Le Misanthrope

Dés les premières représentations il était évident que ce Misanthrope étonnant, mis en scène par Thomas Le Douarec au Théâtre des Lucioles et qui cumulait les qualités allait faire partie des pièces que tout le festival d’Avignon allait saluer et applaudir.

© Philippe Escalier

Après les succès remarqués du « Portait de Dorian Gray » et de « L’Idiot » il était facile d’imaginer que le Misanthrope de Thomas le Douarec, assisté de Virginie Dewees, allait ressembler à aucun autre. S’emparer de la plus belle pièce de Molière en la mettant au goût du jour n’était pourtant pas chose simple. Certes, l’étonnante modernité du texte pouvait l’y aider. Encore fallait-il choisir le bon fil rouge et tout transformer sans rien dénaturer. Le pari est gagné, haut la main. Jouant sur l’étonnante continuité à travers le temps des défauts humains, le metteur en scène a recours à ce qui caractérise notre époque, les boites de nuit et leur excès, les selfies et autres vidéos sur les réseaux sociaux propres à nourrir un narcissisme devenu hors de contrôle. Se divertir, exister au prix de provocations, médire et exclure, flatter pour séduire, séduire pour vivre, voilà bien ce qui caractérise le genre humain, quels que soient les siècles et les supports de communication, lettres écrites à la plume, pamphlets ou, des nos jours, vidéos postées compulsivement. Ce Misanthrope se déroule bien aujourd’hui et peut-être vu par tous, y compris les très jeunes ou les plus éloignés du théâtre et reste pourtant d’une fidélité sans faille à l’auteur qui traite en 1666 de sujets qui pourraient servir aujourd’hui de thème au bac philo : « Peut-on vivre en société sans mentir ? », « Le compromis est-il compromission ? » (sujet pour députés débutants) ou encore « La moralité poussée à l’extrême est-elle une qualité ou un défaut ? ». Énergique, surprenante et ébouriffante, cette mise en scène éclaire magnifiquement cette pièce et donc le genre humain.

Sur scène, il fallait une troupe aussi jeune que talentueuse, capable de porter ce travail au sommet et de faire entendre ce texte avec une implacable justesse. Avec Jean-Charles Chagachbanian nous tenons un bel Alceste introverti trop excessif pour être heureux et toutes les tentatives de Philinte, magnifique Philippe Maymat n’y changeront rien. Thomas Le Douarec incarne un Oronte onctueux avant d’être venimeux, Jeanne Pajon en Célimène nous a étonné par sa présence, son charme mais surtout sa capacité à habiter royalement ce rôle impressionnant. Justine Vultaggio interprète Eliante avec la force et la justesse qu’on lui connait, Valérian Behar-Bonnet (qui signe aussi la musique) et Rémi Johnsen sont parfaits en deux jeunes écervelés imbus d’eux-mêmes, nous offrant quelques moments d’anthologie, Caroline Devismes, pour sa part, est une somptueuse Arsinoé toxique. Tous nous donnent envie de lancer haut et fort : « Molière est une fête ! ».

© Philippe Escalier

En ayant réussi ce mélange de modernité et de classicisme, en nous retraçant l’histoire de ce célèbre enquiquineur rabat-joie de la plus joyeuse et enivrante des façons, Thomas Le Douarec et la troupe qui l’entoure nous apportent sur un plateau un des ces moments qui contribuent à nous rendre toujours heureux d’aller au théâtre. Qu’ils soient tous chaleureusement remerciés !

Philippe Escalier

Théâtre des Lucioles, 10 Rempart St Lazare, 84000 Avignon
À 15 h 45 sauf le mercredi. Jusqu’au 30 juillet 2022 – 04 90 14 05 51

A propos Sensitif

Journaliste, photographe, éditeur du magazine Sensitif : www.sensitif.fr
Cet article, publié dans Spectacle vivant, Théâtre, est tagué , , , , , , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s