Richard Hornig

Introduction
Dans l’histoire tourmentée de Louis II de Bavière, celle du « Roi des Cygnes » dont le destin tragique fascine encore aujourd’hui, une figure demeure méconnue bien qu’essentielle : Richard Hornig. Pendant près de vingt années, cet homme aux yeux bleus et aux cheveux blonds ondulés fut bien davantage qu’un simple écuyer royal. Confident intime, secrétaire particulier, intermédiaire politique et passion amoureuse d’un souverain déchiré entre ses aspirations personnelles et les impératifs de son rang, Hornig incarna l’une des relations les plus complexes et les plus bouleversantes du XIXe siècle européen. Son existence, marquée par une intimité exceptionnelle avec l’un des monarques les plus énigmatiques de son temps, offre un éclairage indispensable sur la psychologie du roi bâtisseur de châteaux féeriques, mais aussi sur les contraintes sociales et morales d’une époque qui ne pardonnait pas la différence.
Origines familiales et formation (1841-1862)
Richard Hornig vit le jour en septembre 1841 dans le Mecklembourg, région du nord de l’Allemagne dont sa famille était originaire, bien que ses racines remontent à la Pologne. Son père, Ehrenfried Hornig, occupait déjà une position enviable dans l’aristocratie équestre allemande : il servait comme écuyer auprès du comte de Hahn, fonction qui exigeait non seulement une expertise technique dans l’art équestre, mais également une connaissance approfondie des usages et du protocole de cour.

Cette tradition familiale dans le service des grandes maisons allemandes ouvrit naturellement les portes de la cour de Bavière à la famille Hornig. Ehrenfried finit par entrer au service du roi Maximilien II de Bavière, père du futur Louis II, où il gravit les échelons jusqu’à devenir lui-même écuyer royal. Richard, encore enfant, accompagna son père à Munich et reçut une éducation soignée, fréquentant plusieurs établissements privés qui lui permirent d’acquérir la culture nécessaire à un homme destiné à évoluer dans l’entourage d’un souverain.

La fratrie comptait également Edward, cadet de Richard de deux ans, qui devait s’illustrer par une brillante carrière militaire. Edward épousa une femme apparentée au comte Rambaldi, propriétaire du château d’Almannshausen sur le lac de Starnberg, établissant ainsi des liens avec l’aristocratie terrienne bavaroise. Ces connexions familiales témoignent de l’ascension sociale progressive des Hornig dans la société bavaroise.

À dix-huit ans, en 1859, Richard Hornig embrassa la carrière des armes en rejoignant l’armée bavaroise comme officier d’artillerie. Cette expérience militaire, bien que brève, lui conféra une discipline et une maîtrise de soi qui devaient s’avérer précieuses dans ses futures fonctions. Trois années plus tard, en 1862, il suivit les traces paternelles en intégrant le service des écuries royales en tant qu’élève. Cette entrée dans l’univers de la cour coïncidait avec les dernières années du règne de Maximilien II, qui décéderait en 1864, propulsant son fils de dix-huit ans sur le trône de Bavière

Le parcours professionnel de Richard Hornig au sein des écuries royales illustre autant son talent que sa détermination. En l’espace de neuf années, il gravit tous les échelons de cette institution complexe pour atteindre, en 1871, la prestigieuse fonction d’écuyer principal (Oberststallmeister). Cette charge comportait des responsabilités considérables : la gestion complète de la cavalerie personnelle du roi, la supervision d’écuries abritant quelque cinq cents chevaux qui devaient être nourris, soignés et entraînés quotidiennement, ainsi que l’entretien des attelages et des carrosses royaux. La fonction exigeait des compétences organisationnelles exceptionnelles, une connaissance approfondie de l’hippologie et une autorité naturelle sur un personnel nombreux.


L’année 1866 marqua un tournant dans l’existence de Richard Hornig. Il accompagna pour la première fois le jeune roi Louis II lors d’un voyage officiel dans les provinces de Franconie bavaroise. Cette proximité initiale permit au souverain de mesurer les qualités de son écuyer : sa discrétion, son efficacité, mais aussi son physique séduisant. Hornig possédait tous les attributs de la beauté masculine telle que la concevait l’imaginaire romantique du roi : de beaux yeux bleus, une chevelure blonde qu’il portait ondulée dans sa jeunesse, une stature élancée et virile à la fois. Excellent cavalier et chasseur passionné, il partageait les goûts du souverain pour les excursions en montagne et les escapades loin de l’étiquette de cour.

