Je m’appelle Asher Lev

Cette remarquable pièce de Aaron Posner d’après le roman de Chaim Potok, sur le dépassement de soi et l’irrésistible accomplissement d’un exceptionnel destin d’artiste dans un milieu religieux contraignant, est portée au Théâtre des Béliers par trois magnifiques comédiens.  

Au théâtre, comme au cinéma, les anglo-saxons ont l’art du récit. La pièce d’Aaron Posner en est une belle illustration, avec cette facilité à construire une histoire, toute en finesse. Aucun effet de style, tout est pur, tout est limpide et pourtant l’essentiel et l’émotion sont au rendez-vous dans ce qui est une parfaite description d’un individu aux prises avec ses contradictions entre ses aspirations profondes et son milieu familial.

Asher Lev nous plonge dans une famille juive orthodoxe de Brooklyn après-guerre. Le religieux est son centre de gravité, sa raison d’être. Autant dire que lorsque, très tôt, les qualités hors normes de dessinateur d’Asher Lev apparaissent, son père est plutôt catastrophé par ce qui lui semble être une manifestation du malin.  Respectueux de sa famille et de ses traditions, l’enfant puis l’adolescent se trouve face à un dilemme : va-t-il obéir à sa passion dévorante ou respecter les traditions ? Ce combat intérieur sera livré dans un milieu qui ne connait pas la violence, mais qui est tout de même particulièrement oppressant et obtus. Le débat autour de la question : « pourquoi dessines-tu des femmes nues ?» est un moment délicieux où l’incompréhension du père génère des réactions cocasses. Le balancement entre le tremblement de terre qui secoue le cercle familial et la drôlerie qui par moment, en résulte, est l’une des grandes qualités de cette pièce qui sait, en outre, si bien parler de la mission de l’Art et de la responsabilité de l’artiste. Tenu en haleine par un discours léger, tellement subtil, le spectateur se laisse embarquer dans cette histoire captivante d’un bout à l’autre. Il ne se passe rien de grave, et pourtant c’est un drame d’incompréhension qui se joue entre ce fils artiste et son père qui ne voit dans sa réussite que trahison et démission face aux exigences d’un judaïsme intégriste. Dans l’irréprochable adaptation et mise en scène de Hannah-Jazz Mertens, les trois comédiens sont en osmose parfaite avec le texte et jouent avec une délicatesse peu commune. Guillaume Bouchède* est exemplaire dans l’incarnation de ses quatre personnages, dont celui du père, tout comme Stéphanie Caillol, magistrale en mère aimante mais toujours un peu en retrait. Benoît Chauvin pour sa part, (en alternance avec Martin Karmann), s’épanouit dans le rôle-titre, depuis la petite enfance jusqu’au succès final, tout juste atténué par l’éternel désarroi paternel, consterné de devoir dire que son fils est peintre ! C’est peu dire que cette pièce nous parle et tout est réuni aux Béliers pour la découverte réjouissante d’un texte construit autour du combat pour l’émancipation au service de l’Art.

Philippe Escalier

Pour cette interprétation, Guillaume Bouchède a obtenu, le 6 mai 2024, le Molière du Comédien dans un second rôle.

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Journaliste et photographe dans le domaine du spectacle vivant.
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