Le Théâtre Actuel La Bruyère accueille depuis fin août l’histoire vraie de Sylvin Rubinstein, danseur de flamenco devenu résistant durant la Seconde Guerre mondiale. La pièce de Yann Guillon et Stéphane Laporte, mise en scène par Virginie Lemoine, invente une forme théâtrale hybride où se conjuguent subtilement la mémoire et l’instant présent, le témoignage et l’incarnation, le théâtre et la danse.

Un homme de plus de quatre-vingts ans, après s’être tu durant des décennies, raconte son parcours. Interprété par Olivier Sitruk (en alternance avec Adrien Melin), le personnage oscille entre deux temporalités, passant du vieillard au jeune homme qu’il fut, lorsque le duo Imperio et Dolorès enflammait les cabarets européens avant que la barbarie nazie ne le sépare de sa sœur jumelle. Sans jamais verser dans le pathos, le spectacle, terriblement émouvant, saisit cette douleur par touches successives.

Les danseurs Sharon Sultan et Rubén Molina incarnent parfaitement par la danse ce que les mots ne peuvent dire. Le flamenco devient ici métaphore d’une résistance qui refuse de plier. Chaque claquement de talon, le fameux « zapateado » résonne comme un refus de l’oubli. La musique en direct, portée par Cristo Cortes et Dani Barba, enveloppe l’action sans jamais l’étouffer.
Virginie Lemoine signe une mise en scène qui privilégie la grâce et l’élégance. François Feroleto campe avec une force singulière l’officier allemand opposé au régime, tandis que le duo formé par Olivier Sitruk et Joséphine Thoby atteint une justesse remarquable, maintenant une tension dramatique constante et toujours contenue.
L’histoire de Sylvin Rubinstein, découverte par les auteurs grâce à un épisode de la série documentaire « Les oubliés de l’histoire », permet d’aborder la résistance sous un jour inhabituel : celui d’un artiste dont l’identité fut d’abord façonnée par la danse avant d’être bouleversée par l’Histoire. À l’heure où les discours de haine retrouvent une virulence inquiétante, « Dolorès » rappelle avec force et délicatesse que l’art peut être un acte de résistance avec la mémoire en guise d’épée et de bouclier.
Philippe Escalier – Photos © Frédérique Toulet
