Dans le spectacle très abouti de Julie Berès « La Tendresse » qui se joue actuellement aux Bouffes Parisiens, Romain Scheiner fait partie des comédiens venus parler des rapports des jeunes hommes à la masculinité. Sa présence sur scène, l’intensité de son jeu, toujours juste, font vite comprendre que l’on est face à l’un de ses jeunes acteurs qui vont s’imposer dans les années à venir. Nous avons abordé avec lui, son parcours et ses projets.

Romain, d’où vient ce désir d’être comédien ?
Très tôt, ma mère m’a fait partager son amour de la lecture et du théâtre qui sont devenus mes centres d’intérêt dans lesquels je mettais toute mon énergie, ce qui m’a mis en décalage avec tous mes amis qui faisaient beaucoup de sport. Je suis tombé un peu amoureux d’une fille au collège. Elle faisait du théâtre, donc j’ai suivi les cours avec elle. Elle les a quittés mais j’y suis resté ! Au lycée, je suis allé vers la littérature qui me plaisait. Le théâtre a été un défouloir, c’était mon sport à moi. Plus encore, comme on peut le voir dans « La Tendresse », c’était un catalyseur, un exutoire qui me permettait de mettre la sensibilité, les émotions et le corps en avant pour faire le pendant à la littérature où tout se passe dans la tête.
J’ai fait une licence de théâtre à la fac avant de m’inscrire dans les conservatoires du 14ème et du 19ème. Après la fac, j’ai découvert les concours que j’ai travaillé et je suis rentré en 2015 au Théâtre National de Bretagne à Rennes, très ouvert sur les autres disciplines. J’y ai aussi suivi des cours de danse, tout en faisant de la musique et j’ai apprécié cette panoplie de disciplines. Mon premier spectacle a été « Constellations II » monté par Éric Lacascade au sortir du TNB.
« La Tendresse » est arrivée assez vite ?
Oui. Curieusement, je venais de finir un long cursus, c’était le début du Covid, j’étais un peu sur les rotules et je ne me suis pas précipité pour passer le casting. J’y suis allé finalement quand j’ai vu la dead line se profiler. Il y avait un questionnaire et une vidéo à faire où l’on performait notre rapport au masculin. Il faut savoir que la sélection ne s’est pas faite en cinq minutes ! Au second tour, avec Lisa Guez et Kevin Keiss, il fallait venir avec un parcours libre : un texte que j’avais écrit sur « l’homme parfait » ainsi qu’un texte appris, choisi parmi les propositions des auteurs du spectacle. Il y a eu ensuite, c’était en 2020, deux semaines de stage pendant lesquelles toute l’équipe et Julie Berès ont mis 60 mecs en compétition les uns avec les autres. On sortait du Covid, tout le monde voulait bosser, ça m’a quand même mis une grosse pression ! Une fois la sélection faite, à la Villette et aux Tréteaux de France à Aubervilliers, nous avons eu 25 semaines de répétition étalées sur un an et demi : ce n’est pas rien ! Surtout suivies de 250 représentations, après la création à la Comédie de Reims en novembre 2021.

La récompense est là : le public est debout, tous les soirs, pour vous applaudir !
Ce spectacle est un grand moment. Pour le public et pour nous. J’aime écrire et j’ai pu collaborer à son écriture. C’est une immense satisfaction de jouer dans « La Tendresse » et d’avoir pu y apporter des choses. Kevin Keiss et les autres auteurs ont été très ouverts. Cela m’a permis de croire en moi et de me dire que maintenant je pouvais mener ma propre barque.
Et le cinéma ?
Je fais un métier qui est assez dur. Nous sommes lâchés dans les écoles de théâtre, très jeunes, et nous sommes livrés à nous-mêmes. Le cinéma a la particularité d’être difficile d’approche, à moins d’avoir les codes et les relations, et ce, même si j’ai eu la chance, très jeune, d’être repéré par Elsa Pharaon, une directrice de casting spécialisée dans les enfants. Grâce à elle, j’ai pu réaliser ce rêve de découvrir les plateaux de tournage. J’ai fait une semaine d’école buissonnière pour le tournage de « Un Cœur simple » de Marion Laine avec Sandrine Bonnaire et Marina Foïs. J’ai joué aussi dans « Plein Sud » que Sébastien Lifshitz a tourné en 2008 avec Nicole Garcia (j’avais une scène avec elle), Léa Seydoux et Yannick Renier. Et là, pour recoller à l’actu, j’ai un court-métrage de Célia Mebroukine « Tout casser » qui va sortir.
Il ne faut pas s’étonner que votre prochain spectacle parle de cinéma ! Que pouvez-vous nous dire sur « Si tu ne vas pas à Léonardo » ?
En effet, c’est un art important pour moi et je voulais raconter une histoire qui dise pourquoi. Ce spectacle est un seul-en-scène. Il raconte l’histoire de Raphaël Mongier, un jeune homme qui développe une fascination extrême pour Léonardo DiCaprio. De l’ode au cinéma à la morsure de la désillusion, le spectacle s’intéresse avec humour aux paradoxes que les récits dominants ont sculptés dans nos identités. Abreuvé par les images de réussite, comment vivre une vie qui n’est pas « idéale » ? Il y a une part autobiographique : en grandissant, je ne me suis pas forcément identifié à mon père mais plus à des histoires, des aventures, des héros que je voyais à l’écran. Et j’en ai vu beaucoup. C’est ce rapport particulier au cinéma que j’ai voulu raconter, ce dialogue entre un enfant et un écran géant qui le fascine. Une plongée dans ces rêves que fait naître le cinéma et les conséquences que cela peut avoir sur sa vie d’artiste. Il y aura de la vidéo, du théâtre et de la danse avec le « Boléro » de Ravel chorégraphié par Maurice Béjart, chorégraphie qu’est en train de me transmettre Natan Bouzy, un danseur classique qui fait aussi partie de la troupe de « La Tendresse ». Il m’accompagne en chorégraphie sur le projet. Le projet de départ s’est étoffé et je suis content de la façon dont nous l’avons enrichi. Sans compter que cela me fait beaucoup de bien de construire ce projet qui m’a permis de monter ma compagnie, de m’entourer d’une belle équipe et d’être en résidence à la rentrée au 104. En attendant de monter un second spectacle.
Texte et photos : Philippe Escalier
