M comme Médée

En s’appuyant sur plusieurs textes écrits autour de Médée, des plus anciens au plus récents, Astrid Bayiha propose à La Cartoucherie, une vision moderne du mythe tout en lui restant fidèle dans une pièce chorale d’une beauté troublante

De Sénèque à Jean Anouilh, en passant par Euripide et Heiner Müller, Astrid Bayiha s’est inspirée des plus grands pour produire son adaptation d’une des plus singulières figures de la mythologie grecque. Loin de présenter un savant travail de compilation, l’autrice a su faire œuvre créatrice en éclairant le drame de différentes manières, montrant combien les mythes grecs étaient les reflets extraordinaires d’une réalité prosaïque. Médée est d’abord et avant tout une femme moderne qui se révolte devant la trahison de l’homme qu’elle aime, pour qui elle a tout quitté et à qui elle a tout donné. Face à cette générosité sans borne, alimentée par un amour excessif, elle a détruit sa propre famille, fuit sa propre terre, le grand Jason s’avère être un petit joueur. On le voit jongler avec les arguments de l’ascenseur social (il veut épouser la fille du roi) et proposer un pacte gagnant-gagnant avec un improbable ménage à trois assorti d’une belle pension alimentaire !

L’on retrouve dans le travail d’Astrid Bayiha les multiples talents de la jeune artiste, à la fois autrice, danseuse, comédienne et chanteuse. Sa Médée (ou devrait-on dire ses Médée ?) est incarnée par trois femmes Fernanda Barth, Jann Beaudry, Daniély Francisque et deux Jason, Josué Ndofusu et Valentin de Carbonnières au milieu desquels trône un coryphée espiègle incarné par Nelson-Rafael Madel. Le jeu subtil des acteurs nous promène de la tragédie à la querelle de couple aux accents presque comiques, ponctué par la douceur d’un magnifique chant créole mené par Swala Emati qui ouvre et clôture la pièce de façon si mélodieuse. Textes, époques, lieux, personnages, langues, cette diversité si joliment assemblée nourrit la beauté d’une pièce polyphonique, forte et pudique, reflet des méandres innombrables et mystérieux de l’âme humaine. « M comme Médée » nous entraine dans un mémorable voyage théâtral entrepris sous la houlette d’une magnifique troupe !

Philippe Escalier – photo © Benny

A propos Sensitif

Journaliste et photographe dans le domaine du spectacle vivant.
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