Le 11 mai 1867 constitue la date cruciale de leur relation. Ce jour-là, Hornig entra officiellement au service personnel du roi. Cette rencontre survint trois mois avant la date initialement prévue pour le mariage de Louis II avec sa cousine Sophie-Charlotte, duchesse en Bavière et sœur de la célèbre impératrice Élisabeth d’Autriche. L’historien britannique Desmond Chapman-Huston, qui eut accès aux archives secrètes de la maison royale de Wittelsbach, formula une hypothèse que corroborent les témoignages contemporains : l’apparition de Hornig dans la vie de Louis ancra définitivement le souverain dans la conviction qu’il ne pourrait jamais aimer les femmes. Le mariage avec Sophie fut reporté à plusieurs reprises — d’abord au 25 août, puis au 12 octobre, enfin au 12 novembre 1867 — avant d’être définitivement annulé une semaine avant la dernière date fixée.

Dans ses carnets secrets, rédigés en français et publiés pour la première fois en 1923 avant d’être traduits en français chez Grasset en 1987, Louis II consigna ses sentiments avec une franchise bouleversante. Dans une entrée datée du 6 mars 1872, il écrivit ces mots révélateurs : « Deux mois exactement avant qu’il y ait 5 ans que nous nous sommes connus en ce divin 6 mai 1867, pour ne plus jamais nous séparer, et ne plus jamais nous quitter jusqu’à la mort. Écrit dans la hutte indienne. » Il qualifie Hornig d’« ami adoré », de « chéri de mon âme », et évoque « un baiser saint et pur…une fois seulement », avant de s’imposer la continence la plus absolue : « Plus un baiser, plus d’émoi du tout, ni en paroles, ni par écrit, ni en actes. »

Ces aveux témoignent du combat intérieur déchirant que menait le roi catholique contre des pulsions qu’il jugeait contraires à sa foi et aux normes sociales de son époque. L’historien français Dominique Fernandez, dans sa préface à l’édition française des Carnets secrets, souligne que Louis II fut « prisonnier toute sa vie d’un atroce sentiment de culpabilité, qui finit par le détruire ».
L’âge d’or : dix-huit années d’intimité royale (1867-1885)
Pendant près de deux décennies, Richard Hornig accompagna Louis II dans tous ses déplacements. Le roi et son écuyer visitèrent régulièrement les châteaux royaux — Hohenschwangau, Neuschwanstein en construction, Linderhof, puis Herrenchiemsee —, ainsi que les nombreux chalets et huttes de montagne où le souverain aimait se retirer. Ces excursions se déroulaient le plus souvent dans une voiture à quatre chevaux, mais l’hiver, les deux hommes sillonnaient les paysages enneigés des Alpes bavaroises en traîneau, sous les étoiles que Louis II affectionnait particulièrement.

Cette relation d’une intensité exceptionnelle ne tarda pas à dépasser le cadre strictement professionnel de la fonction d’écuyer. Hornig devint le secrétaire particulier du roi, gérant l’intégralité de sa correspondance : les échanges avec les entreprises chargées de la construction des châteaux royaux, les commandes passées aux artistes, les rapports avec les ministres. Il servit bientôt d’intermédiaire direct entre Louis II et son gouvernement, rôle qui suscita de vives critiques à la cour et dans les milieux politiques munichois. Comment un simple écuyer, fût-il écuyer principal, pouvait-il exercer une telle influence sur les affaires de l’État ?

Le roi confia également à Hornig des missions qui n’avaient aucun rapport avec ses attributions officielles. Il l’envoya à deux reprises à Naples pour étudier la grotte bleue de Capri, car la reproduction qu’il en faisait réaliser à Linderhof ne possédait pas exactement la même teinte azurée que l’original. Il le dépêcha plusieurs fois à Paris pour y acquérir des vases rares, des bustes et des tapis destinés à l’ameublement des châteaux royaux. Ces voyages témoignent de la confiance absolue que le souverain plaçait en son écuyer, mais aussi de son obsession du détail et de la perfection esthétique.

