En avant
Marche(s) !
Par Sylvain Gueho pour Sensitif numéro 25 : http://www.sensitif.fr
Décriée, critiquée ou encensée, la Marche des Fiertés (ou
pour les plus vieux d’entre nous la Gay Pride) n’a jamais laissé indifférent,
que l’on se place du côté des hétérosexuels ou des homosexuels. À commencer par
son but. Est-ce une manifestation pleine de revendications politiques, une
parade pour la défense des plumes et du cuir ou une fête comme il y a celle de
la musique ou du cinéma ? Il est vrai que l’on a tout vu, tout lu et tout
entendu à ce propos. Pour comprendre tenants et aboutissants de cette
manifestation, retour sur les faits qui ont poussés les homosexuels à battre le
pavé.
Dans les années 60, il était plutôt difficile de vivre au
grand jour son homosexualité, encore considérée comme une maladie mentale ou
comme un crime. Rares étaient les lieux où elle pouvait se vivre publiquement.
Les États-Unis ne faisaient pas exception à la règle. À New York, pourtant
ville beaucoup plus libertaire que le reste du pays, il était interdit de
servir des boissons alcoolisées aux homosexuels (sur le principe que les femmes
ne tiennent pas l’alcool ?), de danser entre hommes ou de se travestir.
Toutefois, à l’instar d’un village gaulois célèbre de
l’autre côté de l’Atlantique, une certaine résistance existait, notamment au
cœur du quartier de Greenwich Village où un bar, le Stonewall Inn, offrait aux
homosexuels un lieu de rendez-vous et de rencontres, malgré les fréquentes
descentes de police. Habituellement prévenus à l’avance des contrôles
policiers, les patrons de ce bar s’arrangeaient alors pour que le lieu
apparaisse soit totalement vide, soit totalement hétérosexuel.
La légende a pris
place en ces lieux lorsque, dans la nuit du 27 au 28 juin 1969, une
irruption policière non anticipée et plus brutale que d’habitude a trouvé de la
résistance en la personne de quelques travestis (tombant justement sous le coup de la loi concernant le port de
vêtements traditionnellement réservés au sexe opposé) et d’homos leur prêtant
assistance. Les policiers ont été obligés de se retrancher dans le bar, la
vindicte homosexuelle s’étant armée de différents projectibles (allant des
bouteilles aux pavés, jusqu’à un parcmètre). Les policiers, surpris par cette
opposition, ont réussi à demander du renfort. Mais dans la rue puis le quartier,
homos et travestis ont fait de même.
Il est dit que la mort quelques jours plus tôt de la
chanteuse et comédienne Judy Garland (celle qui allait donner bien plus tard
ses couleurs au Rainbow Flag) et son enterrement ce même 27 juin au matin
a agi comme un déclencheur et participé au sentiment de révolte.
C’est ainsi qu’une longue nuit allait voir s’opposer forces
de l’ordre et homos. La police a eu recours aux forces antiémeutes sans
toutefois parvenir à totalement juguler le mouvement de contestation. Craig
Rodwell, qui avait ouvert la première librairie gay dans ce même quartier de
Christopher Street, a alerté la presse. Le
lendemain après-midi, aidée par les grands quotidiens ayant relaté l’événement,
une foule nombreuse s’est rassemblée à nouveau devant le bar, et les
affrontements ont repris de plus belle. Les émeutes dureront au total quatre
jours consécutifs.
Et déjà, ce mouvement de contestation est porteur de
dissension interne au sein des (rares) organisations homosexuelles. L’une
d’entre elle le fera savoir en l’inscrivant sur les murs du Stonewall ;
soucieuse d’une image irréprochable à donner, elle prône l’adage du
« vivons heureux, vivons cachés ».
A contrario, et fort de ce qui s’est passé autour du
Stonewall, Craig Rodwell aidé par d’autres activistes fonde dans la foulée le
Gay Liberation Front (GLF) et en décembre 1969 la Gay Activist Alliance (GAA)
dont fera partie Brenda Howard. Cette dernière va coordonner la commémoration
des événements de juin 1969 en organisant la Christopher Street Liberation
Parade à New York le 28 juin 1970 dont le slogan sera « Come Out ».
