« Ma version de l’histoire » est son premier grand rôle sur la durée. Entouré de Miren Pradier, Déborah Leclerq et de l’auteur Sébastien Azzopardi, Alexandre Nicot au Théâtre Michel impressionne par la force et la sincérité de son interprétation et participe, avec brio, au succès d’une comédie particulièrement réussie. Découverte d’un jeune acteur surdoué et passionné qui brule les planches.

Alexandre, j’ai vu que vous aviez remporté, au lycée, un Premier Prix en Histoire. De quoi s’agit-il ?
Petit, j’adorais lire et raconter des histoires. En terminale, les meilleurs élèves en Histoire pouvaient passer un concours portant sur la Résistance et la Déportation. Très attiré par cette période, je me suis inscrit et j’ai écrit une dissertation de quatre heures sur le thème « comment résister dans les camps nazis ? », récompensée par un premier prix.
Comment expliquez-vous que vous ne soyez pas venu au théâtre tout de suite ?
Au collège, j’ai fait beaucoup de football et le théâtre était assez éloigné. Au lycée, le théâtre m’attirait déjà beaucoup je voulais suivre une formation d’Art Dramatique. Mais pour rassurer des parents inquiets de me voir partir après le bac sans rien de concret en poche, j’ai fait une école de commerce. Mais même là-bas je me suis retrouvé à découvrir la mise en scène. Pour présenter notre mémoire de fin d’étude en 1ere année, on devait présenter une mise en scène à la promotion pour expliquer le sujet de façon ludique. J’ai adoré faire ça, écrire et mettre en scène une histoire pour questionner ma promotion sur un sujet d’actualité : le salafisme. J’ai fini ce cursus, avec notamment des séjours à New York et en Argentine où j’ai rencontré un réalisateur chilien (on jouait au foot ensemble) avec qui j’ai collaboré plus tard pour mon film « La Marelle ». Quand mon école de commerce s’est terminée, je me suis dit que je ne pouvais plus attendre et que je devais faire une école de théâtre. J’ai intégré l’École du Jeu en 2017. J’y ai travaillé la TCIC (Technique Corporelle Intuitive Confirmée), un grand travail corporel et sur le ressenti émotionnel. Il y avait un côté très rigoureux. J’y ai appris à m’investir à fond mais c’était très particulier, très dur et au bout de deux ans, j’ai eu envie de découvrir une nouvelle pédagogie.
Seconde formation que vous avez choisie comment ?
Au cours d’un stage, j’avais rencontré une professeur, Diana Ringel, venant de l’école Claude Mathieu. Elle me l’a vivement conseillée. Je l’ai écoutée et quand j’ai poussé les portes de l’école pour la première fois, je suis tombé sur Claude Mathieu et là, c’est un peu le coup de foudre : un homme de 90 ans, souriant, bienveillant, lumineux, qui me parle de théâtre, de Racine, avec énormément de gentillesse, tout ce dont j’avais besoin après la formation un peu stricte que je venais de vivre ! Les auditions se passent bien dans un esprit très convivial. J’avais préparé une scène de Claudel, de Falk Richter et un poème de Raymond Carver. On est en 2019, je suis passé directement en deuxième cycle pour travailler « Le Soulier de satin » dans la classe de Claude Mathieu. Cette rencontre a beaucoup compté pour moi et, l’an dernier, en 2023, j’ai tourné avec lui « Claude », un documentaire de 26 minutes, il me semblait important que l’on sache comment enseignait ce grand homme de théâtre.

Avez-vous accroché au théâtre de Paul Claudel que certains trouvent un peu aride ?
Oui et d’ailleurs, j’ai une pièce de théâtre qui me suit depuis que j’ai commencé mes formations, c’est « L’Échange » de Claudel. À Claude Mathieu, alors que la pièce barbait tout le monde, j’étais aux anges et je voulais faire toutes les scènes, ce que j’ai quasiment fait. J’ai pris beaucoup de plaisir, c’est une expérience qui m’a beaucoup marqué. Un peu comme le travail que j’ai pu réaliser sur les chansons de Jacques Brel.
2019, le confinement vient vous percuter. Comment avez-vous géré cette période ?
Oui et d’ailleurs, j’ai une pièce de théâtre qui me suit depuis que j’ai commencé mes formations, c’est « L’Échange » de Claudel. À Claude Mathieu, alors que la pièce barbait tout le monde, j’étais aux anges et je voulais faire toutes les scènes, ce que j’ai quasiment fait. J’ai pris beaucoup de plaisir, c’est une expérience qui m’a beaucoup marqué. Un peu comme le travail que j’ai pu réaliser sur les chansons de Jacques Brel.
2019, le confinement vient vous percuter. Comment avez-vous géré cette période ?
Je suis rentré en Bourgogne qui est ma région natale. Pour continuer à travailler nous avons fait des vidéos. J’ai décidé de me filmer dans « Oncle Vania » de Tchekhov. Pour en faire un vrai court-métrage, j’ai travaillé avec un acteur russe, Grigori Manoukov. C’est ainsi qu’est né « Le Grand Carême ». Suivra « Vivre », qu’il fallait réaliser en 48 h. Les deux films m’ont donné envie d’aller vers un travail plus professionnel. J’avais été très touché par un documentaire se passant à Alep, « Pour Sama », je voulais faire un film sur plusieurs pays dont la Syrie. Il se trouve que le sujet du Nikon Film Festival auquel je voulais participer était le jeu. J’ai cherché quel pouvait être le jeu universel, je me suis arrêté sur la marelle : ce sera le titre du film. Avec une équipe technique, j’ai tourné, parce que c’était plus simple, au lac de Salagou dont les terres ocres pouvaient faire penser à la Syrie dont je voulais parler et je me suis mis en recherche des jeunes qui allaient pouvoir participer au film. À l’issue de cette expérience exceptionnelle j’ai gagné le prix « À ton Court » organisé par l’Agence du court métrage et France TV qui, au passage, a souhaité acquérir les droits.

