Signé Dumas

L’œuvre immense d’Alexandre Dumas ne fut pas écrite par sa seule plume. Le grand homme avait un nègre attitré, Auguste Maquet, avec lequel il travailla pendant treize ans. La révolution de 1848 faillit faire exploser, un peu avant l’heure, ce tandem au fonctionnement surprenant. C’est cette conflagration que « Signé Dumas », pièce magnifiquement écrite par un autre duo, Cyril Gély et Éric Rouquette, nous fait revivre de façon palpitante.

Alexandre Dumas, à l’imagination débordante, écrivait vite, mais il voulait surtout profiter des charmes de la vie en jouisseur invétéré qu’il était. Les chapitres de romans à livrer chaque jour aux journaux représentaient une somme de travail qu’il ne pouvait abattre seul. Sa rencontre avec Auguste Maquet, un docteur es lettres s’étant toujours rêvé écrivain, va se révéler une aubaine. Maquet, doué et discipliné, allait abattre une large part du travail et construire des pans entiers de l’œuvre de Dumas.
Auguste Maquet se résigne à rester dans l’ombre jusqu’au moment où éclate la Révolution de 1848. Dumas, monarchiste dans l’âme, certain de son prestige, entend s’adresser au peuple par une déclaration de soutien à la duchesse d’Orléans, avec l’arrière-pensée d’en récolter un maroquin. Maquet, plus fin politique, comprend que la régente va être emportée par la vague révolutionnaire et que l’heure de la République a sonné. Dans cette perspective, le texte fou de Dumas met leur avenir en danger et le collaborateur soumis se transforme d’un coup en associé soucieux de préserver l’acquis et le futur. Il montre les dents. En retour, le génie tonitruant et égocentrique, peu habitué à la contradiction, répond par une vague d’humiliations. Maquet encaisse le choc avant de trouver la parade et que tout rentre dans l’ordre. Pour encore quelques temps.
Cyril Gély et Éric Rouquette décortiquent parfaitement, dans un texte d’une précision chirurgicale, la psychologie et les liens si particuliers qui unissent ces deux personnages ici magnifiquement incarnés : Xavier Lemaire prête sa corpulence et sa faconde à Dumas et Davy Sardou apporte sa finesse à un Maquet tout en colères froides et rentrées. La querelle, déclenchée par un petit télégraphiste, joué par Thomas Sagols, va crescendo jusqu’au basculement final et le public suit, avec fascination, l’intégralité d’une violente dispute dont le seul défaut est de nous sembler trop courte. La jubilation d’entendre un texte aussi bien écrit n’a d’égale que le plaisir de le voir si bien joué. La mise en scène subtile de Tristan Petitgirard, sans fioritures, se met entièrement au service de ce petit bijou littéraire. Si les raisons de voir ce spectacle pleinement réussi sont multiples, ce beau moment de théâtre a aussi le mérite de nous dire, et de quelle façon, pourquoi les grands romans de notre patrimoine littéraire que sont « Le Comte de Monte-Cristo »   ou   « Les Trois mousquetaires », pour ne prendre que ces deux exemples, n’auraient jamais dû être exclusivement signé Dumas.

Philippe Escalier

Théâtre La Bruyère : 5, rue La Bruyère 75009 Paris
Du mardi au samedi à 21 h et matinée samedi à 15 h 30
01 48 74 76 99 – http://www.theatrelabruyere.com

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A propos Sensitif

Journaliste, photographe, éditeur du magazine Sensitif : www.sensitif.fr
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