Le mouvement de la Gay Pride est lancé.
En France, les origines de la Gay Pride sont moins bien
connues que celle précédemment racontée, mais a pourtant ceci de similaire avec
la Gay Pride originelle qu’elle doit son apparition en particulier à cause
d’une chanteuse américaine (mais elle, beaucoup moins adulée que Judy Garland).
Le premier coup d’éclat rendant audibles les homosexuels
français se produit en mars 1971 par l’interruption de l’enregistrement d’une
émission radio de Ménie Grégoire sur « L’homosexualité, ce douloureux
problème » (titre désormais entré dans l’histoire). Après une discussion
quelque peu animée autour de préjugés, le plateau sera envahi par des gays et
des lesbiennes scandant « Liberté » et « Battez-vous »
avant que la régie finale ne coupe prématurément l’émission.
Cette intervention
est considérée comme un des actes fondateurs du mouvement militant homosexuel.
Dans la foulée, le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) est créé
par le rapprochement entre ces mêmes activistes homo et des féministes
lesbiennes.
Cette même année, les homosexuels s’invitent au traditionnel
défilé du 1er mai. Bien que souvent considérés comme persona non grata par certains
syndicats, les homosexuels continueront à participer à ce défilé jusqu’en 1978.
Les germes du défilé homosexuel sont donc plantés. Ne restait plus qu’un peu
d’engrais pour les voir se développer.
Intervient alors une chanteuse américaine de sinistre
mémoire : Anita Bryant a une éducation religieuse très ancrée dans sa vie
et des convictions extrêmes concernant l’homosexualité. Ainsi, lorsqu’en 1977
est promulgué en Floride une ordonnance interdisant toute discrimination sur
des critères d’orientation sexuelle, son sang et son eau bénite ne font qu’un
tour. Elle réagit en lançant une campagne très médiatisée pour tenter de faire
abroger cette ordonnance. Cette campagne homophobe d’une rare violence (elle
ira jusqu’à demander de « Tuer un homosexuel pour l’amour du
Christ ») va déclencher des réactions dans son pays mais également en
France.
Ainsi, à Paris, c’est
en réponse à ces propos et à cette campagne que va être organisée en juin 1977
la première manifestation homosexuelle indépendante, à l’appel du Mouvement de
libération des femmes (MLF) et du Groupe de libération homosexuelle (GLH,
héritier du FHAR).
À partir de 1978, et issue des réflexions sur la libération
sexuelle post-mai 1968, la question de l’homosexualité et de sa dépénalisation
appartient au débat politique français. Toutefois, devant l’incapacité des
parlementaires à faire évoluer les choses, le mouvement homosexuel se structure
autour du refus de la loi répressive. Le Comité d’urgence anti-répression
homosexuelle (CUARH) est créé pendant l’été 1979 et c’est à son initiative
qu’auront lieu deux autres manifestations en 1979 et en 1980 contre les
discriminations antihomosexuelles.
Toutefois, on
considère que la véritable première marche gay (même si elle n’a pas de
dénomination officielle) est celle ayant eu lieu le 4 avril 1981, lorsque
10 000 personnes ont répondu à l’appel du CUARH et manifesté pour la
dépénalisation de l’homosexualité. L’enjeu est alors majeur : la
question s’est invitée dans le débat présidentiel. François Mitterrand, qui
allait être élu président le mois suivant, s’engage quelques jours après cette
manifestation à dépénaliser l’homosexualité, ce qui sera fait l’année suivante.
Fort de cette nouvelle liberté, le principe de la
manifestation récurrente des homosexuels, bientôt rejoints par les bisexuels et
les transgenres, est dès lors acquis : à partir de 1982, une manifestation
est organisée chaque année en juin à Paris. De nombreuses villes de France ne
resteront pas en reste. En 2008, treize manifestations sont organisées en
dehors de Paris.