Revenons à « Ma version de l’histoire ». Comment s’est passé le casting avec Sébastien Azzopardi ?
Quand j’étais chez Claude Mathieu, j’étais en cours avec Déborah Leclercq sur la pièce de l’Echange de Claudel justement. Peu de temps après ma sortie, Déborah lui ayant parlé de moi, j’ai reçu un appel de Sébastien Azzopardi qui cherchait le dernier des quatre comédiens pour jouer deux rôles, un jeune ado et un cadre. Je me suis trouvé à l’audition avec des copains de chez Claude Mathieu. Cette mise en concurrence n’était pas évidente, mais quand j’ai lu le texte je me suis dit que c’était pour moi. Je l’ai beaucoup travaillé, conscient de la belle opportunité qu’une telle pièce représentait. J’étais totalement investi, il s’est passé quelque chose durant les essais et au second tour, j’ai décroché le rôle. Depuis, à ce bonheur, s’est ajouté celui de jouer avec Miren Pradier, une source d’inspiration et de sincérité propre à encourager le jeune comédien que je suis.
Sur scène, on vous sent tellement à l’aise, vous n’avez jamais douté ?
Oh que si ! Et puis il y a toujours une petite part de vous qui doute. Ce n’était pas toujours évident, parce qu’à l’exception de ma maman, personne ne croyait vraiment à ma carrière théâtrale. Dans les yeux de mon père j’ai toujours été sensé reprendre l’entreprise familiale. Il a fallu passer pas mal d’obstacles. Mais malgré tout, je savais ce que je voulais, c’est comme ça qu’après cinq années d’école de commerce, quand mes amis commencent à rentrer dans la vie active par la grande porte, je viens faire du théâtre à Barbés avec une professeur qui me donne des leçons sur la vie, l’amour, la mort ! Ça fait bizarre. Mais tel était mon choix ! Et pour faire mes tous premiers pas, j’ai eu la chance de jouer neuf soirs, au Théâtre Montansier à Versailles « Roberto Zucco » de Bernard-Marie Koltès dans la magnifique mise en scène par Thomas Bellorini.
Depuis, la pression paternelle a faibli ?
Oui, bien sûr. C’est lui qui est venu me voir le plus : il a assisté à huit représentations de « Ma Version de l’histoire » !
Représentations après représentations, comment se passent les ajustements entre vous ?
C’est là que c’est fascinant. Chaque soir c’est différent. Suivant notre humeur, notre état, il peut y avoir des petites différences. J’ai la chance d’avoir des partenaires talentueux avec qui je m’entends très bien donc on n’hésite pas à se partager nos ressentis afin de réajuster des petites choses pour la prochaine représentation. C’est ça qui est intéressant aussi pour moi, jeune comédien, apprendre à jouer tous les soirs, essayer d’être toujours au plus juste dans mon jeu d’acteur.

Quand vous vous projetez, comment vous voyez-vous ?
La question m’impressionne, je sais où je suis pour le moment, c’est déjà bien. L’avenir, c’est difficile d’y répondre, mais si je le fais, sans filtre, je dirai que je n’ai pas de limites, rien ne me fait peur. Le cinéma m’attire mais ce qui m’importe, c’est la beauté du projet et la façon dont je vais m’y épanouir. Je ne veux pas être rangé dans une case ni tomber dans les clivages, public, privé. J’essayerai toujours de suivre ce que me dit mon cœur en le faisant à 200% !
Philippe Escalier
Photos noir et blanc © India Lange
Photo « Ma version de l’histoire« © Emilie Brouchon