurs des droits LGBTQI+, ne se contentent pas d’adapter la pièce de Poiret : ils la réinventent comme une véritable célébration de la diversité.
Arthur Laurents assure la mise en scène de cette production qui s’ouvre le 21 août 1983 au Palace Theatre de Broadway. Le spectacle connaît un triomphe immédiat et se maintient à l’affiche durant quatre ans, totalisant mille sept cent soixante et une représentations. En 1984, la production originale rafle six Tony Awards, dont celui de la meilleure comédie musicale, de la meilleure musique et du meilleur livret. George Hearn, dans le rôle d’Albin, reçoit le Tony du meilleur acteur, consacrant sa prestation mémorable.
Le musical Broadway diffère sensiblement de la pièce française. Si l’intrigue demeure identique, la dimension musicale amplifie l’émotion et le propos politique. Le numéro « I Am What I Am », clôturant le premier acte, devient instantanément un hymne pour la communauté gay. La chanson sera même reprise par Gloria Gaynor, transformant cette déclaration de fierté en tube du disco.
Broadway accueillera deux reprises triomphales de l’œuvre : en 2004-2005, puis en 2010 avec Kelsey Grammer et Douglas Hodge, cette dernière production remportant à son tour trois Tony Awards dont celui de la meilleure reprise. Chaque version confirme l’universalité d’un spectacle qui transcende les époques.


Une tentative française en 1999


En 1999, Alain Marcel produit une adaptation française du musical au Théâtre Mogador. Malgré la qualité du projet, cette version ne rencontre pas le succès espéré et s’arrête après cent représentations. Le public français, très attaché à la pièce originale et aux films d’Édouard Molinaro avec Michel Serrault, peine à adopter cette forme musicale. Plus de vingt-cinq ans plus tard, Olivier Py relève le défi d’offrir à cette comédie musicale légendaire une nouvelle vie en langue française.


Olivier Py incarne parfaitement l’artiste total. Né en 1965, ce dramaturge, metteur en scène, acteur et écrivain a successivement dirigé le Centre Dramatique National d’Orléans, l’Odéon-Théâtre de l’Europe, puis le Festival d’Avignon pendant neuf ans, avant de prendre la tête du Théâtre du Châtelet en 2023. Son parcours témoigne d’un engagement constant pour un théâtre exigeant, poétique et profondément humaniste.
Parallèlement à sa carrière de metteur en scène, Olivier Py mène depuis 1996 une vie parallèle sous les traits de Miss Knife, son double féminin. Cette chanteuse de cabaret désespérée et flamboyante constitue bien plus qu’un simple numéro : elle représente une part essentielle de sa personnalité artistique, un espace de liberté où s’expriment la mélancolie, l’humour et la revendication. Miss Knife a conquis les scènes de Paris, New York, Bruxelles, Madrid et Athènes, portant des chansons qui mêlent tendresse et dérision. Le Châtelet a d’ailleurs accueilli en novembre 2024 son récital « Miss Knife Forever », célébrant trente ans de carrière de ce personnage attachant.
Cette double identité éclaire le choix d’Olivier Py pour mettre en scène « La Cage aux Folles ». Lui qui connaît intimement l’univers du cabaret, ses codes, ses excès et sa poésie particulière, dispose d’une légitimité naturelle pour réinscrire le musical dans son contexte originel.


Un parti pris artistique affirmé


Loin de la facilité des clichés, la traduction et la mise en scène d’Olivier Py cherchent à extraire « La Cage aux Folles » des représentations caricaturales que le théâtre et le cinéma ont parfois véhiculées. Son approche consiste à replacer l’intrigue dans l’univers du cabaret, cet espace de jeu sur les identités où règnent la liberté et la transgression.
Sur scène, Zaza chante et danse, offrant au public le spectacle d’une vedette accomplie. Mais hors des projecteurs, l’artiste affronte des questions essentielles : l’homoparentalité, l’amour inconditionnel d’un parent pour son enfant par-delà les assignations de genre, la légitimité d’exister pleinement dans une société qui résiste encore à la différence. Cette dualité entre l’éclatante performer et l’être vulnérable constitue le cœur battant de la mise en scène de Py.
Le directeur du Châtelet assume pleinement la dimension politique de l’œuvre. Créée à Broadway en pleine épidémie de sida, à une époque où l’homophobie atteignait des sommets, « La Cage aux Folles » constituait déjà un acte militant. Plus de quarante ans plus tard, le spectacle conserve une brûlante actualité. Les paillettes ne sont pas uniquement décoratives : elles constituent une arme pacifiste dans un combat pour la tolérance qui demeure toujours nécessaire.


Laurent Lafitte, un rêve d’enfance


Laurent Lafitte endosse le rôle de Zaza, accomplissant ce qu’il qualifie lui-même de « rêve d’enfant ». Âgé de cinquante et un ans, cet acteur au parcours prestigieux a quitté la Comédie-Française en mai 2025 après douze années comme pensionnaire de la vénérable institution. Son répertoire à la Comédie-Française comprend notamment « Cyrano de Bergerac », « Le Côté de Guermantes » et « Dom Juan ».
Au cinéma, Laurent Lafitte a tourné avec les plus grands réalisateurs français, enchaînant les succès dans des registres variés. On l’a vu récemment dans « T’as pas changé », « La femme la plus riche du monde » et « Marcel et Monsieur Pagnol ».
Pourtant, « La Cage aux Folles » ne constitue pas sa première incursion dans la comédie musicale. En 2010, il était déjà en tête d’affiche de « Rendez-vous » au Théâtre de Paris, qu’il avait lui-même coadapté aux côtés de Kad Merad. Cette expérience lui confère une aisance précieuse pour aborder le rôle exigeant d’Albin, qui nécessite à la fois un jeu d’acteur subtil, une présence scénique flamboyante et des qualités vocales affirmées.


