Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie

C’est une première en France ! Sur la base de nombreux documents inédits, le Mémorial de la Shoah met en lumière les persécutions dont furent victimes les homosexuels et les lesbiennes sous le IIIe Reich, de manière chronologique et thématique. Florence Tamagne, maître de conférence en histoire contemporaine à l’université de Lille et auteure de la première thèse d’histoire contemporaine sur l’homosexualité, est le commissaire scientifique de cette exposition gratuite.

Il faudra de nombreuses années après la seconde guerre mondiale pour que l’on commence à parler de la Shoah. Il faudra plus de temps encore pour que les persécutions contre les femmes et les hommes homosexuels soient reconnues. En effet, après 1945, se déclarer homosexuel, c’est prendre le risque de tomber sous le coup du sinistre paragraphe 175 du code pénal allemand, toujours en vigueur :
« § 175 : Les actes sexuels contre nature qui sont perpétrés, que ce soit entre personnes de sexe masculin ou entre hommes et animaux, sont passibles de prison ; il peut aussi être prononcé la perte des droits civiques. »
Il ne sera aboli qu’en 1994 ! Il faut attendre les années 70 et le mouvement de libération gay et lesbien pour que le sujet puisse enfin être sérieusement abordé.

Le début du XXe siècle se présente plutôt favorablement avec un épanouissement d’une subculture homosexuelle dans les grandes capitales européennes comme Paris et Berlin qui vit des années folles assez exubérantes sous la République de Weimar, et ce, en dépit des violents préjugés homophobes ponctuant les discours religieux et médicaux, qui serviront de terreau au système répressif nazi. Après 1933, l’orientation homosexuelle n’est pas considérée comme un délit, c’est le comportement qu’elle induit nécessairement qui est réprimé. Ce que l’on appelle à l’époque une « prédisposition à l’homosexualité » peut être corrigée. Pour Himmler, qui a été le partisan le plus radical de la lutte contre l’homosexualité, cette population constitue en raison de son mode de vie une atteinte à l’utopie nationale-socialiste (un État dans l’État) ; leur « féminité » étant une menace pour l’idéal de « l’État viril » ; son comportement est enfin une atteinte à la natalité menaçant la survie de la race aryenne alors que celle-ci lutte pour la conquête de son espace vital. L’homosexuel, décrit comme lâche, menteur, irresponsable, déloyal, est un « objet idéal de pression », facilement manipulable par les ennemis de l’Allemagne. Toutefois, la phraséologie éliminationiste de Himmler visait la liquidation de l’homosexualité comme phénomène de « dégénérescence de la vie sociale », mais non le meurtre de chaque personnalité homosexuelle. Les nazis veulent différencier les cas minoritaires d’homosexualité supposée innée et définitive de la majorité de ceux qui pouvaient être ramenés à la normalité hétérosexuelle par divers « traitements » (emprisonnement, internement, travaux forcés, camp de concentration, traitement hormonal, castration).

La majorité des lesbiennes va pouvoir échapper à la répression, à la condition de rester discrètes et de ne pas subir de dénonciation, quand elles vivaient en couple. Certaines s’exilent, d’autres concluent des mariages blancs, parfois avec des homosexuels.
Bien que cela ait été envisagé à plusieurs reprises, l’homosexualité féminine n’a pas été criminalisée dans l’Allemagne nazie. Il est difficile de déterminer combien de femmes ont été poursuivies comme lesbiennes, mais sous d’autres motifs. On ne trouve enfin que des traces sporadiques de leur internement dans les camps. En revanche, en Autriche, une législation antérieure (paragraphes 129 et 130 du Code pénal, 1852), maintenue après l’Anschluss, rendait l’homosexualité féminine, aussi bien que masculine, passible d’une peine maximale de 5 ans d’emprisonnement.
Concernant les hommes, sur les 100 000 qui furent fichés, la moitié firent l’objet de condamnation, et entre 5 000 et 15 000 furent envoyés en camp de concentration où la plupart périrent.
En France, le gouvernement de Vichy a cherché, dans ce domaine aussi, à s’aligner sur les nazis, même si la persécution pour fait d’homosexualité a eu des effets moins systématiques qu’en Allemagne. Le 6 août 1942, Pétain signe une loi modifiant l’article 334 du Code pénal permettant une répression spécifiques des comportements homosexuels et réintroduisant, pour la première fois depuis la Révolution française, la notion d’acte contre-nature, qui ne sera abrogée que le …4 août 1982 !

Sur la base d’interviews et d’extraits vidéos, de documents administratifs, de livres et de destins particuliers ayant subis les horreurs des camps, l’exposition concentrée dans une seule grande pièce se révèle riche et d’une pédagogie exemplaire. Que ce soit pour le souvenir et la mémoire, pour battre en brèche certaines contre-vérités, cette exposition d’une grande clarté est d’une grande utilité, en particulier à un moment où, au sein même de l’Europe, certains états comme la Pologne ou la Hongrie tentent de mettre en place des politiques ségrégationnistes et alors même que les avancées en matière de liberté des mœurs sont toutes récentes, la condition des homosexuels restant alarmantes dans de nombreux pays à trois heures d’avion de Paris !

Mémorial de la Shoah : 17, rue Geoffroy-l’Asnier 75004 Paris
Tous les jours sauf le samedi de 10 h à 18 h
Nocturne le jeudi à 22 h
Entrée libre et gratuite

Texte et photos Philippe Escalier – Photos avec l’aimable autorisation de la Direction de la Communication du Mémorial de la Shoah

A propos Sensitif

Journaliste, photographe, éditeur du magazine Sensitif : www.sensitif.fr
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