Trente ans après Essayez donc nos pédalos, Alain Marcel nous propose une vision actualisée, à la fois mordante, drôle et réaliste de notre milieu gay. Séduit par ce nouveau Tour de pédalos, nous avons rencontré les quatre interprètes de ce spectacle musical au théâtre Marigny, Yoni Amar, Philippe d’Avilla, Steeve Brudey et Djamel Mehnane, un cast interethnique de chanteurs-comédiens, généreux et pétillants !
Sur quels critères Alain Marcel vous a-t-il choisis ?
Steeve Brudey : Alain Marcel voulait une cohérence de groupe, vocale et physique, avec quatre personnages pour l’harmonie des voix. Idéalement, il voulait une vraie multiethnicité par souci d’universalisme et pour des raisons également politiques et religieuses. Il voulait des artistes ayant un niveau équivalent de jeu, de chant et complètement à l’aise avec le propos. Hétéros ou homos, on a bien sûr été jugés sur notre « gayttitude », notre ductilité à paraître gay.
En plus d’être auteur et compositeur, Alain Marcel est également metteur en scène de ce spectacle. Sa direction n’est-elle pas trop perfectionniste ?
Yoni Amar : Il est très technique et sait ce qu’il veut musicalement et scéniquement. Il sait ce que le spectacle doit raconter mais veut également nous voir sur scène. Dès les premières répétitions, il nous a laissé libres. Il arrivait toujours dans un esprit de proposition : « Qu’est-ce que vous en pensez ? Quel est votre avis ? » Il a appris à nous connaître au fur et à mesure. Du coup, les chansons nous ressemblent, ça coule de source. Le jeu vient immédiatement par rapport à la mélodie. Ainsi, Bibi est bi devait durer quelques secondes mais est devenu un numéro pour Steeve. Sex Toy est vraiment devenu une évidence pour Djamel.
Pourquoi avoir monté un deuxième Tour de pédalos ?
Djamel Mehnane : Alain Marcel avait notamment écrit le premier Pédalos suite à la violence qu’il avait ressentie en voyant La Cage aux folles et à l’image de l’homosexualité qui s’en dégageait. Trente ans plus tard, le contexte politique et social a changé. L’homosexualité n’est plus considérée comme une maladie mais l’homophobie existe toujours. On est passé d’une acceptation à une ghettoïsation. Par ailleurs, la vie de beaucoup de gays ne correspond pas toujours à l’image de fête et de paillettes qu’on peut en avoir. Sans même parler d’Iran ou d’Égypte, il y a encore des gens qui en meurent.
Ce spectacle fait-il de vous des artistes engagés ?
Steeve Brudey : À partir du moment où on a accepté d’incarner la voix d’Alain, ce spectacle fait évidement de nous des artistes militants. Mais ce n’est pas qu’une histoire de militantisme anti-homophobie, il y a plein de choses. Toute la fin se soulève et s’ouvre. C’est un spectacle sur toutes les différences, les discriminations, les persécutions…
Certains critiques reprochent à Alain Marcel de tomber un peu dans le cliché. Qu’en pensez-vous ?
Philippe d’Avilla : Le cliché n’est pas négatif. C’est une photo de quelque chose qui existe. En l’occurrence, j’ai parmi mes amis des folles encore plus exubérantes que celles du spectacle, des pédés de droite abominables qui ne pensent qu’au fric, des fiottes qui crachent leur venin sur tout le monde, des gars qui veulent adopter, etc. Ce sont des gens que l’on croise tous les jours ! Et puis, au théâtre tout personnage dramatique est un cliché, ça marche comme ça. Pour parler d’universalité, il faut chercher la particularité.
Votre scène ou chanson préférée et pourquoi ?
Djamel Mehnane : Le début et la fin. Le début parce que c’est réglé au millimètre vocalement et scéniquement et que ça donne le ton du spectacle. La fin parce que les mélodies sont absolument sublimes avec une gradation des voix du plus grave au plus aigu, et avec des textes très forts fondés sur des faits réels.
Yoni Amar : En règle générale, je préfère les numéros d’ensemble. Il y a une vraie force qui ressort du groupe et que l’on prend en pleine tête. J’ai une légère préférence pour Petite souris de penderie parce que c’est lié à l’enfance et qu’il y a beaucoup de tendresse et d’amour dans ce morceau.
Steeve Brudey : J’aime De cul, de culte et de culture parce que ça chante, ça joue, c’est politique, ça parle de religion. Cette chanson fait réagir et donne une assez bonne idée de ce que fait Alain : l’humour, le côté grinçant…
Philippe d’Avilla : C’est un peu difficile de couper le spectacle en tranches, pour moi, il forme vraiment un tout. Il y en a néanmoins une qui me touche. Il s’agit de la chanson d’un homme qui sourit face à la maladie et qui en remercie un autre de l’y avoir accompagné.
Cette expérience semble vous avoir sincèrement beaucoup apporté !
Philippe d’Avilla : On est effectivement tous devenus très fans du travail d’Alain Marcel. Ce mec a une vraie rigueur dans le travail, une rigueur devenue rare dans le métier. On est également tous spectateurs du travail des autres. Je suis subjugué parce ce que font mes potes sur scène, chose que je n’avais jamais vécue jusqu’ici. C’est aussi un bonheur d’avoir Stan Cramer pour arrangeur et accompagnateur. Si on est tous aussi nickel au niveau vocal c’est grâce à lui, à son travail, à son calme et à sa précision.
Encore un tour de pédalos se joue jusqu’au 24 février au théâtre Marigny : Carré Marigny 75008 Paris, lundi à 20 h 30, du mardi au samedi à 19 h et dimanche à 17 h
01 53 96 70 00 – http://www.theatremarigny.fr