Il n’y a pas loin du Capitole à la Roche Tarpéïenne : la fameuse formule romaine semble avoir été faite pour Oscar Wilde tant ses éclatants triomphes furent immédiatement suivis par une déchéance effroyable.
Coqueluche du public londonien, (son succès est tel qu’il est prié de faire une série de conférences aux États-Unis en 1882) Oscar Wilde, qui avait publié « Le Portrait de Dorian Gray » et fait jouer plusieurs pièces à succès, donne sa dernière création «L’importance d’être constant » en 1895, immédiatement plébiscitée.
La même année, l’existence de celui qui avait décidé de mettre son talent dans son œuvre et son génie dans sa vie, va basculer. Il s’est amouraché du jeune Lord Alfred Douglas, Bosie, un amant dénué de finesse et assez peu scrupuleux, dont le père, rendu hystérique par l’homosexualité de deux de ses fils, accuse soudain publiquement Wilde d’être un « sodomite ». Poussé par son petit ami qui entend régler ses compte avec son odieux géniteur par procuration, Oscar Wilde fera alors l’erreur fatale d’intenter un procès en diffamation, impossible à gagner, et pour cause, contre John Douglas, 9eme marquis de Queensberry, un aristocrate écossais frustre et violent, inventeur des règles de la boxe moderne ! La justice britannique mettra l’auteur d’ « Un mari idéal » KO ne faisant aucun cadeau à celui par qui le scandale arrive. Après le triomphe vint alors le temps de la stigmatisation, de la ruine et de la honte, contraignant la mère des enfants de Wilde à changer de patronyme et lui-même à voyager sous un nom d’emprunt (Sébastien Melmoth).
Avec « The Happy Prince », Rupert Everett a choisi de filmer les trois dernières années de l’écrivain, broyé par l’infamie et les deux années de travaux forcés, pendant lesquelles il va errer, sans argent et sans force, renouant un moment avec l’amant terrible qu’il avait pourtant si justement dénoncé en prison dans « De Profondis ». Deux amis d’une fidélité sans faille l’accompagneront et le soutiendront, financièrement (« Je meurs largement au dessus de mes moyens » dira l’incorrigible Oscar), jusqu’à sa mort, le 30 novembre 1900, dans un petit hôtel parisien.
Rupert Everett, imprégné de l’œuvre du grand écrivain et proche de lui, (son propre outing militant en 1989 lui ayant fermé les portes d’Hollywood), endosse avec une facilité fascinante les habits du héros qu’il incarne à la perfection. Il est accompagné notamment de Colin Firth qu’il retrouve trente-quatre ans après « Another country », de Colin Morgan confirmant, dans le rôle de Lord Alfred Douglas, des talents d’acteur hors pair, d’Emily Watson ou d’Edwin Thomas qui interprète l’ami de toujours et exécuteur testamentaire, Robert Ross. L’intérêt du récit et la distribution remarquable font oublier les faiblesses du film (très académique et trop décousu) que l’on aime malgré ses défauts.
Philippe Escalier