La Traviata de Guiseppe Verdi à l’Opéra Garnier : un massacre subventionné !
La Traviata qui vient de débuter à l’Opéra Garnier est affligée d’une mise en scène si horrible, si débilitante et vulgaire que l’on en est en droit de se demander comment de telles productions peuvent voir le jour au sein de l’Opéra Garnier ?
En préambule, nous serons d’accord pour affirmer que l’on ne peut pas plaire à tout le monde et que l’on est autorisé à dépoussiérer les œuvres. Ici, nous ne sommes plus dans le domaine artistique mais dans ce qu’il est convenu d’appeler « le grand n’importe quoi », au delà de ce qu’il est permis de faire à la fois pour respecter l’un des plus beaux opéras du monde et … le public, vous savez, ces gens qui paient (cher) pour voir un spectacle !
Tout commence avec un horrible masque représentant les yeux fermés d’une femme occupant tout le devant de la scène. L’orchestre entame l’ouverture, cette belle, douce et délicate musique de Verdi et le plateau commence à tourner. Il sera actionné très souvent au cours de la représentation. Le souci est qu’il fonctionne en faisant des gros grincements très audibles. L’on n’est plus à Garnier mais dans un ancien moulin à grains. Mais ce n’est pas tout !
Sur un énorme écran, le metteur en scène essaie de nous raconter qui est l’héroïne, une sorte de « Traviata pour les Nuls ». Pour cela il utilise FaceBook, des mails, des messages, des photos. En caractères aussi énormes que les ficelles qu’il emploie.
Ensuite, pour que nous comprenions que Violetta a des soucis d’argent, il affiche un relevé de banque, (j’ai reconnu ceux du Crédit Agricole), tout en rouge, (difficile de surligner davantage des choses évidentes), puis des lettres recommandées informant la malheureuse du dépassement de son découvert. Large signature du directeur de la banque, bien visible, au bas des mises en demeure. Seule la photo de l’huissier nous a été épargnée. Mais ce n’est pas tout.
Au bout de trente cinq minutes, arrive un premier entracte … de 25 minutes.
Reprise : l’on se retrouve dans une boite de nuit, l’on y fait des selfies, l’on boit et l’on prend du poppers. Tout en haut d’une pyramide de verres, un barman se contorsionne et s’acharne désespérément sur une bouteille de champagne. C’est idiot, mais c’est encore ce qu’il y a de mieux dans ce que nous avons vu. Tel Siegfried parvenant seul à retirer l’épée du chêne, Alfredo vient à bout de l’objet récalcitrant et singeant un vainqueur de formule 1, l’agite et arrose la foule ! Plus tard, assis à une table, notre héros déboucheur de bouteilles s’affaire sur un ordinateur. Projeté sous nous yeux, toujours de façon énorme, une page Windows sur laquelle s’effectuent des opérations répétitives, permettant de modifier grossièrement les plans d’un appartement. La pollution visuelle est à son maximum mais l’on reste ébloui par une telle imagination ! Le plateau tournant, toujours lui, toujours bruyant, nous fera aussi découvrir, un énorme Kebab appelé Paristanbul. Après l’un de ses grands airs, Traviata, prise soudain d’une grosse faim, part précipitamment en emportant l’une de ses délicieuses préparations. Mais ce n’est pas tout.
Pour que nous ayons bien à l’esprit que la demoiselle Valery, après le champagne s’est repliée à la campagne, nous avons quinze minutes de chant avec une vache sur scène. Une vache ! Il se trouve que comme beaucoup, j’aime les animaux. La pauvre bête, tenue par une personne de dos, (son propriétaire ?), doit rester immobile, mais à moment donné, l’étourdie, peut-être pour marquer son agacement devant ce qu’elle voit, donne un coup de sabot très sonore dans un seau en inox devant servir à la traite. L’on a une boule au ventre en pensant que l’animal va devoir assister, lui, à toutes les représentations. Ce n’est pas humain ! Mais ce n’est pas tout !
Arrive la grande fête où se noue le drame. Vous allez voir arriver des personnages grotesques certains avec d’énormes godemichets collés à l’entrejambe mais aussi sur la tête ou sur les oreilles pendant que le grand cube émetteur des subtiles vidéos à la force évocatrice sans équivalent (!) nous inflige des dessins au laser représentant des actes de copulation, sexe en érection et en action. L’on pense alors au sage gamin de sept ou huit ans présent dans notre loge et que sa maman a amené découvrir l’œuvre de Verdi. L’une des plus belles du répertoire.
Il y aurait encore beaucoup à dire. Nous ne sommes ni contre des mises en scène modernes (même si elles n’ont pas notre préférence), ni contre certaines audaces ou libertés. Encore faut-il un sens esthétique et une logique qui font totalement défaut à l’actuelle Traviata de Garnier. Le « travail » de Simon Stone, puisqu’il s’agit de lui, nous a fait penser dans sa pitoyable simplicité à ces enfants qui viennent vers vous en criant « pipi-caca » avant de repartir en courant. Mais au moins ces bambins sont-ils attendrissants et ont-ils l’excuse de l’âge. Les mélomanes vont sortir sidérés de Garnier et l’on serait bien en peine de trouver une seule excuse au travail bâclé, destructeur et pour tout dire pathétique que nous venons, hélas, de voir !
Philippe Escalier