Louis II entreprit même un voyage incognito en Allemagne et en France en compagnie de Richard Hornig, se faisant passer pour le comte de Berg afin d’échapper aux contraintes protocolaires. Cette escapade révèle leur complicité profonde et le désir du roi de vivre, ne serait-ce que temporairement, une existence libérée des obligations de son rang. Pendant ce périple français, Louis fit reporter une nouvelle fois son mariage avec Sophie, décision qui scella définitivement la rupture de ses fiançailles.

La personnalité de Richard Hornig explique en partie l’ascendant qu’il exerçait sur le roi hypersensible. Doté de « nerfs d’acier » et d’une « patience surhumaine », comme le notaient les observateurs de l’époque, il possédait également une sensibilité artistique développée : il appréciait la musique de Richard Wagner, compositeur dont Louis II était le mécène et l’admirateur passionné. Cette convergence de goûts musicaux créait un terrain d’entente supplémentaire entre les deux hommes. Hornig savait se montrer discret, dévoué, capable de supporter les sautes d’humeur d’un souverain psychologiquement fragile, tout en sachant anticiper ses désirs et organiser avec une efficacité remarquable les aspects pratiques de son existence de plus en plus marginale.


En 1885, après dix-huit années de service ininterrompu et d’intimité quotidienne, Richard Hornig tomba brutalement en disgrâce. Les circonstances de cette rupture demeurent partiellement obscures, mais les sources concordent sur la cause officielle : les travaux de construction des châteaux royaux n’avaient pas été exécutés dans les délais prescrits. Louis II, dont les projets architecturaux pharaoniques engloutissaient des sommes considérables et mettaient les finances bavaroises en péril, trouva en Hornig un bouc émissaire commode pour des retards dont il portait lui-même la responsabilité par ses exigences incessantes de modifications.

La vraie nature de cette disgrâce semble néanmoins plus complexe. Les historiens suggèrent que le roi, conscient de la dangerosité politique de sa dépendance affective envers Hornig et des rumeurs que cette proximité alimentait, chercha à mettre une distance salutaire avec son ancien favori. Par ailleurs, Louis II vivait à cette époque une période de troubles psychologiques croissants, oscillant entre exaltation et dépression, multipliant les comportements erratiques qui inquiétaient son entourage et le gouvernement bavarois.

Hornig fut renvoyé au service ordinaire des écuries, mesure qui équivalait à un bannissement de l’entourage immédiat du souverain. Karl Hesselschwert, né en 1840 à Munich et admis dès l’âge de seize ans au service du prince Adalbert de Bavière avant de devenir palfrenier royal en 1864, lui succéda dans la confiance du roi. Toutefois, Louis II ne se montra pas ingrat envers celui qui l’avait si longtemps servi. En remerciement de ses services passés, il offrit à Richard Hornig une propriété sur le lac de Starnberg, à Feldafing, localité prisée de l’aristocratie bavaroise. Ce geste généreux permit à l’ancien écuyer de conserver un statut social honorable et des revenus confortables.


La mort mystérieuse de Louis II le 13 juin 1886 dans le lac de Starnberg, au lendemain de son internement au château de Berg où il avait été conduit après avoir été déclaré aliéné mental par une commission de psychiatres, marqua profondément Richard Hornig. Bien qu’éloigné de la cour depuis un an, l’ancien écuyer avait conservé une affection indéfectible pour le souverain dont il avait partagé l’existence pendant près de deux décennies.

Après la disparition du roi, Hornig mena une existence plus retirée. Il acquit un hôtel à Kempten, ville située dans l’Allgäu bavarois, se constituant ainsi une activité économique indépendante. Son meilleur ami durant ces années fut Friedrich Ziegler, secrétaire d’État, preuve que Hornig avait conservé des relations dans les sphères dirigeantes bavaroises malgré sa disgrâce.

