La Seine Musicale
Le magnifique « Lac des cygnes » réinventé par Matthew Bourne qui triomphe à la Seine Musical présente une vision révolutionnaire qui célèbre trente ans de transgression chorégraphique. Génial !

Trente années après avoir bousculé tous les codes du ballet classique pour le plus grand plaisir des spectateurs, le Swan Lake de Matthew Bourne s’impose à nouveau comme l’événement incontournable de cette saison parisienne. Jusqu’au 26 octobre, la Seine Musicale accueille cette création devenue légendaire, portée par une nouvelle génération de danseurs qui vient sublimer ,avec une intensité remarquable, la vision iconoclaste du chorégraphe britannique.
L’audace fondatrice de cette œuvre réside dans le choix radical qui fit scandale en 1995 : remplacer le corps de ballet féminin traditionnel par une troupe exclusivement masculine. Ces cygnes au crâne rasé, marqués d’une raie noire sur le front, torse nu sous leurs pantalons à plumes, incarnent une sauvagerie primitive qui rompt définitivement avec l’imagerie éthérée du romantisme. La danse devient tellurique, ancrée, presque violente dans son expression corporelle. Là où Petipa cherchait l’envol gracieux, Bourne impose la force brute, le désir charnel et la tension animale.Et le public, amoureux de la danse, lui, revit enfin !

La relecture, avec un gout ravageur pour la parodie, transpose l’intrigue dans les cercles de la monarchie britannique contemporaine, évoquant sans détour l’époque troublée de Charles, Diana et Camilla. Le prince devient un homme étouffé par les obligations protocolaires, prisonnier d’une mère distante et d’un destin qu’il n’a pas choisi. Sa rencontre nocturne avec le cygne blanc dans un parc londonien ouvre une dimension homo-érotique qui fait du ballet un manifeste sur la liberté d’aimer et l’oppression sociale. Cette transgression narrative, servie par la partition immortelle de Tchaïkovski réorchestrée avec audace, transforme le conte romantique en quête existentielle profondément moderne.

Sur le plateau de Boulogne-Billancourt, la troupe New Adventures déploie une virtuosité sidérante. Les tableaux collectifs alternent avec des duos d’une sensualité assumée, tandis que les références au cinéma d’Hitchcock enrichissent une dramaturgie qui mêle théâtre, danse contemporaine et spectacle total. Après plus de trente récompenses internationales et des tournées triomphales à Londres comme à Broadway, cette production reste un choc esthétique et émotionnel, preuve éclatante que la danse peut (et doit) déconstruire les conventions pour mieux toucher l’universel. Le public parisien aurait bien tort de s’en priver !
Philippe Escalier