Damien Bigourdan et les rôles principaux


Face à Laurent Lafitte, Damien Bigourdan incarne Georges, le propriétaire du cabaret et compagnon d’Albin. Acteur fidèle d’Olivier Py, Bigourdan possède une solide expérience du répertoire musical et dramatique. On l’a notamment vu dans « L’Impresario de Smyrne » à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, « Traviata, vous méritez un monde meilleur » et « La Petite Boutique des horreurs » à l’Opéra-Comique.
La distribution principale réunit également Harold Simon dans le rôle de Jean-Michel, le fils de Georges dont l’annonce de mariage déclenche l’intrigue. Gilles Vajou interprète Édouard Dindon, le beau-père conservateur, tandis qu’Émeline Bayart incarne son épouse Marie Dindon. On retrouve par ailleurs Émeric Payet en Jacob, le majordome, Lara Neumann en Jacqueline, Maë-Lingh Nguyen en Anne et Édouard Thiébaut en Francis.


Les Cagelles et les ensembles


Une comédie musicale de cette envergure nécessite des ensembles vocaux et chorégraphiques remarquables. Les Cagelles, ces artistes travestis qui constituent la troupe du cabaret, sont incarnés par treize performers : Théophile Alexandre, Axel Alvarez, Pierre-Antoine Brunet, Loïc Consalvo, Greg Gonel, Rémy Kouadio, Alexandre Lacoste, Julien Marie-Anne, Maxime Pannetrat, Geoffroy Poplawski, Lucas Radziejewski et Jérémie Sibethal. Chacun de ces artistes apporte sa personnalité et son talent à ces numéros spectaculaires qui rythment la soirée.


Les Tropéziens et Tropéziennes, habitants de Saint-Tropez participant à l’action, comptent dix interprètes dont Jean-Luc Baron, Jeff Broussoux, Simon Froget-Legendre, Ekaterina Kharlov, Talia Mai, Guillaume Pevée, Marc Saez, Véronick Sévère, Fabrice Todaro et Marianne Viguès.
Enfin, cinq swings assurent les remplacements éventuels : Raphaëlle Arnaud, Simon Draï, Mickaël Gadea, Grégory Juppin et Killian Vialette.

L’équipe artistique et technique


Direction musicale et orchestration
La direction musicale est confiée à un duo de chefs : Christophe Grapperon et Stéphane Petitjean. Ils dirigent l’orchestre Les Frivolités Parisiennes, ensemble réputé pour son approche inventive du répertoire lyrique et musical. Les Frivolités Parisiennes apportent leur virtuosité et leur sensibilité à cette partition exigeante de Jerry Herman, qui mêle influences jazz, music-hall et grandes traditions de Broadway.


Décors et costumes


Pierre-André Weitz signe simultanément les décors et les costumes de cette production. Collaborateur de longue date d’Olivier Py, il a conçu la scénographie et les tenues de plus de quarante spectacles du metteur en scène. Cette complicité artistique garantit une cohérence visuelle forte entre l’univers du cabaret et les moments plus intimes de l’intrigue. Les costumes promettent paillettes, plumes et audaces chromatiques, tandis que le décor devra évoquer à la fois l’effervescence du music-hall et la douceur méditerranéenne de Saint-Tropez.


Chorégraphie et lumières


Ivo Bauchiero assure la chorégraphie générale du spectacle, avec la collaboration d’Aurélien Lehmann pour les séquences de claquettes. Les numéros dansés constituent un élément essentiel de « La Cage aux Folles », permettant de déployer toute la virtuosité des Cagelles et la sensualité des tableaux de cabaret.
Bertrand Killy conçoit les lumières, élément crucial pour créer l’atmosphère du cabaret, alternant projecteurs éblouissants et éclairages intimistes selon les scènes. Le sound design est confié à Unisson Design, garantissant une qualité acoustique optimale pour cette production musicale.


Assistants et collaborateurs


Nicolas Guilleminot assiste Olivier Py à la mise en scène, Clément Debras seconde Pierre-André Weitz pour les décors, et Mathieu Trappler l’assiste pour les costumes. Cette équipe complète témoigne de l’ampleur de la production mise en place par le Théâtre du Châtelet, en accord avec Les Visiteurs du Soir.


Avec « La Cage aux Folles », le Théâtre du Châtelet offre au public parisien un spectacle familial aux résonances universelles. Olivier Py, en artiste complet qu’il est, sait que derrière les paillettes et les numéros éblouissants se cachent des questions essentielles sur l’acceptation, l’amour et la liberté d’être soi. Laurent Lafitte et Damien Bigourdan, entourés d’une troupe talentueuse, portent cette histoire qui a su traverser les décennies sans jamais perdre sa pertinence.
Quarante-deux ans après Broadway, cinquante-deux ans après le Palais-Royal, « La Cage aux Folles » continue de chanter qu’il faut avoir le droit d’être qui l’on est, un être à part, une œuvre d’art. Dans un monde où les acquis en matière de droits des minorités demeurent fragiles, ce spectacle généreux rappelle que la tolérance et la différence ne s’opposent pas à l’indifférence : elles exigent au contraire une vigilance constante et un combat pacifique mais déterminé.
Les fêtes de fin d’année au Châtelet s’annoncent flamboyantes, émouvantes et bien nécessaires !


Philippe Escalier – Photos © Thomas Amouroux

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About Sensitif

Journaliste et photographe dans le domaine du spectacle vivant.
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