En 1900, le prince régent Luitpold — oncle de Louis II qui avait assumé la régence après l’internement de son neveu, puis après la mort de ce dernier pour le compte du roi Othon Ier, frère cadet de Louis II également déclaré fou — accorda à Richard Hornig un titre de noblesse. Il devint ainsi Richard von Hornig, reconnaissance officielle de ses longues années de service auprès de la couronne de Bavière. Cet anoblissement tardif représentait également une forme de réhabilitation symbolique après la disgrâce de 1885.

Richard von Hornig s’éteignit le 2 août 1911 à Rohrenfeld, village situé sur les rives du Danube, à l’âge de soixante-dix ans. Conformément à ses dernières volontés, son corps fut incinéré à Ulm puis ses cendres furent inhumées à Munich dans le vieux cimetière du Sud (Münchner Südfriedhof), nécropole qui accueillait de nombreuses personnalités de la société munichoise. Sa tombe, modeste et rarement visitée, rappelle l’existence d’un homme dont le rôle historique demeure largement méconnu du grand public, mais dont l’importance fut capitale dans la vie du roi le plus romanesque de Bavière.


L’aspect homoérotique de la relation entre Louis II et Richard Hornig ne fait plus l’objet de contestation sérieuse parmi les historiens contemporains. Les Carnets secrets du roi, rédigés en français — langue que Louis maîtrisait parfaitement et qu’il utilisait pour ses pensées les plus intimes —, constituent la source primordiale attestant de la nature passionnelle de ses sentiments pour son écuyer.

L’historien britannique Desmond Chapman-Huston, qui publia en 1955 une biographie de référence intitulée Ludwig II: The Mad King of Bavaria, bénéficia d’un accès privilégié aux archives de la maison royale des Wittelsbach, incluant des documents personnels, des journaux intimes et des lettres que Louis II échangea avec ses proches. Chapman-Huston confirme sans ambiguïté l’amour du roi pour Hornig, tout en soulignant le combat moral que ce sentiment suscitait chez le souverain catholique. Il estime que la rencontre avec Hornig constitua le moment décisif où Louis comprit définitivement son incapacité à aimer les femmes et à remplir le devoir dynastique du mariage et de la procréation.

L’historien et écrivain français Dominique Fernandez, auteur de la préface de l’édition française des Carnets secrets parue chez Grasset, analyse avec finesse la tragédie intérieure de Louis II. Il souligne que dans l’Allemagne bismarckienne de la seconde moitié du XIXe siècle, l’homosexualité était considérée non seulement comme un péché mais comme un crime passible de sanctions pénales. Le nouveau Code pénal de l’Empire allemand, unifié après 1871, criminalisait explicitement les relations entre hommes. Louis II vivait donc dans une terreur permanente, non seulement de la damnation religieuse, mais également de la disgrâce politique et du scandale public.

Fernandez écrit que le roi « fut prisonnier toute sa vie d’un atroce sentiment de culpabilité, qui finit par le détruire ». Il ajoute que Louis, « trop faible pour se dégager des tabous de son époque », ne parvint jamais à accepter sa nature profonde. Cette incapacité à concilier ses désirs et ses convictions morales explique largement les troubles psychologiques croissants qui affectèrent le souverain dans les dernières années de son règne. Les balustrades tarabiscotées qui, dans les chambres royales de Linderhof et Herrenchiemsee, isolaient le lit du souverain, symbolisaient cette volonté désespérée de dresser une barrière physique contre la tentation charnelle.

L’édition allemande originale des Carnets secrets, publiée par Nymphenburger en 1986 à l’occasion du centenaire de la mort du roi, puis l’édition française augmentée et commentée par l’historien Siegfried Obermeier en 1987, permirent au grand public de découvrir l’ampleur du drame vécu par Louis II. Ces publications s’inscrivaient dans un contexte de réévaluation historique de la sexualité des grandes figures du passé, démarche qui relevait autant de l’historiographie que de la lutte pour la reconnaissance des droits des minorités sexuelles.


Pour comprendre pleinement la relation entre Louis II et Richard Hornig, il convient de la replacer dans le contexte social, politique et moral de la Bavière et de l’Allemagne de la seconde moitié du XIXe siècle. L’époque victorienne, qui influençait profondément les mœurs européennes, imposait une répression sévère de toute sexualité considérée comme déviante. L’homosexualité masculine, en particulier, faisait l’objet d’une condamnation unanime de la part des églises, de la médecine et du droit.

Après l’unification allemande de 1871, la Bavière, bien que conservant une certaine autonomie dans ses affaires intérieures, dut se conformer aux lois de l’Empire dominé par la Prusse protestante et militariste. Le paragraphe 175 du Code pénal allemand, introduit en 1871, criminalisait les « actes sexuels contre nature » entre hommes, disposition qui resta en vigueur jusqu’en 1994. Cette législation répressive créait un climat de terreur pour les homosexuels, quelle que fût leur position sociale. Même un roi n’était pas à l’abri des conséquences désastreuses que la révélation publique de son orientation sexuelle aurait entraînées.

Louis II vivait dans la conscience aiguë de cette menace. Son journal intime révèle qu’il considérait ses désirs comme une « erreur de la nature », une « tare » héréditaire peut-être liée à la consanguinité qui affectait la maison des Wittelsbach. Il luttait constamment contre ce qu’il appelait ses « pulsions ignominieuses », multipliant les serments de chasteté et les prières pour obtenir la force de résister à la tentation. Cette lutte épuisante contre lui-même contribua sans doute à l’aggravation de ses troubles mentaux et à son isolement croissant.

Richard Hornig se trouvait dans une position tout aussi délicate. En tant qu’écuyer d’origine non aristocratique, il devait sa position sociale exceptionnelle uniquement à la faveur royale. La proximité qu’il entretenait avec le souverain, si elle lui conférait une influence considérable, le plaçait également sous le feu constant des critiques et des jalousies. Les courtisans et les ministres voyaient d’un très mauvais œil l’ascendant qu’exerçait cet homme sur leur roi. Des rumeurs circulaient nécessairement sur la nature exacte de leurs relations, rumeurs d’autant plus dangereuses qu’elles correspondaient à la réalité, même si celle-ci demeurait largement platonique.


La figure de Richard Hornig a inspiré diverses œuvres artistiques au XXe siècle, témoignant de la fascination durable qu’exerce l’histoire de Louis II de Bavière. Le dramaturge polonais Marian Pankowski consacra une pièce de théâtre, Le Roi Louis (1964, révisée en 1971), à la relation entre le souverain et son écuyer. L’œuvre, qui adopte une approche explicitement homoérotique, dépeint la rencontre initiale entre les deux hommes avec une intensité dramatique frappante.

Dans une scène révélatrice, Pankowski imagine Louis II découvrant pour la première fois le jeune écuyer : « Par la droite accourt, effleurant à peine le sol, un garçon aux cheveux blonds, viril et élancé : Richard Hornig. » Le roi, « frappé par sa beauté », lui demande à plusieurs reprises son nom, manifestant ainsi son trouble face à cette apparition. La pièce comprend également des scènes plus audacieuses, comme celle où Hornig organise pour le roi une partie de colin-maillard avec les garçons du village, métaphore transparente du désir interdit et de la transgression sociale.

Le cinéma s’est également emparé du personnage. Hans-Jürgen Syberberg, dans son film expérimental Ludwig, Requiem pour un roi vierge (1972), inclut Hornig parmi les personnages gravitant autour du souverain, bien que le réalisateur privilégie une approche plus symbolique et allégorique que narrative. Luchino Visconti, dans son somptueux Ludwig ou Le Crépuscule des dieux (1973), évoque plus discrètement la présence de l’écuyer, le cinéaste italien se concentrant davantage sur la relation de Louis II avec Richard Wagner.

Plus récemment, le manga japonais Ludwig II de You Higuri (publié par Kadokawa Shoten en trois volumes) propose une relecture romanesque et explicitement romantique de la relation entre le roi et Hornig. Cette transposition dans le medium du manga shōnen-ai (récits d’amour entre hommes destinés à un public féminin) témoigne de la dimension universelle et intemporelle de cette histoire d’amour impossible entre un souverain et son serviteur, thème qui transcende les frontières culturelles et les époques.

Ces réappropriations artistiques, si elles prennent des libertés avec la réalité historique, témoignent néanmoins de l’intérêt persistant que suscite la figure de Richard Hornig. Elles participent également à une réévaluation de l’histoire de l’homosexualité en Europe, longtemps occultée ou euphémisée par une historiographie pudibonde.


Richard Hornig fut bien davantage qu’un simple écuyer dans la vie de Louis II de Bavière. Il incarna le grand amour contrarié d’un roi romantique incapable d’assumer pleinement sa nature dans une société répressive. Leur relation, marquée par une tension permanente entre la passion et la continence, entre le désir et le devoir, entre l’intimité quotidienne et la distance sociale, illustre avec une acuité particulière les contradictions d’une époque où l’individu devait sacrifier ses aspirations personnelles aux normes collectives.

L’influence de Hornig sur Louis II ne saurait être sous-estimée. Pendant près de deux décennies, il fut le confident quotidien d’un souverain de plus en plus isolé, le témoin privilégié de ses créations architecturales grandioses, l’organisateur pratique de ses fantasmes esthétiques. Sans Hornig, Louis II aurait-il pu mener à bien ses projets de châteaux ? Aurait-il survécu aussi longtemps aux pressions de son gouvernement et aux tourments de sa conscience ? Ces questions demeurent ouvertes, mais il est indéniable que l’écuyer joua un rôle stabilisateur dans l’existence chaotique du roi.

La disgrâce de 1885 marqua le début de la fin pour Louis II. Privé de son plus fidèle compagnon, le souverain sombra dans une solitude plus profonde encore, multipliant les comportements erratiques qui fournirent à ses ennemis politiques les arguments nécessaires pour le faire déclarer fou et l’interner. Moins d’un an après le renvoi de Hornig, Louis II mourrait dans des circonstances mystérieuses qui continuent d’alimenter les spéculations : suicide, accident ou meurtre déguisé ? La question reste sans réponse définitive.

Quant à Richard Hornig, il survécut un quart de siècle à son royal ami, menant une existence discrète mais honorable, honoré d’un titre de noblesse qui reconnaissait tardivement ses services. Sa tombe au cimetière du Sud de Munich, lieu de repos de tant d’acteurs de l’histoire bavaroise, rappelle aux rares visiteurs informés l’existence de cet homme dont la vie fut indissociablement liée à l’un des règnes les plus fascinants et les plus tragiques de l’Europe du XIXe siècle.

L’histoire de Richard Hornig et de Louis II constitue un témoignage bouleversant sur l’impossibilité, dans la société européenne du XIXe siècle, de vivre ouvertement une orientation sexuelle considérée comme déviante, même lorsqu’on portait une couronne. Elle rappelle également que derrière les figures monumentales de l’Histoire se tiennent toujours des individus plus modestes dont l’existence et le dévouement furent pourtant essentiels. Richard Hornig appartient à cette catégorie d’hommes qui, sans jamais accéder à la notoriété publique, façonnèrent néanmoins le destin de leur époque par leur présence discrète mais indispensable auprès des puissants.

Philippe Escalier – Photo : Marc Porel dans « Ludwig » de Visconti

  • Louis II de Bavière, Carnets secrets, 1869-1886, traduction de Jean-Marie Argelès, préface de Dominique Fernandez, notes et commentaires de Siegfried Obermeier, Paris, Grasset, 1987 (édition originale allemande : Das Geheime Tagebuch König Ludwigs II von Bayern, Nymphenburger, 1923 et 1986).
  • Desmond Chapman-Huston, Ludwig II: The Mad King of Bavaria (titre original : Bavarian Fantasy: The Story of Ludwig II), New York, Dorset Press, 1955 (réédition 1990). Biographie de référence basée sur l’accès complet aux archives secrètes de la maison royale des Wittelsbach.
  • Christopher McIntosh, The Swan King: Ludwig II of Bavaria, Londres, Allen Lane, 1982 (rééditions ultérieures).
  • Bavarikon (portail culturel bavarois), article « Cavalry soldiers as confidants of the Bavarian king », documentation sur Richard Hornig et Karl Hesselschwert.
  • Divers articles et études publiés sur les sites spécialisés consacrés à Louis II de Bavière et à l’histoire de la Bavière au XIXe siècle.
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Journaliste et photographe dans le domaine du spectacle vivant.
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